@koldobika OK, tu as peut-être raison. Je ne connais clairement pas assez son œuvre pour te répondre. Quant à Hervé Kempf, il faudrait que je penche dessus...
Par contre, @rastapopoulos, en parcourant tes liens je vois que lui sont fait un certain nombre de procès qui m’apparaissent particulièrement de mauvaise fois. J’ai absolument pas envie d’être son avocat, et j’en serai bien incapable du reste, mais je me contenterai malgré tout d’apporter quelques éléments de réponse pour tenter de porter la contradiction, sans volonté aucune de clore le débat (qui à mon avis repose en partie sur un manque de définition en commun, en particulier de démocratie, et technique pour dire vrai).
Est donc d’abord fait à Stiegler un procès d’antidémocrate. Ça me semble un peu fort de café... Je me contenterai de le citer :
[...] je ne suis pas sûr que nous vivions aujourd’hui réellement dans une démocratie, car celle-ci est précisément, en son principe même, ce qui repose sur la participation qui fait si grandement défaut. Une démocratie est participative ou n’est rien. C’est ce que j’ai appelé le pléonasme de la démocratie participative - qu’a pratiqué Ségolène Royal en omettant de poser la vraie question : pourquoi la démocratie actuelle n’est-elle plus participative, et tend-elle à être perçue du même coup comme une fiction, ou les hommes et les femmes politiques ne représentent plus, du même coup, les citoyens ?
[...]
Ce qui changerait, par conséquent, si était relancé un projet démocratique tel que nous l’appelons de nos vœux, c’est à dire tel qu’il reconstituerait de la participation non seulement dans la vie politique, mais dans la vie économique et sociale dans tous ses aspects, ce serait la réapparition d’un processus de sociation, c’est à dire d’un processus d’individuation psychique et collective) reposant en l’occurrence sur le développement systématique du milieu technogéographique associé qu’est internet. Ce réseau est l’infrastructure d’un nouveau monde industriel et forme un milieu technique qui rend possible de nouveaux types de relations entre les citoyens - permettant en l’occurrence de dépasser l’opposition producteur/consommateur. Et je reprends à mon compte les idées de Pekka Himanen sur ce qu’il appelle « l’éthique hacker », qui désigne un nouvel esprit économique et social engendré par l’apparition de la technologie relationnelle que supporte le réseau formé par le protocole internet. L’éthique protestante (à laquelle Himanen compare l’éthique hacker) fut elle aussi engendrée par l’apparition d’une technique relationnelle : l’imprimerie. La question qui se pose de nos jours aux hommes politiques est de même nature que celle que résolut Jules Ferry. Celui-ci posa en principe que l’écriture qui s’était socialisée dans le monde du commerce et de la production du fait du développement de l’imprimerie devait désormais devenir accessible à tous et former une démocratie industrielle. C’est ce qui rendit possible la société de ce que l’on a appelé le deuxième esprit du capitalisme (qui fut aussi celui de l’État-providence). L’une des nombreuses différences entre ces deux processus est évidemment leur vitesse : la socialisation du numérique est foudroyante. C’est l’une de nos difficultés.
▻http://grit-transversales.org/article.php3?id_article=170
Types de discours qui, si j’ai bien compris, amènent au deuxième procès qui lui est fait : celui de technophile voire de technolâtre. Sur ce point, deux choses : premièrement, Stiegler ne peut à mon sens précisément pas être qualifié de technophile, -lâtre ou même -phobe puisque qu’il part de l’observation que nous sommes des êtres technicisés depuis la maitrise du feu en gros. Le feu, la brouette, la voiture ou l’ordinateur : tous sont des prothèses techniques de l’homme. Ce qui m’amène au deuxièmement : plutôt que s’intéresser aux techniques (et on retrouve sans doute là les réserves de @koldobika ainsi que les tiennes dans ton commentaire, cf avant dernier lien, qui me semblent plutôt bienvenues mais ne suffisent pas, sans doute es-tu d’accord, à le disqualifier), il s’intéresse à ses usages, bon ou mauvais. Principe (martelé si l’en est) du pharmakon, justement l’une des pierre angulaire de sa philosophie et qui par définition empêche de penser la technique ou son usage en phile/phobe/âtre. À partir de là, j’insiste, je ne vois aucune raison de ne pas critiquer vigoureusement ce postulat (et encore une fois, ce que tu fais avec à-propos) mais qualifier nonchalamment Stiegler de technolâtre me semble particulièrement hors de propos et trahi au mieux une forte incompréhension et au pire beaucoup de mauvaise fois...
J’aurai bien une hypothèse sur sa capacité à irriter certaines foules de gauche. Mais d’abord là je manque de temps, et ensuite je ferai bien d’y réfléchir encore un peu...