person:augustin berque

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  • "Etre écologiste, c’est faire avec" - Reporterre
    http://www.reporterre.net/spip.php?article5143

    Il vous arrive également de citer l’exemple du bocage normand au XIXe siècle. Pourquoi ?

    Parce que cet exemple va contre l’idée de ceux qui pensent que la meilleure protection de la nature est de ne rien faire. Il montre que l’intervention de l’Homme n’est pas forcément nocive. Le bocage normand, c’est-à-dire ces champs clos de haies, a atteint son maximum de biodiversité au XIXe siècle. Or c’est typiquement une coproduction Homme-Nature, à l’avantage des deux.

    Aujourd’hui, retrouvez-vous de telles idées chez les écologistes ?

    Oui, chez beaucoup. Mais l’idée que ce que l’on peut faire de mieux est encore de ne pas toucher à la nature reste dominante. C’est ce que l’on appelle le principe de naturalité : il faut se régler sur ce qui se passerait s’il n’y avait pas d’intervention humaine. On reste sur un modèle de #wilderness à l’américaine.

    ça me rappelle fortement la réflexion d’Augustin Berque http://seenthis.net/tag/person:augustin%20berque sur l’#écoumène et ce qu’il appelle la "co-suscitation" ou "co-engendrement"

    Je pense que ce qui rend le discours écolo aussi peu populaire dans beaucoup de milieux c’est ce "modèle de wilderness", d’où la notion d’écoumène est absente, cette idée sous-jacente que sans l’humain les écosystèmes se porteraient mieux, cette incapacité à envisager des interactions élégantes entre nous et les écosystèmes dans lesquels on s’insère, cette façon de créer des "réserves naturelles" bien balisées pendant qu’à côté on massacre les paysages et les sols où on habite.

    ça me rappelle également ce texte d’Elisée Reclus

    La nature sauvage est si belle : est-il donc nécessaire que l’homme, en s’en emparant, procède géométriquement à l’exploitation de chaque nouveau domaine conquis et marque sa prise de possession par des constructions vulgaires et des limites de propriétés tirées au cordeau ? S’il en était ainsi, les harmonieux contrastes qui sont une des beautés de la terre feraient bientôt place à une désolante uniformité, car la société, qui s’accroît chaque année d’au moins une dizaine de millions d’hommes, et qui dispose par la science et l’industrie d’une force croissant dans de prodigieuses proportions, marche rapidement à la conquête de toute la surface planétaire ; le jour est proche où il ne restera plus une seule région des continents qui n’ait été visitée par le pionnier civilisé, et tôt ou tard le travail humain se sera exercé sur tous les points du globe. Heureusement le beau et l’utile peuvent s’allier de la manière la plus complète, et c’est précisément dans les pays où l’industrie agricole est la plus avancée, en Angleterre, en Lombardie, dans certaines parties de la Suisse, que les exploiteurs du sol savent lui faire rendre les plus larges produits tout en respectant le charme des paysages, ou même en ajoutant avec art à leur beauté. Les marais et les bouées des Flandres transformés par le drainage en campagnes d’une exubérante fertilité, la Crau pierreuse se changeant, grâce aux canaux d’irrigation en une prairie magnifique, les flancs rocheux des Apennins et des Alpes maritimes se cachant du sommet à la base sous le feuillage des oliviers, les tourbières rougeâtres de l’Irlande remplacées par des forêts de mélèzes, de cèdres, de sapins argentés, ne sont-ce pas là d’admirables exemples de ce pouvoir qu’a l’agriculteur d’exploiter la terre à son profit tout en la rendant plus belle ?
    La question de savoir ce qui dans l’œuvre de l’homme sert à embellir ou bien contribue à dégrader la nature extérieure peut sembler futile à des esprits soi-disant positifs : elle n’en a pas moins une importance de premier ordre. Les développements de l’humanité se lient de la manière la plus intime avec la nature environnante. Une harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir. Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. Parmi les causes qui dans l’histoire de l’humanité ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des nations traitaient la terre nourricière. Ils abattaient les forêts, laissaient tarir les sources et déborder les fleuves, détérioraient les climats, entouraient les cités de zones marécageuses et pestilentielles ; puis, quand la nature, profanée par eux, leur était devenue hostile, ils la prenaient en haine, et, ne pouvant se retremper comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissaient de plus en plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois.

    Elisée Reclus, “ Du #sentiment_de_la_nature dans les sociétés modernes ”, 1866

    • @aude_v Sur les externalités positives de l’élevage à échelle paysanne j’en ai récemment causé avec une végane, et du point de vue végan il n’y a rien de positif à entretenir les paysages, entretien qui revient finalement à repousser la forêt. De même l’amendement se fait à travers une perte métabolique : un animal rejettera toujours moins de biomasse que celle qu’il avale et qui pourrait être utilisée telle quelle (brf, mulch etc). Et la biodiversité serait maximale avec des forêts primaires plutôt qu’avec des forêts aménagées pou l’élevage (genre les chênaies où évoluent les porcs noirs) ou des pâtures.
      C’est une aure conception de l’agriculture http://www.vegeculture.net
      Pour ma part tant que j’aurai autant de limaces dans mon potager je croirai à la pertinence du petit élevage de canards :-), mais les questions posées par les vegans méritent de s’y intéresser je trouve

    • @aude_v

      Mais il n’y aurait plus rien entre le champ et la forêt au sous-bois inaccessible

      Pas si sûr. On peut imaginer par exemple, à la place des prairies, des taillis maintenus en têtards, et servant à la production de bois de chauffage, de tuteurs, de manches d’outils et de brf pour les cultures (on va quand-même pas aller jusqu’à la brindilliculture :-)). Et maintenant ce faisant une diversité - bien que différente, diversité quand-même - tant en termes de paysage qu’en termes d’espèces, avec des rotations dans les coupes, des clairières dans les coupes récentes etc.
      Les amendements animaux sont plus concentrés en azote, mais moins structurants pour le sol que des amendemants ligneux. Cela dit l’approche végécole peut combiner des amendements riches en carbone (brf) avec d’autres riches en azote comme des purins de plante (notamment l’ortie). Le fumier est un intermédiaire entre les deux mais pas aussi structurant que du bois fragmenté ni aussi rapide d’action que du purin d’ortie.
      Les quelques vegans que je connais ne sont pas spécialement dans la seconde vision hors-sol. Quant à imaginer passer à la trappe 5000 ans de paysannerie (perspective qui me chagrine un peu, plutôt pour des raisons affectives et culturelles), ils disent que ce qui est ancré peut aussi bien se désancrer et laisser la place à d’autres cultures (au sens agricole et au sens anthropologique) moins opressantes pour les terres, pour le climat, et pour la vie animale.

    • @aude_v Je n’imaginais pas tant créer une activité économique basée sur la production de brf, j’imaginais plutôt ce que donnerait (dans nos contrées mais pas spécifiquement dans le contexte économique actuel) une agriculture où on substituerait (en gros) aux pâtures des zones de production de bois. Ceci dans une optique de production multiusage et à petite échelle, sans spécialisation de régions. La diversité des paysages locaux permet aussi une diversité des essences de bois : peupliers, aulnes, saules dans les plaines alluviales ; châtaignieraies dans la moyenne montagne méridionale ; chênaie océanique ; hêtraies en climats plus frais, etc.
      Je ne parlais pas non plus d’amender d’une seule manière, je citais l’exemple du brf et des purins de plantes (qui sont complémentaires), il y en a d’autres comme les fabacées (luzerne, trèfle), les céréales dont on utilise la paille etc.
      Tout cela est prospectif, j’essaie d’imaginer ce que pourrait être une paysannerie vegane.
      C’est possible que ce qui motive une partie du véganisme actuel relève d’une logique industrielle, mais ce n’est pas pour autant que les deux sont par essence indissociables.

      Combien de végétarien-ne-s ne veulent pas qu’on tue les animaux alors que pour faire le lait dont illes se gavent on tue des bébés animaux ?

      Oui, c’est d’ailleurs une posture que les vegans reprochent aux végétariens.

      Porcher dit que quand tu te lèves à 3h du mat parce qu’il fait orage, pour aller ouvrir ou fermer une porte, tu as du mal à comprendre qui est au service de qui !

      Oui. J’ai par exemple vu mon grand-père consacrer énormément de temps quotidien à 7 vaches, entre les traire, les emmener aux patures, les re-traire l’après-midi, changer leur litière tous les jours, faire les foins en juin et le regain en août pour leur bouffe d’hiver, cultiver des plantes fourragères (navet, betterave, citrouille), aller à la montagne faucher de la fougère ou de l’ajonc pour leur litière, tout ça pour un peu de lait et deux veaux par an, qui ne lui permettaient pas de vivre en bossant du matin au soir dimanches inclus, ma grand-mère devant de son côté bosser à l’usine pour compléter les revenus. C’était le même schéma dans toutes les fermes environnantes des années 50 à mi-80.
      Donc à ce niveau de dévouement on peut dire que oui effectivement ils les aimaient leurs bêtes. Mais à quel prix en termes de santé et de vie familiale foutues en l’air. Bon nombre d’entre eux auraient eu des fermes plus productives et bien moins usantes en faisant plus de maraîchage, en ayant moins de grands animaux, et en envisageant d’autres modes de fertilisation que le fumier de vache.
      Et je crois aussi que si autant de paysans ont soit laché leur activité, soit se sont jetés les yeux fermés dans la mécanisation à cette époque, sans trop penser à ce qu’il y perdaient, c’est aussi parce-que cette vie-là était usante. C’est quelque-chose qu’il ne faut pas oublier.

    • @aude_v

      c’est que c’était gratifiant pour lui, c’était une relation dans laquelle il trouvait à se nourrir humainement

      Honnêtement je sais pas. Je pense qu’en grande partie c’était parce-qu’il n’avait pas idée de faire autrement. Comme la plupart des autres paysans autour de lui.
      C’est vrai qu’il y a une relation entre le paysan et ses bêtes, mais je ne sais pas si on peut vraiment la qualifier de symbiose dans le sens où je ne sais pas si les bénéfices réciproques compensent ce que chacun perd : sa santé et sa vie familiale ou sociale pour l’éleveur ; sa liberté et sa vie tout court pour l’animal.

      C’est vrai que le monde paysan a reçu plein d’injonctions contradictoires depuis 150 ans. C’est vrai aussi que beaucoup de vegans et de néo-ruraux ont des savoirs agronomiques purement théoriques parfois assez faibles, et croient avoir beaucoup à enseigner à des paysans qu’ils prennent de haut. Là-dessus je rejoins tout à fait tes constats.
      D’un aute côté, le savoir paysan (du moins les reliques qu’il en reste aujourd’hui) contient un mélange de savoirs très précieux mais aussi d’idées fausses. Sans être moi-même végan (je mange de la volaille des oeufs et du poisson, je peux tuer moi-même les animaux que je mange), je reste convaincu qu’élever du grand bétail peut être une source d’aliénation très lourde selon la façon dont on s’y prend, et qu’il y a là des choses à repenser.
      De même que je reste convaincu que si tous les végans de nos contrées cultivaient leur lopin en étant amenés à lutter contre des pullulations de limaces menaçant leur subsistance, un certain nombre d’entre eux cesseraient d’être antispécistes voire deviendraient parallèlement éleveurs de canards :-)

    • Merci pour ce fil de commentaire passionnant @aude_v @koldobika

      Les végan-e-s avec qui j’ai pu discuter longuement sur un forum ne s’intéressent pas particulièrement au jardinage, ni plus largement à la production (végane), ni plus largement à la gestion des paysages, ni plus largement à un scénario d’alimentation et d’énergie.

      Je pense que c’est parce que ce sont majoritairement des consommateurs/trices urbain-e-s, mais on me taxe de procès d’intention, ce qui n’est peut être pas faux, et il y assurément le biais du forum de discussion.

      Ce qui me surprend chez les vegan-e-s, c’est que leur rêve, au delà de l’abolition du spécisme, c’est d’avoir un magasin vegan ouvrir dans leur ville, plutôt que d’être entouré-e-s d’une abondance végétale comme chez les adeptes un peu dingues de la permaculture.

      (premier essai de neutralisation du langage, ça fait bizarre)

    • oui @aude_v j’évite de discuter de spécisme sur l’autre forum, je suis omivore et c’est manifestement intolérable là bas. Je suis assez d’accord avec la perception que vous avez des problématiques sur la gestion des paysages, la culture paysanne et tout cela.
      Les vegan·e·s sont en effet souvent issus du mode de vie urbain et ont un rapport très anthropomorphique avec les animaux. En ville on a des animaux dits « de compagnie » qui ont une fonctionnalité affective alors qu’en milieu rural les animaux sont « domestiques », ils travaillent et sont elevés pour leurs viande/lait/oeufs/miel...
      Pour plus de détails là dessus je conseil la lecture de cet article que j’ai deja posté plusieurs fois sur @seenthis
      http://terrain.revues.org/2932

      J’ai rencontré quant même de rares vegans qui ont une approche plus compatible avec les problématiques qui sont soulevé dans cette discussion. Le fait de ne pas manger de produits animaux m’ont ils expliqué est pour des raison écologiques (le cout en eau très important) et l’aspect antispéciste est plus secondaire chez eux (c’était des hommes c’est pour ca que je ne féminise pas mais j’imagine qu’il doit y avoir des femmes dans le même cas).

      Par rapport à l’idée de libération des animaux domestiques, c’est sur que dans cette éventualité il y aura une grosse mortalité mais les animaux sont pas si stupides, les poules y compris et ils finirons par évolué (muter) et s’adapté, ca ne sera plus des vaches, poulets et autres mais ca fera quant même des animaux sauvages. Certains disparaitrons, d’autres deviendrons anthropophiles et on les exterminera parcequ’on aime pas les animaux anthropophiles qu’on considèrent comme des parasites (souris, rats, cafards...), d’autres deviendrons sauvages dans la mesure ou on leur laisse un peu d’espace.

    • @aude_v

      si on libère les animaux, ils ne vont pas aller vivre leur vie dans la forêt, ils vont mourir.

      Oui oui, je ne disais pas le contraire. L’approche vegan comprendrait la disparition à terme des animaux domestiqués, qu’on laisserait « mourir de leur belle mort » comme me le disait une végane avec qui j’en avais discuté. Tout ça fait totalement abstraction de la co-création écouménale (cf http://seenthis.net/tag/person:augustin%20berque) entre l’humain et les animaux domestiqués, comme en parlait Jocelyne Porcher (même si cette co-création n’engendre pas systématiquement du bien et est à nuancer d’après moi pour les raisons que je citais plus haut, notamment concernant le grand bétail).
      Cela dit comme le rappelle @mad_meg il existe aussi chez les animaux domestiqués une capacité à se « réensauvager », dans la mesure où il s’agit encore de races paysannes que la zootechnie n’a pas transformés en automates comme on en parlait ici http://seenthis.net/messages/211304#message213850
      Concrètement je vois mal des poules poules Warren se réensauvager, par contre j’imagine mieux des Gasconnes et encore mieux des Pérettes ou des Landaises (qui volent et dorment dans les arbres)
      Idem une vache Prim’Holstein shootée aux hormones de lactation avec des pis qui touchent par terre ne survivrait pas dans la montagne comme peut le faire une Betizu. etc.

    • la capacité des animaux domestiqués à se réensauvager est appelée marronnage http://fr.wikipedia.org/wiki/Marronnage_(animaux)

      Les espèces pour lesquelles le marronnage est le plus fréquemment observé, sont notamment le cheval : observé sur les cinq continents, la chèvre sur de nombreuses îles, en Australie, le porc et le chat (on utilise pour cette espèce l’expression chat haret). Ces espèces semblent s’adapter sans délai à la vie sauvage.

      Certaines espèces révèlent ainsi en plus de l’aptitude à la vie sauvage conservée durant la période domestique, l’adaptation aux climats dont elles sont originaires avant leur domestication : le dromadaire en Australie mais aussi l’âne en climat désertique dans ce même pays ainsi que dans certaines régions des États-Unis comme la vallée de la Mort. Des chameaux (dromadaires) vivent librement en troupeaux de plusieurs centaines de tête dans la région du Sahel où ils transhument au gré des pluies. C’est aussi le cas en climat tropical de la pintade (aux Caraïbes) et de la poule ; celle-ci s’observe entre autres en Floride, Polynésie française, à la Réunion, ou à Hawaii.

    • oui ça semble relever de la même étymologie

      Le mot vient de l’espagnol « cimarrón », qui servait d’abord à désigner les animaux domestiques retournés à l’état sauvage. Le terme est principalement employé pour la fuite d’un esclave en Amérique et aux Antilles (Nègre marron), et retrouve son utilisation initiale, en concurrence avec le terme « féralisation » qui est un anglicisme.