• "La femme musulmane. Le pouvoir des images et le danger de la pitié."

    « Quelles images avons-nous, aux États-Unis ou en Europe, des femmes musulmanes, ou des femmes de la région connue sous le nom de Moyen-Orient ? Nos vies sont saturées d’images, et ces images sont étrangement limitées à un nombre très restreint de figures ou de thèmes : la femme musulmane opprimée ; la femme musulmane voilée ; la femme musulmane qui ne jouit pas des mêmes libertés que nous ; la femme régie par sa religion ; la femme régie par ses hommes.

    Ces images ont une longue histoire dans l’Occident, mais elles sont devenues particulièrement visibles et omniprésentes depuis le 11 septembre. Beaucoup de femmes se sont mobilisées aux États-Unis autour de la cause des femmes afghanes opprimées par les talibans fondamentalistes – ces femmes étant représentées par les médias comme recouvertes de la tête aux pieds par leur burqa, sans la possibilité ni d’aller à l’école ni de porter du vernis à ongles. Un gouvernement – celui de George W. Bush – se servit ensuite de l’oppression de ces femmes musulmanes pour légitimer moralement l’invasion militaire de l’Afghanistan. Ces images de femmes opprimées et voilées furent utilisées pour susciter le soutien de l’intervention. Je voudrais, ici, défendre l’idée que, outre les indicibles horreurs, les bouleversements et la violence dont ces interventions américaines ont accablé les vies des femmes musulmanes en Afghanistan et en Irak, l’utilisation de ces images a aussi été néfaste pour nous, dans les pays occidentaux où elles circulent, en ce qu’elles tendent à étouffer notre capacité à apprécier la complexité et la diversité des vies des femmes musulmanes, à les considérer comme des êtres humains. [...]

    Il me semble que si nous sommes préoccupés par les femmes, y compris par les femmes musulmanes, nous pouvons peut-être travailler chez nous à rendre les politiques américaines et européennes plus humaines. Si nous voulons participer aux affaires de ces contrées lointaines, nous devrions peut-être le faire avec la volonté de soutenir ceux qui, au sein de ces communautés, ont pour but de rendre les vies des femmes (et des hommes) meilleures. Quoi que nous fassions, nous devrions le faire avec respect et en ayant en tête les termes d’alliances, de coalitions et de solidarité, plutôt que ceux de secours, salut ou pitié. Surtout, il nous faut résister à la puissance de ces images limitées et limitatives de femmes musulmanes en noir et blanc qui circulent parmi nous. »

    Lila Abu-Lughod

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2013/12/la-femme-musulmane-le-pouvoir-des.html

  • La femme musulmane

    "Quelles images avons-nous, aux États-Unis ou en Europe, des femmes musulmanes, ou des femmes de la région connue sous le nom de Moyen-Orient ? Nos vies sont saturées d’images, et ces images sont étrangement limitées à un nombre très restreint de figures ou de thèmes : la femme musulmane opprimée ; la femme musulmane voilée ; la femme musulmane qui ne jouit pas des mêmes libertés que nous ; la femme régie par sa religion ; la femme régie par ses hommes.

    Ces images ont une longue histoire dans l’Occident, mais elles sont devenues particulièrement visibles et omniprésentes depuis le 11 septembre. Beaucoup de femmes se sont mobilisées aux États-Unis autour de la cause des femmes afghanes opprimées par les talibans fondamentalistes – ces femmes étant représentées par les médias comme recouvertes de la tête aux pieds par leur burqa, sans la possibilité ni d’aller à l’école ni de porter du vernis à ongles. Un gouvernement – celui de George W. Bush – se servit ensuite de l’oppression de ces femmes musulmanes pour légitimer moralement l’invasion militaire de l’Afghanistan. Ces images de femmes opprimées et voilées furent utilisées pour susciter le soutien de l’intervention. Je voudrais, ici, défendre l’idée que, outre les indicibles horreurs, les bouleversements et la violence dont ces interventions américaines ont accablé les vies des femmes musulmanes en Afghanistan et en Irak, l’utilisation de ces images a aussi été néfaste pour nous, dans les pays occidentaux où elles circulent, en ce qu’elles tendent à étouffer notre capacité à apprécier la complexité et la diversité des vies des femmes musulmanes, à les considérer comme des êtres humains.

    Comme l’avait noté Edward Said dans son célèbre ouvrage, L’Orientalisme , une étude critique novatrice de la relation entre les études occidentales sur le Moyen-Orient et le monde musulman et les projets plus généraux de domination et de colonisation de ces régions, l’une des caractéristiques les plus distinctives des représentations, tant littéraires qu’universitaires, de l’« Orient » musulman est leur nature citationnelle. Par là, il entendait que les travaux plus récents asseyaient leur autorité en se référant à des travaux antérieurs, chacun citant les précédents en une chaîne infinie qui s’affranchissait de tout ancrage dans l’actualité de l’Orient musulman. C’est ce que nous constatons encore aujourd’hui dans les représentations visuelles de la femme musulmane."

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2013/12/la-femme-musulmane-le-pouvoir-des.html#links

    Lila Abu-Lughod

    #Feminisme
    #islam

  • « Au cours de longues et atroces heures de solitude, poussé aux abords de la folie, il redécouvrira l’essentiel, ce qui gît dans le silence et dans le détail. Tout lui parlera de nouveau : la fourmi qui court on ne sait où ; la graine enfouie qui meurt, puis se relève, créant l’illusion d’un jardin au milieu du béton, de la grisaille des miradors et des lourdes portes métalliques que l’on referme à grands fracas ; un bout de chose, n’importe laquelle ; le silence des mornes journées qui se ressemblent sans avoir l’air de passer ; le temps qui s’allonge interminablement ; la lenteur des jours, le froid des nuits d’hiver et le vent qui hurle de désespoir à la manière de hiboux tourmentés par on ne sait quoi ; la parole devenue si rare ; le monde à l’extérieur des murs dont on n’entend plus les murmures ; l’abîme que fut Robben Island, et les traces du pénitencier sur son visage désormais sculpté par la douleur, dans ces yeux flétris par la lumière du soleil se réfractant sur le quartz, dans ces larmes qui n’en sont point, la poussière de linceul sur ce visage transformé en spectre fantomatique et dans ses poumons, sur ses orteils et cette enveloppe clocharde qui lui sert de chaussures, mais, par dessus tout, ce sourire joyeux et éclatant, cette position altière, droit, debout, le poing fermé, prêt à embrasser de nouveau le monde et à faire souffler la tempête.

    Dépouillé de presque tout, il luttera pied à pied pour ne point céder le reste d’humanité que ses geôliers veulent à tout prix lui arracher et brandir comme l’ultime trophée. Réduit à vivre avec presque rien, dépouillé de presque tout, il apprend à tout épargner, mais aussi à cultiver un profond détachement par rapport aux choses de la vie profane.

    Jusqu’au point où, prisonnier de fait, confiné entre deux murs et demi, il n’est cependant l’esclave de personne. Nègre d’os et de chair, Mandela aura donc vécu à proximité du désastre. Il aura pénétré dans la nuit de la vie, au plus près des ténèbres, en quête d’une idée somme toute simple, comment vivre libre de la race et de la domination du même nom.

    Ses choix l’auront conduit au bord du précipice. Il aura fasciné le monde parce qu’il sera revenu vivant du pays de l’ombre, force jaillissante au soir d’un siècle vieillissant et qui ne sait plus rêver. »

    Achille Mbembe

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2013/12/nelson-mandela-ou-le-nuage-de-gloire.html