• Le Philharmonique de Berlin, modèle d’organisation sociale (Le Figaro, Christian Merlin, 01/08/2012)
    http://www.lefigaro.fr/musique/2012/08/01/03006-20120801ARTFIG00242-le-philharmonique-de-berlin-une-utopie-musicale.p

    Le meilleur #orchestre du monde ne marche à la baguette que pendant les concerts. Pour le reste - recrutement, choix des programmes, enregistrements - la vie de la formation repose sur l’autogestion.

    L’Orchestre philharmonique de Berlin n’est pas seulement l’étalon-or de la qualité musicale, une Rolls des orchestres symphoniques. C’est aussi un modèle d’organisation sociale, à la fois séculaire et complètement en phase avec l’époque moderne, un orchestre qui compte 288.000 amis sur Facebook. Là où la plupart des musiciens, notamment français, entretiennent avec leur admi­nistration un rapport d’employé à patron, les « Berliner Philharmoniker » décident eux-mêmes de leur destin, en totale autogestion. Même lorsque le tout-puissant Herbert von Karajan était à leur tête, les musiciens lui rappelaient régulièrement qu’ils l’avaient élu et non nommé. Et ils ­mettaient déjà un point d’honneur à recruter eux-mêmes les nouveaux membres, en assemblée plénière et non en jury restreint : imaginez l’angoisse du postulant violoniste ou hautboïste, jugé par cette communauté de 128 musiciens. Ainsi, lorsque Karajan tenta en 1983 d’imposer la clarinettiste Sabine Meyer, l’orchestre, dont elle n’avait pas recueilli la majorité des voix, se rebella et le chef dut faire machine arrière.

    Aujourd’hui plus que jamais, les Berliner tiennent à leur indépendance. Leur chef actuel, Simon Rattle, a tout fait pour la leur garantir, en militant voici dix ans pour que l’orchestre obtienne le statut de fondation de droit public. Selon l’administrateur Martin Hoffmann, ce statut a marqué « un grand pas en avant pour les musiciens, qui ont préféré perdre en sécurité plutôt que dépendre uniquement de l’État fédéral ».

    Alors que les subventions de l’État et de la ville de Berlin n’ont même pas été indexées sur l’inflation, l’orchestre, qui dispose d’un budget de 34 millions d’euros, est soutenu par des mécènes qui complètent les sources de financement. Mais ni Martin Hoffmann ni Simon Rattle ne prennent la moindre décision artistique sans que l’orchestre ait eu son mot à dire. Les Berliner, qui donnent 90 concerts par saison à Berlin et une quarantaine en tournée, pour un taux de remplissage moyen de 96 %, déterminent eux-mêmes les programmes, les lieux, les projets. Ils élisent l’un d’entre eux président (Vorstand) : il s’agit actuellement de Stefan Dohr, cor solo, un ogre souriant, que la maîtrise de l’instrument le plus périlleux semble avoir aguerri aux fonctions d’autorité. C’est lui, par exemple, qui règle les situations conflictuelles ou examine les demandes de congé des musiciens, qui donne son accord sur les tournées ou le choix des chefs. « Je suis à la fois employé et patron, dit-il, et s’il m’arrive d’être autoritaire, je ne dois jamais oublier que je ne suis que l’émanation de mes collègues. »

    Le trompettiste Guillaume Jehl, l’un des cinq Français de l’orchestre, ne cache pas son admiration pour la puissance de travail des Berlinois, impensable dans un orchestre français. « Les mentalités sont très différentes, constate-t-il. Je n’en reviens pas quand je vois Stefan Dohr arriver au concert et jouer comme si de rien n’était le solo excessivement difficile de la 5e de Mahler, alors qu’il sort de cinq heures de réunion à la mairie pour négocier les subventions ! »

    Aucun risque que l’autorité du président lui monte à la tête : le « conseil des 5 » est là pour y veiller. Le violoniste Christian Stadelmann en fait partie. Cet homme souriant et cultivé, grand bibliophile et collectionneur d’éditions rares, définit ainsi cette mini-assemblée : « Nous sommes une instance délibérative, présente pour soutenir le président dans les décisions difficiles et modérer son pouvoir. » Stadelmann a aussi une autre fonction : il enseigne à l’Académie du Philharmonique. Fondé par Karajan, ce centre de formation, longtemps unique au monde avant de faire des émules, permet à l’orchestre de préparer la relève en autorisant quelques jeunes boursiers triés sur le volet à étudier pendant deux ans avec des Philharmoniker tout en étant admis à jouer au sein de l’orchestre. C’est là que la violoncelliste française Solène ­Kermarrec compléta sa formation une fois quitté le Conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSM), avant d’intégrer les Philharmoniker sur concours.

    Aujourd’hui, le Philharmonique de Berlin est l’un des orchestres qui bénéficient de la couverture médiatique la plus forte. L’œuvre d’un as du marketing et des nouvelles technologies recruté à grands frais ? Ce serait mal connaître les Berliner ! Là encore, c’est un musicien qui est « délégué aux médias » : aucun contrat avec une maison de disques n’est conclu sans sa signature, aucune caméra ne filme l’orchestre sans son assentiment. Chargé de ce dossier depuis seize ans, le violoncelliste Olaf Maninger est l’inventeur de la retransmission sur Internet des concerts du Philharmonique : le Digital Concert Hall. L’idée lui est venue en faisant son jogging. « Je me disais : le marché du disque s’effondre, les chaînes de télévision nous rient au nez avec l’Audimat des concerts classiques. Que reste-t-il à faire ? Diffuser dans le monde entier les concerts du Philharmonique dans la meilleure qualité acoustique et visuelle. » Précédant et accompagnant la révolution Internet, il lança un programme destiné à rendre l’orchestre autonome : les Philharmoniker disposent aujourd’hui de leur propre studio d’enregistrement, de leurs propres équipes de réalisateurs et cadreurs, pour 30 retransmissions en direct par saison en haute définition et 150 enregistrements disponibles. Une salle de concerts virtuelle, qui permet de retrouver chez soi la Philharmonie de Berlin, l’un des meilleurs auditoriums symphoniques du ­monde.

    Une salle sur laquelle l’orchestre a la haute main. Si, à Paris, l’Orchestre de Paris n’est que « résident » à la Salle Pleyel, sans droit de regard sur la programmation des lieux, les Philharmoniker sont seuls maîtres à bord à la Philharmonie, se servant d’abord et déterminant quels orchestres invités ont le droit d’y jouer et à quelles dates. Tout en développant l’un des services éducatifs les plus performants au monde avec celui du London Symphony Orchestra. Grâce à des spécialistes du jeune public, certes, mais aussi sous la houlette des musiciens, à l’image du troisième cor Klaus ­Wallendorf, poète sous l’humour duquel on sent un homme d’une grande profondeur : ce grand ­facétieux n’hésite pas à mettre son instrument de côté pour devenir animateur des concerts familiaux, où son talent d’acteur et son sens de la formule font merveille. Lui comme le violoniste Christian Stadelmann sont parmi les anciens de l’orchestre. Ils ont assisté aux transformations artistiques du Philharmonique qui, sur 128 musiciens, compte 57 membres non allemands, de 25 nationalités différentes. Une chose n’a pas changé, selon eux : cette incroyable énergie qui leur donne encore aujourd’hui la chair de poule.

    #Radio_France_comme_orchestre

  • Le Philharmonique de Berlin, une utopie musicale
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    L’Orchestre philharmonique de Berlin n’est pas seulement l’étalon-or de la qualité musicale, une Rolls des orchestres symphoniques. C’est aussi un modèle d’organisation sociale, à la fois séculaire et complètement en phase avec l’époque moderne, un orchestre qui compte 288.000 amis sur Facebook. Là où la plupart des musiciens, notamment français, entretiennent avec leur admi­nistration un rapport d’employé à patron, les « Berliner Philharmoniker » décident eux-mêmes de leur destin, en totale autogestion.

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