Prise de dette sur la sortie de l’euro

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    « Demain matin nous sortons de l’euro. [...] Ça fait du jour au lendemain 400 milliards d’euros de dette ! »

    Benoist Apparu, député UMP, le 9 décembre sur France 2
    « Vous ne connaissez pas votre droit international. Il y a une lex monetae, une loi de la monnaie. Aujourd’hui, 85% de la dette publique est libellée en contrats de droit français. [...] L’augmentation de la dette sera minime, de l’ordre de trois points de PIB. »

    Florian Philippot, vice-président du Front national, répondant à Apparu dans la même émission

    INTOX. La sortie de l’euro (ainsi que son coût éventuel et ses conséquences) sera un des débats qui nourrira la campagne des élections européennes de mai. En décembre, sur France 2, les différents acteurs politiques ont commencé à roder les argumentaires. C’est Benoist Apparu (UMP) qui a ouvert les hostilités, face à Florian Philippot (FN) : « Faisons un petit calcul très simple. Demain matin, nous sortons de l’euro. Si je regarde le programme du Front national, on dévalue immédiatement de 20 à 25%. Quelle est la dette française aujourd’hui ? Deux mille milliards d’euros, dont je rappelle que les deux tiers sont détenus par des étrangers, soit 1 300 milliards. On les remboursera obligatoirement en euro. Or 25% de 1 300 milliards, ça fait du jour au lendemain 400 milliards d’euros de dette ! » A quoi Philippot répond : « Vous ne connaissez pas votre droit international. Il y a une lex monetae, une loi de la monnaie. Aujourd’hui, 85% de la dette publique est libellée en contrats de droit français. Et donc si on change de monnaie, on remboursera en monnaie française, monsieur Sapir l’explique très bien. Et donc l’augmentation de la dette sera minime, de l’ordre de trois points de PIB. »

    DESINTOX. Que deviendrait la dette publique française en cas de sortie de l’euro ? Devrait-elle être majoritairement remboursée en euros, comme le dit Benoist Apparu ? La France pourrait-elle, comme l’affirme Florian Philippot, s’appuyer sur la « loi monétaire » pour la rembourser en francs dévalués ? Le FN, après avoir longtemps partagé l’argument de ses adversaires (lire ci-contre), s’appuie désormais sur l’analyse de l’économiste Jacques Sapir, qui reprend lui-même l’étude d’une banque japonaise, Nomura, parue en janvier 2012. Celle-ci se proposait de mesurer les risques encourus par les investisseurs dans l’hypothèse d’une sortie de la zone euro de plusieurs pays. Elle pose le postulat juridique qu’un pays, selon la loi monétaire, pourrait rembourser sa dette publique dans une nouvelle monnaie, si les obligations ont été émises sous un contrat de droit local. L’étude estime que tel est le cas pour 85% de la dette publique française. D’où ce nouveau calcul, effectué d’abord par Jacques Sapir, puis repris par le FN : la France ne devrait donc plus rembourser en euros que 15% de sa dette. Soit, dans l’hypothèse d’un « nouveau franc » dévalué de 20%, un accroissement de la dette publique d’environ 60 milliards d’euros, c’est à dire 3% du PIB.

    Depuis, l’un des auteurs de l’étude de Nomura, l’économiste danois Jens Nordvig, a même poussé l’argument plus loin : joint par Libération, il explique que, selon ses dernières informations, la dette publique française est même désormais émise à 97% sous contrat français. Interrogée par Libération, une source du Trésor juge ce chiffre « plausible ». Mais cela permet-il d’affirmer que cette part ultramajoritaire de la dette pourrait être remboursée en francs ? Plusieurs experts interrogés estiment correcte « en théorie » l’analyse juridique de Nomura reprise par Philippot. A Bercy, une source estime ainsi « douteux » l’argument d’Apparu : « Au plan du droit, que le détenteur de la dette soit résident ou pas ne change rien. Si la dette devait être remboursée dans une autre monnaie que celle dans laquelle elle a été émise, tous les créanciers seraient fondés au nom de la rupture du contrat à attaquer en justice. »

    L’idée selon laquelle la part de la dette détenue à l’étranger serait automatiquement remboursée en euros et celle détenue en France remboursée en « nouveaux francs » paraît donc « peu fondée ». Rejoignant l’analyse de Nomura, un économiste d’une grande banque internationale créancière reconnaît que la juridiction du contrat serait un critère en cas de contentieux : « La dette émise en droit français serait attaquable dans la mesure où la dette n’est pas remboursée dans la devise d’émission. Mais devant des tribunaux français, je pense effectivement, si les clauses sont bien écrites, que les plaignants auraient peu de chances d’être entendus. »

    Mais le même insiste sur l’aspect « très virtuel » du débat. Ne serait-ce que parce qu’une sortie de la France de l’euro... impliquerait probablement la disparition de l’euro, et que les problèmes se poseraient alors dans d’autres termes. « C’est une approche théorique et de peu d’importance au regard des bouleversements qui interviendraient dans un pareil scénario », ajoute-on au Trésor. Une conversion forcée de la dette publique en nouveaux francs, possible juridiquement, ne peut être isolée de ses conséquences : défiance des investisseurs, explosion des taux d’intérêt (et donc potentiellement de la dette à venir). Jacques Sapir en convient. Ouvrant un autre débat, il estime que la France devrait alors trouver un moyen de ne plus faire appel aux marchés internationaux. Et tous de s’accorder que ce débat juridique, posé par Apparu et Philippot, n’éclaire que très partiellement les enjeux d’une sortie de l’euro.

    Une conversion récente

    En juin, sur son blog, l’économiste Jacques Sapir n’y allait pas de main morte : « manipulation », « mauvaise foi ». L’objet de son courroux ? L’affirmation par la revue économique du PCF qu’en cas d’abandon par la France de la monnaie unique européenne, la part extérieure de la dette (65 %) devrait être honorée en euros. La critique paraît véhémente sur un sujet où il y a encore un an, tout le monde disait la même chose. Lui compris. « Si on est dans le scénario d’une sortie isolée, alors la part de la dette détenue par les non-résidents augmentera, écrivait Jacques Sapir à l’époque. Comme on a 66 % de la dette détenue par des non-résidents, si le franc dévalue de 20 %, cela signifie un accroissement de 13,2 % de la dette publique. » Le Front national en convenait mot pour mot dans son programme de 2012. Ce n’est que récemment que Jacques Sapir (et le FN à sa suite) a viré de bord. L’explication étant la publication début 2012 - puis la lente diffusion - d’une étude de la banque japonaise Nomura, donnant une nouvelle approche juridique. Et un nouvel argument aux détracteurs de l’euro.

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