Nelson Mandela ou le « nuage de gloire »

/nelson-mandela-ou-le-nuage-de-gloire.ht

  • « Au cours de longues et atroces heures de solitude, poussé aux abords de la folie, il redécouvrira l’essentiel, ce qui gît dans le silence et dans le détail. Tout lui parlera de nouveau : la fourmi qui court on ne sait où ; la graine enfouie qui meurt, puis se relève, créant l’illusion d’un jardin au milieu du béton, de la grisaille des miradors et des lourdes portes métalliques que l’on referme à grands fracas ; un bout de chose, n’importe laquelle ; le silence des mornes journées qui se ressemblent sans avoir l’air de passer ; le temps qui s’allonge interminablement ; la lenteur des jours, le froid des nuits d’hiver et le vent qui hurle de désespoir à la manière de hiboux tourmentés par on ne sait quoi ; la parole devenue si rare ; le monde à l’extérieur des murs dont on n’entend plus les murmures ; l’abîme que fut Robben Island, et les traces du pénitencier sur son visage désormais sculpté par la douleur, dans ces yeux flétris par la lumière du soleil se réfractant sur le quartz, dans ces larmes qui n’en sont point, la poussière de linceul sur ce visage transformé en spectre fantomatique et dans ses poumons, sur ses orteils et cette enveloppe clocharde qui lui sert de chaussures, mais, par dessus tout, ce sourire joyeux et éclatant, cette position altière, droit, debout, le poing fermé, prêt à embrasser de nouveau le monde et à faire souffler la tempête.

    Dépouillé de presque tout, il luttera pied à pied pour ne point céder le reste d’humanité que ses geôliers veulent à tout prix lui arracher et brandir comme l’ultime trophée. Réduit à vivre avec presque rien, dépouillé de presque tout, il apprend à tout épargner, mais aussi à cultiver un profond détachement par rapport aux choses de la vie profane.

    Jusqu’au point où, prisonnier de fait, confiné entre deux murs et demi, il n’est cependant l’esclave de personne. Nègre d’os et de chair, Mandela aura donc vécu à proximité du désastre. Il aura pénétré dans la nuit de la vie, au plus près des ténèbres, en quête d’une idée somme toute simple, comment vivre libre de la race et de la domination du même nom.

    Ses choix l’auront conduit au bord du précipice. Il aura fasciné le monde parce qu’il sera revenu vivant du pays de l’ombre, force jaillissante au soir d’un siècle vieillissant et qui ne sait plus rêver. »

    Achille Mbembe

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2013/12/nelson-mandela-ou-le-nuage-de-gloire.html