• De la "colonisation discursive"

    « C’est par la production de cette "différence du tiers-monde" que les féminismes occidentaux s’approprient et "colonisent" les complexités et les conflits fondamentaux qui caractérisent les vies des femmes de classes, de religions, de cultures, de races et de castes différences dans ces pays.... » (#Chandra_Mohanty).

    #feminisme

  • Les conséquences du succès sioniste pour le « problème juif »

    L’attitude sioniste consiste aussi à faire l’apologie du succès du mouvement en montrant ses conséquences bienfaisantes pour la situation des Juifs dans leur ensemble.

    Certaines de ces conséquences sont indéniables. Les succès économiques et militaires israéliens tendent à faire disparaître l’image traditionnelle du Juif comme être malingre, incapable d’effort physique et de vigueur constructive, rejeté par là vers un intellectualisme désincarné ou des activités sournoises, interlopes, malfaisantes.

    L’amélioration de leur image tend à liquider certaines angoisses, certains complexes des Juifs. Sur un plan plus concret, l’État d’Israël offre un refuge sûr (sauf en cas d’une concrétisation plus poussée de l’inimitié arabe) pour les Juifs persécutés ou brimés.

    Cependant, ces conséquences ne sont pas les seules. Le mouvement sioniste, créé par une poignée de Juifs et n’en ayant mobilisé qu’une minorité, a forcé, à partir d’un certain seuil, l’ensemble des Juifs à se déterminer par rapport à lui. La création de l’État d’Israël les a contraints à prendre parti, volens nolens, sur des problèmes de politique internationale moyen-orientale qui normalement les auraient peu intéressés. Les dangers qu’ont courus ou qu’ont cru courir les Juifs de Palestine les ont orientés, en grande partie, vers un sentiment de solidarité que les autorités sionistes et israéliennes se sont attachées à élargir et à utiliser. La propagande sioniste, dès le début, leur avait d’ailleurs présenté l’option sioniste comme un devoir, comme l’aboutissement normal de tendances latentes chez tout Juif. Israël, en maintes occasions, se proclame leur représentant. Dès lors, l’ensemble des Juifs a tendu à paraître aux yeux des autres comme un groupe de type national, ce qui semblait confirmer la dénonciation traditionnelle des antisémites.

    Cela a eu de graves inconvénients, en premier lieu pour les Juifs des pays arabes, auparavant communauté religieuse de langue arabe parmi d’autres, méprisée et brimée dans les pays les plus retardataires, mais sans graves problèmes, par exemple, dans les pays de l’Orient arabe. Dans l’atmosphère de la lutte israélo-arabe, il était inévitable qu’on les soupçonnât de complicité avec l’ennemi, et la plupart ont dû quitter leur pays. De même, cela a fait naître des soupçons à l’égard des ressortissants juifs des États communistes qui avaient pris une position vigoureuse en faveur des Arabes. Ces soupçons nouveaux ont été utilisés par certains politiciens, tout comme les restes vivaces de l’antisémitisme populaire, dans des buts de politique intérieure et ont abouti, en Pologne, à un véritable regain antisémitisme organisé.

    En dehors même de ces cas, dans les pays où le « problème juif » était en voie de liquidation, l’identité juive a été maintenue pour beaucoup de Juifs qui ne le désiraient nullement : ceux qui jugeaient qu’une ascendance plus ou moins commune, des vestiges culturels très souvent fort minces et en voie de dépérissement, surtout une situation commune à l’égard des attaques antisémites et des efforts de séduction du sionisme (les unes en décroissance pour le moins et les autres souvent repoussées) ne justifiaient pas l’adhésion à une communauté spécifique de type ethnico-national. Les conséquences du succès d’Israël entravaient ainsi fortement les efforts d’assimilation en voie de réussite globale.

    Pour les Juifs même, en nombre réduit, qui, dans ces pays, étaient attachés au judaïsme religieux et à lui seul, et désiraient une assimilation sur tous les autres plans, cette situation aboutissait à donner une coloration nationale à leur option communautaire ou existentielle. Cela d’autant plus que le succès d’Israël revivifiait tous les éléments ethniques de la vieille religion juive, écartant celle-ci des tendances universalistes, elles aussi vivaces depuis l’époque des prophètes. Le judaïsme religieux, longtemps opposé au sionisme, s’y était rallié peu à peu.

    Éléments de jugement éthique

    L’ensemble de ces éléments de fait ne saurait suffire à asseoir un jugement éthique qui implique forcément aussi une référence à des valeurs choisies. Le sionisme est un cas très particulier de nationalisme. Si une critique de type purement nationaliste est désarmée devant lui, par contre une critique universaliste est intellectuellement plus fondée. Par définition, elle ne peut se borner à mettre en balance les avantages et les inconvénients du sionisme pour les Juifs. Elle soulignerait surtout, en dehors des conséquences générales de la définition nationaliste de l’ensemble juif, le tort considérable fait au monde arabe par le projet réalisé du sionisme politique centré sur la Palestine : aliénation d’un territoire arabe, cycle de conséquences conduisant à la subordination et à l’expulsion d’une partie très importante de la population palestinienne (on voit mal comment le projet sioniste aurait pu réussir autrement), à une lutte nationale détournant beaucoup d’énergies et de ressources du monde arabe de tâches plus constructives, ce qui paraît avoir été inévitable à une époque de nationalismes exacerbés et de lutte violente contre toute espèce d’entreprise coloniale.

    Une critique des méthodes du sionisme est inopérante et insuffisante en elle-même. L’analyse objective ne peut que renvoyer dos à dos l’idéalisation intempérante du mouvement par les sionistes et leurs sympathisants et la « diabolisation » non moins forcenée à laquelle se livrent souvent leurs adversaires. Le mouvement sioniste, divisé en nombreuses branches divergentes, a les caractéristiques normales de tout mouvement idéologique de ce type. Elles évoquent souvent celles, notamment, du communisme. Les organisations sionistes ont employé les méthodes habituelles, certains groupes et certains hommes agissant avec plus de scrupules que d’autres pour atteindre leurs visées. On peut trouver des cas d’abnégation et d’exploitation personnelle de l’idéologie, des exemples de brutalité et d’humanité, des cas de totalitarisme entièrement axé sur l’efficacité et d’autres où les facteurs humains ont été pris en ligne de compte.

    Naturellement, toute critique universaliste du nationalisme en général vise aussi le sionisme. On y retrouve toutes les caractéristiques déplaisantes du nationalisme et d’abord le mépris du droit des autres, déclaré et cynique chez les uns, masqué chez les autres, souvent transfiguré par l’idéologie et rendu ainsi inconscient chez beaucoup, déguisé à leurs propres yeux sous des justifications morales secondaires.

    Maxime Rodinson

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2010/11/quest-ce-que-le-sionisme.html