[Info-Palestine] - A propos de la Libye, du Printemps arabe et de la Syrie

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  • [Info-Palestine] - A propos de la Libye, du Printemps arabe et de la Syrie
    http://www.info-palestine.eu/spip.php?article14151
    Tariq Ali est ici interviewé sur les évènements au Moyen-Orient par les journalistes suédois S. Eriksson, M. Fahlgren et P. Widén.
    Traduction : Dominique Muselet

    (...) Et donc voilà notre question : Comment pensez-vous que ces concepts (révolution sociale et politique) doivent être utilisés et comment parvenez-vous à la conclusion que ce qui arrive dans les pays arabes ne peut pas être considéré comme un processus révolutionnaire, même pas sur le plan politique ?

    Tariq Ali : Je connais bien le concept de révolutions politiques. Après tout, c’est ce que nous espérions qu’il arriverait en URSS et en Europe de l’Est, mais ce qui s’est en réalité produit, c’est la restauration du capitalisme. J’ai donné ma position sur les révolutions dans le débat organisé par la New Left Review entre Asef Bayat et moi-même, il y a quelques mois, et ceux que cela intéresse peuvent prendre connaissance de nos deux points de vue ici. La région qui nous a semblé le plus incarner de ce qu’on nous appelons « révolutions politiques » est l’Amérique Latine, bien que là aussi j’aie évité de qualifier les mobilisations de masse et les victoires électorales subséquentes de révolutions. Pourquoi ? Parce que, même au Venezuela, en dépit de réformes structurelles importantes (éducation, santé, distribution de terres, Constitution hyper-démocratique), les structures traditionnelles de l’état restent intactes et cela pourrait conduire à une défaite si on ne met pas en place de nouvelles institutions et si l’on n’opère pas des changements sociaux. Dans le monde actuel tout spécialement, une révolution politique doit donner l’assaut au vieux régime et à ses institutions.

    Si nous voulons appeler révolutions politiques d’importants soulèvements revendiquant des droits et des institutions démocratiques, on peut le faire bien sûr, mais cela crée des illusions. Il faut mieux garder la tête froide et admettre la réalité. Le seul résultat de l’utilisation de ce terme a été d’envoyer de minuscules forces de la minuscule extrême-gauche dans le camp de l’impérialisme. Comme si ce dernier avait jamais eu le désir de soutenir et d’armer une révolution. Cette nouvelle façon de voir de certaines personnes est le reflet des erreurs du siècle dernier. Mais ceux qui se retrouvent en train d’applaudir l’OTAN aux côtés de Bernard Henri-Levy devraient aller jusqu’au bout de leur choix et cesser de faire semblant d’être de Gauche.

    Question 2 : Que pensez-vous de la chute de Kadhafi et de la situation actuelle de la Libye ?

    Tariq Ali : Il a fallu six mois de bombardements de l’OTAN pour renverser Kadhafi. Ses amis occidentaux en avaient marre de lui et ils ont décidé de profiter du soulèvement pour s’en débarrasser à l’aide des hommes d’affaire et de l’état du Qatar. Je n’avais bien sûr pas d’estime particulière pour Kadhafi et son régime, mais que des gens de Gauche aient soutenu la « zone d’exclusion aérienne » et ensuite les attaques de l’OTAN soulève beaucoup de questions. Combien en ont-ils tué eux-mêmes ? Six mois de bombardement ne sont pas une plaisanterie et les « dommages collatéraux » sont généralement très lourds.

    Même si on laisse de côté le fait que le résultat est un énorme gâchis et que le pays est dans un état de chaos total comme le reconnaissent aujourd’hui des journalistes qui ont soutenu les attaques aériennes (d’autres préfèrent ne pas retourner sur le lieu des crimes de l’OTAN), la question demeure. La Gauche devrait-elle s’allier avec l’impérialisme (qu’on appelle parfois la « communauté internationale ») dans une époque où le désordre menace les droits démocratiques des habitants du monde occidental lui-même ? La question s’est posée pour la première fois à propos des bombardements « humanitaires » de l’OTAN en Serbie pendant la guerre civile de Yougoslavie. Elle continue de se poser depuis, accentuant sans cesse la division des forces de la gauche en voie de désintégration.

    Question 3 : Dans le débat qui divise les Marxistes révolutionnaires de Suède, il y en a quelques uns qui ne sont pas contre d’éventuels bombardement étasuniens. Ils ne sont pas nombreux. Et il y en a d’autres qui s’opposent aux bombardements mais qui scandent : « Des armes aux combattants laïques et progressistes ! ». Qu’en pensez-vous ?

    Tariq Ali : ceux qui soutiennent les bombardements ne devraient pas se contenter de lancer de pathétiques appels à l’action mais avec tous ceux de leur espèce ils devraient appeler à la constitution de brigades internationales pour aller se battre avec les combattants « laïques et progressistes ». Et qui leur fournira les armes ? L’OTAN, les Etats-Unis, l’Union Européenne ? Qui ? (...)