Il y a un passage sur le Drouant, resto dans lequel se passe les prix Goncourt et Renaudot. Grandes cérémonies de l’invisibilisation des femmes. Renaudot qui a primé #matzneff en 2014
Aujourd’hui, Stéphanie ne regrette pas sa démarche. « Mais c’est dur de trouver du taf avec un prud’hommes sur le dos, car les gens considèrent que tu es procédurier. »
C’est le risque que prend Thomas*. À 28 ans, l’ancien sous-chef a saisi en juin dernier les prud’hommes de Paris pour travail dissimulé, rappels de salaire, non-respect des temps de repos, manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, harcèlement moral, contre son dernier employeur, la société Drouant.
De mi-mai 2018 à décembre 2019, il a travaillé au sein du prestigieux restaurant parisien, le Drouant, à deux pas de l’opéra Garnier, et célèbre pour accueillir chaque année les jurys de deux prix littéraires, le Goncourt et le Renaudot. En cuisine, c’est le chef Émile Cotte qui règne depuis 2018.
Dans sa saisine du conseil des prud’hommes, Thomas, que Mediapart a rencontré, décrit un rythme de travail dantesque, allant jusqu’à provoquer un « malaise dans la rue » et « une fracture de fatigue ». Selon le cuisinier, il était fréquent qu’il effectue des journées de 9 heures à 20 heures, voire minuit, « sans pause le midi pour déj et le soir pour dîner », et « pas de pause l’après-midi, à peine le temps pour aller aux toilettes ». Il accuse aussi le chef d’avoir tenu devant lui des propos « humiliants, vexatoires, à caractère homophobe ».
Thomas, qui est homosexuel, n’en était pas à ses débuts quand il arrive chez Drouant. Il avait déjà travaillé pour Cotte, et cela faisait plusieurs années qu’il travaillait dans la restauration. C’est après la réouverture du restaurant, un temps fermé pour travaux, à l’automne 2019 que Thomas n’a plus supporté. Il évoque des violences physiques – des « pincements aux bras, aux pectoraux », confirmés par plusieurs témoins –, des cris, des insultes.
« Des gens ont peur, moi je ne veux plus, dit Thomas. Cotte est un très bon cuisinier, mais en terme de management, c’est “marche ou crève” ».
Pour corroborer son récit, Thomas produit plusieurs messages envoyés par Émile Cotte et consultés par Mediapart : ce dernier parle de lui à plusieurs reprises comme du « PD ». Dans un message, il dit : « PD et negros inclus. L’ensemble du personnel. » Un jour de février 2019, Thomas est malade, son chef lui écrit sur Messenger : « Ça va mieux aujourd’hui ? / Tu as du sucer une queue pas propre, gros dégueulasse. » Le 7 décembre 2019, Thomas est en arrêt : « Comment ça va le PD / Pas mort. » Le 9 janvier 2020 : « Alors alors pas mort encore / toujours des morilles sur le bout du gland. »
« Le plus souvent, pour être tranquille, je laissais passer, explique Thomas. C’est un engrenage, surtout avec cette hiérarchie qu’on connaît en cuisine. » En défense, Drouant produit d’ailleurs plusieurs échanges entre Thomas et le chef, laissant apparaître une forme de camaraderie.
Dans un autre message, le chef parle de « puputtes ». Un mot qu’une autre ancienne de chez Drouant, interrogée par Mediapart, se rappelle avoir entendu. Plusieurs ex-collègues de Thomas ont d’ailleurs accepté de témoigner dans le cadre de sa procédure.
« Les femmes subissaient aussi des blagues grivoises », raconte Thomas. Deux ex-salariées du restaurant nous l’ont également raconté. Interrogé par Mediapart, Émile Cotte se défend de « toute accusation de violence ou de discrimination ». Il évoque une « amitié de sept ans » avec Thomas, qui s’est brutalement terminée l’hiver dernier ; il parle de lui comme d’un « très bon pro » et qu’il était, avec lui, « dans l’état d’esprit d’un grand frère ».
Et quand on l’interroge sur les reproches faits par Thomas, et par certains de ses collègues, Émile Cotte indique qu’il est « conscient d’être parfois dur et exigeant », et que les horaires de travail ont pu être « importants ». « C’est un métier parfois difficile et stressant. Mais c’était ma troisième ouverture pour le groupe et jamais je n’ai reçu la moindre plainte », explique-t-il.
Quant aux messages produits par Thomas, il s’agit, d’après lui, « d’échanges privés, grivois, de franche rigolade ». Il envisage simplement avoir pu « peut-être être maladroit ». « Je peux passer pour le rugbyman bourru, je ne sais pas… Mais je n’ai jamais eu de volonté de nuire à quiconque », affirme encore Émile Cotte.
La société Drouant, elle, rapporte que Thomas n’a jamais remonté la moindre alerte avant le premier courrier envoyé par son avocate, et qu’« alors que Émile Cotte a travaillé dans plusieurs de nos établissements, personne n’a jamais rapporté de violences en cuisine ». Quant aux messages figurant au dossier, ils relèvent, selon Drouant, d’une relation d’ordre privé : « Nous, employeurs, ne pouvons nous ingérer dans une relation personnelle », explique la DRH Nathalie Lemoine.
L’audience aux prud’hommes pour Thomas est prévue le 19 janvier prochain.