[Judith Butler] s’inquiète toutefois davantage des raisons du succès de tous ceux qui caricaturent son travail. "En France, les craintes suscitées par la légalisation du mariage gay touchent au cœur une identité nationale fondée sur des images plutôt fixes et traditionnelles de la famille, de la masculinité et de la féminité", avance-t-elle. Au fond, les manifestants français sont essentiellement mus par la peur du désordre. La “théorie du genre”, poursuit-elle, a été assimilée dans l’esprit de ses détracteurs à une "absence de règles". En semant le doute sur les réalités biologiques de la différence sexuelle, ces idées ont créé un vide qui semblait menacer à la fois la famille et la nation.
En d’autres termes, pour beaucoup de Français, la “théorie du genre” est simplement synonyme de chaos. Et les craintes que suscite ce chaos sont compréhensibles aujourd’hui. Alors que leur économie vacille ainsi que leur socle industriel, que le chômage augmente et que la productivité diminue, qu’ils se voient assiégés par la mondialisation et que leurs institutions nationales sont supplantées par l’Union européenne, rarement les Français ont été aussi divisés sur l’identité de leur pays et si déprimés par leurs perspectives d’avenir.
Pour Judith Butler, les problèmes structurels de la France redoublent leurs inquiétudes sur la sexualité et le genre. Incapables de stabiliser leur économie nationale, les manifestants "résument ces problèmes au besoin de stabiliser l’hétérosexualité". Pour l’heure, et au grand soulagement des manifestants, le modèle traditionnel de la famille avec papa et maman demeure, dernier rempart contre de sombres puissances mondiales. Si la "théorie du genre" n’a pas bien passé l’épreuve de la traduction, la faute en revient peut-être à tous ceux qui ont voulu mettre un nom sur ces forces maléfiques.