mensuel sur l’actualité économique, l’autre regard sur l’économie et la société

https://www.alternatives-economiques.fr

  • Médicaments : comment on a organisé la pénurie | Gaëlle Krikorian
    https://www.alternatives-economiques.fr/gaelle-krikorian/medicaments-on-a-organise-penurie/00105858

    Notre société s’est organisée pour que les médicaments ne soient accessibles que si cela rapporte suffisamment à celui qui les commercialise. Cette phrase vous semble peut-être étrange et provocatrice, elle ne fait que décrire la réalité de l’économie actuelle des produits de santé. Nous avons ainsi créé, progressivement, les conditions de la pénurie ou du rationnement de produits essentiels, les conditions de la surconsommation de produits inutiles ou dangereux, les conditions de la création de résistances à des antibiotiques surprescrits ou surutilisés. Source : Alternatives économiques

  • « Nous n’en avons probablement pas fini avec l’inflation » | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/nen-avons-probablement-fini-linflation/00105874

    L’Insee vient de rendre son verdict : la croissance française a été de 2,6 % en 2022. Si l’activité a ralenti au dernier trimestre, l’économie française résiste plutôt bien à la conjugaison de la guerre, de la forte inflation et des tensions créées par la reprise après les moments forts de la pandémie.

    Comment explique-t-on cette résistance ? Va-t-elle se poursuivre ? Que nous réservent les mois qui viennent ? Entretien avec l’économiste Véronique Riches-Flores

    https://justpaste.it/d8md7

    A mon (humble) avis, il y a beaucoup d’incertitudes dans cette analyse.

    Juste que ça, ça me paraît inévitable :

    J’ajoute que les banques centrales, en particulier la BCE, n’ont pas commencé à sérieusement réduire leur bilan, c’est-à-dire à récupérer de manière conséquente les liquidités qu’elles ont distribuées ces dernières années. Cela nourrit des comportements spéculatifs sur les marchés financiers, concernant les matières premières en tout premier lieu.

    #spéculation #marchés_financiers #BCE #banques centrales

  • Malgré la fin du zéro Covid, la croissance chinoise s’enlise | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/malgre-fin-zero-covid-croissance-chinoise-senlise/00105919

    L’économie chinoise devrait enregistrer un rebond modéré en 2023. Confrontée à des défis durables, elle n’est cependant pas tirée d’affaire.

    Les crétins qui font de l’économie n’ont pas compris que le problème majeur de l’époque, c’est la croyance absurde que le covid peut être tout simplement ignoré.

    • En attendant, Les Échos ce matin :

      La reprise chinoise est là. Et plus rapidement qu’attendu. Alors qu’un tsunami épidémique a paralysé une large partie de la Chine en décembre, à la suite de l’abandon de la politique « zéro Covid », les indicateurs avancés témoignent d’une reprise de la croissance de la deuxième puissance économique mondiale dès le mois de janvier.
      L’indice des directeurs d’achat (PMI), reflet de la santé du monde industriel, s’est établi en janvier à 50,1 points, contre 47 un mois plus tôt, a annoncé le Bureau national des statistiques. Un indice supérieur à 50 signifie que la production est en phase de croissance. Hors industrie, le rebond est encore plus net, aidé par une poussée saisonnière de l’activité liée aux congés du Nouvel An lunaire propices à la consommation et au secteur du tourisme. Cet indice, qui couvre les services, a bondi de 41,6 points en décembre, à 54,4 points. […]
      Ces indicateurs confirment le scénario d’une reprise économique chinoise intervenant plus rapidement qu’attendu initialement. Le Fonds monétaire international (FMI) a d’ailleurs revu à la hausse ses prévisions de croissance pour la Chine en 2023 à 5,2 %, contre 4,4 % précédemment. La croissance bénéficiera cette année d’un puissant effet de base, après avoir fortement ralenti en 2022 (à +3 % officiellement) en raison des restrictions sanitaires.

  • Un entretien très riche avec l’économiste et historien, Denis Cogneau qui vient apporter de nouveaux arguments et résultats très documentés (à partir de la reconstitution de séries statistiques) sur l’économie et l’Etat colonial dans l’empire français. A lire absolument.

    « La France s’est offert un empire colonial bon marché » |
    https://www.alternatives-economiques.fr/france-sest-offert-un-empire-colonial-marche/00105844

    ❝« La France s’est offert un empire colonial bon marché »
    Le 28/01/2023

    Denis Cogneau professeur à l’école d’économie de Paris, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)

    L’économiste Denis Cogneau vient de publier Un empire bon marché. Histoire et économie politique de la colonisation française, XIXe-XXIe siècle (Seuil, 2023), résultat de quinze années d’enquête statistique et économique sur la colonisation française. Un livre passionnant et limpide d’histoire économique sur une période dont nous vivons encore les répercussions aujourd’hui.

    En plus de la somme d’informations offertes, l’intérêt de l’ouvrage tient au fait qu’il remet complètement en cause le célèbre travail de Jacques Marseille paru il y a pratiquement quarante ans dans Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce (Albin Michel, 1984). Là où Jacques Marseille décrit le fardeau financier que faisaient porter les colonies à la France, poussant les capitalistes à en sortir dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, Denis Cogneau montre qu’ils se sont accrochés jusqu’au bout pour maintenir leur présence coloniale et qu’au final, l’empire s’est révélé bon marché pour la France.

    L’esprit colonialiste de la IIIe République fait l’objet d’un consensus droite-gauche : quels étaient les arguments mis en avant ?

    Denis Cogneau : Il faut bien comprendre que l’on assiste alors à un renversement. La pensée politique libérale, qui domine à l’époque, conserve les traces de la critique du premier empire colonial de la France, mercantiliste et esclavagiste, dont la plupart des territoires ont été perdus après la guerre de sept ans (1756-1763) et la période napoléonienne. Puis, à mesure du développement de la révolution industrielle, l’idée d’une supériorité de la civilisation européenne s’impose, et on se convainc qu’il est possible et légitime de coloniser « libéralement », sans retomber dans les mauvaises pratiques du passé

    Y compris à gauche ?

    D. C. : La gauche de l’époque, ce sont les radicaux-socialistes, des individualités comme Clemenceau ! C’est sûrement le plus anticolonialiste, mais il ne sera pas suivi par le reste de son parti qui fournira des administrateurs coloniaux tout autant que les autres partis. Avant de devenir socialiste, Jean Jaurès se situe alors au centre, il est proche de Jules Ferry et de ses ambitions impériales. Il y a également un lobby colonial actif, soutenu par les commerçants marseillais, bordelais, etc., qui pense pouvoir faire du profit. Tout cela soutient le mouvement.

    Comment les économistes se sont-ils inscrits dans ce débat ?

    D. C. : Sur ce sujet, le libéral Paul Leroy-Beaulieu est l’économiste phare du moment. Il est l’auteur de De la colonisation chez les peuples modernes qui représente le manifeste économique de la colonisation. Le premier argument, principalement politique, peut se résumer ainsi : si on ne bâtit pas un empire, les autres grandes puissances, en particulier l’Angleterre, le feront, et la France sera dépassée. Par ailleurs, personne ne sait vraiment si cela sera une grosse source de profit, les régions sont pauvres, isolées du commerce mondial, mais cela fournira quand même des débouchés pour la production manufacturière et cela permettra d’importer des matières premières bon marché. Le saint-simonien Michel Chevalier, le beau-père de Leroy-Beaulieu, qui l’a précédé au Collège de France, rêvait d’un monde ouvert unifiant Europe, Afrique et Orient, reliés par les chemins de fer français.

    Des économistes comme Léon Walras ou Clément Juglar ne soutiennent pas particulièrement le projet colonial mais ne s’y opposent pas franchement non plus. Le plus farouche opposant est Auguste Comte, il juge la colonisation inacceptable. Cette opposition se retrouve aussi chez l’économiste pacifiste Frédéric Passy. Pour Tocqueville, plus la France retrouvera son honneur et sa fierté, plus sa démocratie sera préservée. Pour tous les libéraux, la violence de la conquête est un mauvais moment à passer avant que les autochtones comprennent les bienfaits de la présence française.

    La fin du XIXe siècle jusqu’en 1914 correspond à ce que l’on appelle la première mondialisation : l’empire colonial y jouait-il un rôle important pour la France ?

    D. C. : Juste avant la Première Guerre mondiale, la France est à l’apogée de sa puissance économique, elle a pu se tailler un vaste empire colonial, comparable en superficie à celui de son rival anglais. L’empire y joue cependant un rôle modeste : le capital investi dans les colonies ne représente que 10 % des actifs investis à l’étranger (c’est 15 % pour les Britanniques) et 2-3 % de la richesse mobilière (hors terres et logements) totale en 1914.

    Pour les entreprises, il n’y a donc pas eu de course à l’empire comme source de profits ?

    D. C. : Certains auteurs expliquent la volonté impériale par le nationalisme de l’époque et la quête de puissance, d’autres insistent sur l’avidité des capitalistes en quête de profits. Au-delà du fait que les deux motivations puissent être complémentaires, ma lecture est que les entrepreneurs français n’avaient pas de raison de ne pas tenter le coup.

    Dans la mesure où l’Etat assure le contrôle policier et engage les investissements nécessaires en infrastructures, le coût pour le privé n’est pas très élevé. Dans les colonies africaines, les deux tiers du capital investi sont publics et un tiers privé, la ligne transindochinoise qui traverse le Vietnam, est publique… Il n’y a pas eu de ruée des capitalistes français vers l’empire, ils ont juste profité de son existence.

    Pourtant, des fortunes se sont bâties sur la colonisation ?

    D. C. : Oui, mais il y a eu aussi de gros échecs ! Les négociants marseillais ont rêvé de faire de l’Algérie la nouvelle Saint-Domingue (Haïti) en y cultivant du sucre ou du coton. A la fin, le pays exportera du blé et du vin, des cultures pas vraiment exotiques. Certains ont beaucoup misé sur le caoutchouc dont l’utilisation est en plein boom mais la récolte de l’hévéa est très intensive en main-d’œuvre et, en Afrique équatoriale, cela va échouer à cause du manque de bras, avec d’énormes scandales humanitaires liés au travail forcé.

    A l’inverse, cela fonctionnera en Indochine, Michelin y possède des plantations, Edmond Giscard d’Estaing, le père du futur président, est très présent aux conseils d’administration de plusieurs entreprises coloniales. Autre grande réussite, les huiles Lesieur à partir de l’arachide du Sénégal : grâce à la coopération avec la confrérie mouride, l’arachide est exportée puis raffinée à Dunkerque. Le vin va très bien marcher en Algérie, non sans conflit avec les productions du sud de la France, mais le vin du Languedoc coupé avec celui d’Algérie sera la boisson des poilus de 1914. Ils fument aussi les cigarettes Bastos, qui proviennent d’une entreprise à capital moyen, créée par un colon espagnol installé en Algérie.

    Et pendant l’entre-deux-guerres ?

    D. C. : Entre la répudiation des emprunts russes et la crise des années 1930, la valeur des actifs s’effondre, l’empire colonial sert alors de matelas de sécurité. Les économies se referment sur elles-mêmes et, pour la France, cela signifie se replier sur son territoire et ses colonies. Le commerce avec l’empire représente alors presque un tiers des échanges extérieurs français, et les actifs coloniaux finissent par représenter environ 10 % de la richesse mobilière.

    Si l’on s’attelle au bilan de la colonisation sur un plan strictement financier, les dépenses publiques ont-elles coûté cher à la France ?

    D. C. : Entre 1830 et la Seconde Guerre mondiale, ce que le contribuable français débourse à travers les dépenses de l’Etat français dans l’empire correspond à 0,5 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne annuelle. C’est très peu pour un empire qui fait 20 fois la superficie de la France et dans ce « peu », il y a 80 % de dépenses militaires. Cela change après la Seconde Guerre mondiale, où l’on passe en moyenne annuelle à 3 % du PIB entre 1945 et 1962. Mais là encore, il y a 0,5 point de pourcentage de dépenses civiles et 2,5 points de dépenses militaires, entre la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie qui coûtent très cher. L’empire a commencé à réclamer beaucoup d’argent lorsque la France a voulu conserver ses colonies à tout prix.

    On ne peut pas dire que l’argent ait ruisselé de la France vers l’empire au détriment de la métropole, la France s’est offert un empire bon marché. Beaucoup d’impôts ont été prélevés sur place pour faire fonctionner l’Etat colonial : dans les années 1920, les recettes fiscales correspondent à environ 10 % du PIB des colonies, elles s’élèveront à près de 20 % dans les années 1950. C’est un niveau plus élevé que celui pratiqué dans des pays indépendants équivalents comme la Bolivie ou la Thaïlande. L’Etat coercitif, la peur du gendarme incitent à payer ses impôts. Il fallait avoir sa carte justifiant du paiement de l’impôt pour pouvoir travailler, se déplacer.

    La France a-t-elle contribué au développement des infrastructures économiques et sociales locales ?
    D. C. : Pour l’essentiel, la métropole a construit des routes, des trains et des ports, les infrastructures nécessaires aux exportations. Elle n’a pas cherché à développer le marché intérieur. Il y a aussi un petit côté pharaonique dans les projets développés par les ingénieurs français. Mais sans commune mesure avec tout ce qui a été réalisé en France : pour paraphraser un vieux slogan, la Corrèze est toujours passée avant le Zambèze !
    Au début du XXe siècle, la Creuse ou la Corse ne sont pas mieux électrifiées que l’Algérie, mais au milieu des années 1950, elles le sont beaucoup plus. La France a également investi dans les villes coloniales, là où habitaient les colons, elles ont l’adduction d’eau, l’électricité, les lampadaires, etc. Alors que l’irrigation et les routes rurales sont délaissées, mais pas autant dans la Creuse ou en Corse, sans parler du Finistère, ou de la Corrèze justement !

    Comment se comportent les entreprises après-guerre ?

    D. C. : Le patronat français n’a pas fui en masse. Il croit qu’il va pouvoir rester longtemps, même si les colonies prennent leur autonomie. Sa seule crainte est de voir progresser trop vite les droits sociaux. Il n’anticipe pas les nationalisations en Algérie et ailleurs. On voit des retours de capitaux très significatifs juste avant les indépendances, et aussi juste après, ce qui ne signifie pas forcément qu’ils reviennent en France, on sait qu’une partie s’est retrouvée en Suisse…

    Quel héritage économique a laissé la colonisation française ?

    D. C. : En Indochine, la rupture est forte, les dirigeants s’orientant vers un modèle de socialisme réel et réellement appliqué ! En Algérie, tout le monde est surpris par le départ massif et rapide des pieds-noirs, en Tunisie et au Maroc les colons français et les juifs autochtones partent un peu plus graduellement. En Afrique subsaharienne, les quelques colons ont tendance à rester, et le pouvoir, notamment par l’intermédiaire de Jacques Foccart, le conseiller de de Gaulle, organise une transition qui protège les intérêts français. Aujourd’hui, si la « Françafrique » n’a pas disparu, le poids de la France a quand même beaucoup diminué dans le commerce, les investissements et même l’aide au développement.

    Si l’on se place du côté des pays colonisés, l’héritage principal se trouve du côté des structures de l’Etat. Ils ont conservé un Etat fiscalement coercitif, autoritaire et inégalitaire, dualiste dans le sens où une petite élite publique bien rémunérée s’est glissée sans problème dans le costume des administrateurs français. Des figures de l’anticolonialisme comme René Dumont, Frantz Fanon et Samir Amin dénoncent ce que ce dernier va qualifier de « socialisme petit bourgeois ».

    Il n’y a jamais eu de convergence entre les pays de l’empire et la métropole. Si l’on revient à notre point de départ, la supposée mission civilisatrice de la France, on aurait pu s’attendre à ce qu’elle se traduise par des rapprochements en termes de bien-être matériel, d’éducation, de santé, etc. Cela n’a pas été le cas. Il y a eu quelques progrès, mais peu au regard de ceux enregistrés en métropole ou dans d’autres pays indépendants, il n’y a pas eu de « bonus » lié à l’appartenance à l’empire. Le bilan de la « mission civilisatrice » s’avère, in fine, très mauvais.

    Propos recueillis par Christian Chavagneux

    #économie #exploitation #impôts #empire #colonisation

  • Rapport Oxfam : tout roule pour les milliardaires | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/rapport-oxfam-roule-milliardaires/00105791

    A l’occasion du forum de Davos, l’ONG Oxfam publie son rapport annuel pour alerter sur l’évolution des inégalités et les concentrations extrêmes de richesses. En deux ans, les 1 % les plus riches de la population mondiale se sont deux fois plus enrichis que les 99 % restants.

    https://justpaste.it/4mft9

    #enrichissement #profiteurs_de_crise

  • Elinor Ostrom : une économiste pour le XXIe siècle | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/eloi-laurent/elinor-ostrom-une-economiste-xxie-siecle/00103648

    Il apparaît de plus en plus clairement que l’enjeu économique majeur de notre siècle est la réinvention de la coopération sociale en vue d’accomplir la transition écologique. Il y a dix ans presque jour pour jour disparaissait Elinor Ostrom, dont les travaux foisonnants ont éclairé cet enjeu d’une puissante lumière d’espoir.

    « Je suis née à Los Angeles, en Californie, le 7 août 1933, et j’ai grandi pendant la Grande Dépression. Heureusement, notre maison disposait d’une grande cour arrière où nous avons installé un potager et des arbres fruitiers. J’ai appris à cultiver des légumes et à mettre en conserve des abricots et des pêches pendant la chaleur de l’été. »
    Ainsi, Elinor Ostrom décrit-elle les premières années de sa vie, en mêlant subtilement épreuve sociale et ressources naturelles.

    De condition modeste, elle est la première de sa famille à accéder à l’université et parvient à financer ses cours à UCLA en travaillant pour s’engager immédiatement après dans la vie active sans entreprendre de trop onéreuses études doctorales.

    En butte au sexisme ordinaire de l’Amérique des années 1950, elle parvient à s’élever dans la hiérarchie d’une entreprise locale qui, selon ses dires, « n’avait jamais embauché une femme à un autre poste que secrétaire ». Elle décide alors de reprendre ses études universitaires, non sans mal. Voici le récit édifiant qu’elle fait de sa tentative d’entreprendre un doctorat d’économie :

    « Mes premières discussions avec le département d’économie de UCLA concernant l’obtention d’un doctorat furent assez décourageantes. Je n’avais pas suivi de cours de mathématiques en premier cycle parce que l’on m’avait déconseillé, en tant que fille, de suivre au lycée d’autres cours que l’algèbre et la géométrie. Le département d’économie m’ôta l’envie de toute réflexion sur la possibilité d’un doctorat. »
    « Le département de sciences politiques était également sceptique quant à l’admission de femmes à son programme doctoral, craignant pour sa réputation, poursuit-elle. J’ai cependant été admise [en sciences politiques], avec trois autres femmes, parmi 40 lauréats. Après avoir commencé notre doctorat, on nous a fait savoir que le corps enseignant avait eu une réunion houleuse au cours de laquelle notre admission avait fait l’objet de vives critiques. »
    Comment préserver les ressources naturelles

    On l’ignore généralement, mais l’un des tout premiers articles publiés dans la revue qui allait devenir pour longtemps la référence mondiale de la discipline économique, l’American Economic Review, a été écrit par une femme et portait sur les enjeux environnementaux. Katharine Coman se proposa en effet en 1911 d’examiner les problèmes d’action collective liés à l’irrigation dans l’Ouest américain, problèmes d’une actualité brûlante aujourd’hui et qui occuperont Ostrom au cours de son doctorat consacré à l’étude de la gestion de l’eau en Californie.

    Ostrom élargit progressivement son sujet pour répertorier puis analyser systématiquement les institutions qui permettent (ou ne permettent pas) une exploitation soutenable des ressources naturelles. Comment font les pêcheurs de homards du Maine, aux Etats-Unis, pour se répartir équitablement les droits de pêche tout en prenant soin de cette ressource halieutique qui est la garantie de leur niveau de vie ? Voilà concrètement ce qu’Ostrom veut tirer au clair.

    La révolution des communs dont elle sera à l’origine est à la fois une avancée, mais aussi une redécouverte de formes parfois très anciennes de coopération humaine dans le domaine des ressources naturelles (notamment la gestion de l’eau).

    Garett Hardin a montré en 1968 avec sa « tragédie des communs » que des individus n’écoutant que leur intérêt personnel courraient à la ruine collective en croyant s’enrichir, et que seules la privatisation des ressources naturelles ou l’intervention d’une autorité extérieure étaient en mesure de produire et d’imposer des normes pour infléchir ces comportements autodestructeurs, et sauvegarder la prospérité commune.

    Les travaux d’Ostrom (à commencer par Governing the commons : The Evolution of Collective Action, publié en 1990) vont démontrer, à l’inverse, que les institutions qui permettent la préservation des ressources par la coopération sont engendrées par les communautés locales elles-mêmes. C’est donc une double invalidation de l’hypothèse de Hardin : la coopération est possible, et elle est autodéterminée.

    Eviter la « tragédie des communs »

    Ostrom part d’une découverte fondamentale faite en laboratoire au moyen de « jeux » : les individus coopèrent beaucoup plus que ne le présuppose la théorie standard. Elle va vérifier cette intuition, sur le terrain, à travers le monde.

    Dans des centaines de cas minutieusement documentés, les humains parviennent à éviter la « tragédie des communs » en construisant des règles collectives dont les piliers sont la réciprocité, la confiance et la justice. Qu’il s’agisse de rivières à préserver de la pollution, de forêts qu’il faut exploiter raisonnablement tout en les entretenant, de poissons qu’il faut pêcher avec modération pour leur permettre de se reproduire, de la Suisse au Japon, des systèmes d’irrigation espagnols aux systèmes d’irrigation népalais, les humains se montrent capables de coopérer pour préserver, conserver et prospérer.

    A partir de ses observations de terrain, Ostrom va s’attacher à définir les grands principes, au nombre de onze, d’une gestion soutenable des ressources communes (pages 37-38).

    Expériences de laboratoire, travail de terrain, dispositifs empiriques, cadre théorique : Lin Ostrom jongle, à pied d’œuvre dans son Atelier de l’université de l’Indiana, avec les méthodes et les approches, entre science politique, psychologie sociale et études environnementales pour renouveler en profondeur la discipline économique et nous transmettre une formidable leçon d’espoir quant à la poursuite de l’aventure humaine sur la planète.

    Oui, l’intelligence collective humaine peut tout, à condition de comprendre que la technologie d’avenir dans laquelle nous excellons est l’innovation sociale. Lin résume le sens de ses travaux ainsi :

    « Concevoir des institutions pour contraindre (ou inciter) des individus parfaitement égoïstes à parvenir à de meilleurs résultats du fait de leurs interactions sociales a été l’objectif majeur assigné aux gouvernements par les chercheurs au cours du dernier demi-siècle. »
    « De substantielles recherches empiriques me conduisent à affirmer que l’objectif central des politiques publiques devrait plutôt être de faciliter le développement d’institutions qui font ressortir ce qu’il y a de meilleur chez les humains, estime-t-elle. Nous devons nous demander comment des institutions polycentriques variées peuvent décourager ou favoriser l’innovation, l’apprentissage, l’adaptation, la fiabilité, la coopération pour parvenir à des situations plus équitables et soutenables à des échelles multiples. »
    Adam Smith a mis au jour au XVIIIe siècle la fabrique de la richesse économique, Marx en a dévoilé au XIXe siècle les rouages inégalitaires, Keynes a fait de l’Etat, au XXe siècle, le grand mécanicien de l’ordre social. Trois siècles de perfectionnement de la mécanique économique qui débouchent sur la destruction de la biosphère.

    L’économie d’Elinor Ostrom, centrée sur la coopération sociale-écologique, est organique, en prise directe avec notre siècle où les humains se redécouvrent vivants parmi les vivants.

    #Communs #Elinor_Ostrom

  • La réforme des retraites est toujours aussi injuste à l’égard des femmes | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/reforme-retraites-toujours-injuste-a-legard-femmes/00105766

    Reculer l’âge de départ à la retraite pénalisera tout particulièrement les personnes qui ont eu des carrières heurtées, plus courtes du fait des contraintes familiales. Et dans une grande majorité, il s’agit de femmes. Non seulement 40 % des femmes (32 % des hommes) partent actuellement avec une carrière incomplète, mais en plus, en moyenne, elles partent plus tard à la retraite que les hommes : 19 % des femmes et 10 % des hommes ont attendu 67 ans pour échapper à la décote1.

    A propos de la décote, Elisabeth Borne a osé déclarer, à maintes reprises, que cette nouvelle réforme est « juste pour les femmes car l’âge d’annulation de la décote restera à 67 ans » ! En quoi est-ce un progrès, alors que cette décote restera en vigueur et pénalise davantage les femmes ? Certes, la durée de carrière des femmes s’allonge progressivement, mais elle reste inférieure à celle des hommes (deux ans d’écart pour la génération 1950).

    Reculer l’âge de la retraite pénalisera beaucoup plus les catégories les plus modestes, rentrées tôt sur le marché du travail, puisqu’ils et elles devront attendre 64 ans, même si leur durée de cotisations est suffisante. Qui plus est, leur espérance de vie en bonne santé est plus faible, que ce soient les ouvrier·es par rapport aux cadres, mais aussi certaines catégories de femmes salariées, notamment celles qui travaillent dans la santé : l’espérance de vie d’une infirmière est de sept ans inférieure à celle de la moyenne des femmes ; 20 % des infirmières et 30 % des aides-soignantes partent à la retraite en incapacité. D’ailleurs, pour mémoire, les infirmières de la fonction publique ont perdu depuis la réforme de 2010 « la catégorie active », c’est-à-dire la reconnaissance de leur pénibilité par des départs anticipés à la retraite. Désormais elles partiront à 64 ans si elles ont une carrière complète !

    Enfin, comme le souligne Christiane Marty du mouvement Attac, ce recul de l’âge de la retraite sera particulièrement difficile pour les senior·es précaires, sans emploi, une majorité de femmes, qui attendent l’âge de départ à la retraite, au chômage ou en inactivité : parmi les retraité·es né·es en 1950, un tiers n’était plus en emploi l’année précédant leur retraite, c’est le cas de 37 % des femmes et 28 % des hommes. Les mesures pour maintenir les senior·es en emploi sont à cet égard non contraignantes et ces précaires ne feront qu’augmenter avec la réforme.

    #Reculer_l’âge_de_départ_à_la_retraite

  • https://www.alternatives-economiques.fr/dix-bonnes-raisons-de-ne-faire-cette-reforme-retraites-chiffres-a-l/00105748

    Dix bonnes raisons de ne pas faire cette réforme des retraites, chiffres à l’appui
    On y est : le gouvernement a dévoilé en fin d’après-midi les contours de la future réforme des retraites. Présentée comme inéluctable, elle est pourtant absolument dispensable. Non seulement notre modèle n’est pas menacé financièrement, mais ce qui devrait nous inquiéter est bien davantage la chute à venir du niveau de vie relatif des retraités, déjà amorcée.

  • La valeur travail se paye sur les travailleurs ! | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/herve-nathan/travail-se-paye-travailleurs/00105727

    Travailleurs essorés

    Cela ne veut pas dire que le gouvernement ne s’occupe pas des travailleurs. Au contraire, on pourrait dire que de ce côté-ci de la barrière de classe (oh, le gros mot !), c’est la dégelée.

    Reprenons les quelques mesures récentes :

    – Vous êtes un travailleur qui cherche à se former grâce au compte personnel de formation ? En vertu de la dernière loi de finances, il faudra payer de votre poche, sauf à ce que cette formation convienne à votre patron. Autrement dit, le CPF est désormais un outil à disposition prioritaire de l’entreprise pour former sa main d’œuvre, selon ses intérêts. Le frein, un ticket modérateur de 20 % taxera celles et ceux qui voudraient se former pour faire autre chose, ou autre part, ou avec un autre employeur… Est-ce bien raisonnable, mon bon monsieur ? C’est tellement caricatural que selon la mère du CPF, l’ex-ministre Muriel Pénicaud, le droit à la formation « va disparaître pour ceux qui en ont le plus besoin, c’est à dire les catégories populaires ».

    – Vous êtes un travailleur qui en a marre – il paraît qu’il en existe – et qui se met en « abandon de poste » pour quitter sans bruit son établi ou son bureau ? Bien mal vous en prend, Pôle emploi vous refusera désormais l’accès à l’allocation chômage en application de la dernière réforme de l’assurance chômage.

    – Vous êtes un travailleur privé d’emploi ? Pas question de lambiner, ou de chercher l’emploi idéal, celui qui vous assure un revenu décent, une perspective de carrière, voire – quelle horreur – un sens à la vie ! Avec une durée d’indemnisation réduite de 25 % dès le 1er février, il va falloir vous précipiter sur le premier poste disponible. Celui qu’on trouve en « traversant la rue ». Le travailleur privé d’emploi, vulgairement appelé « chômeur », est placé dans un vaste réservoir de 2,3 millions d’individus à la disposition non pas d’un entrepreneur mais de tous les entrepreneurs. La semaine dernière, le gouvernement prévoyait de resserrer encore le nœud coulant, en réduisant la durée d’indemnisation de 40 %, dès que le taux de chômage descendrait sous les 6 %. Il semble qu’au dernier moment Elisabeth Borne eut un sursaut de lucidité. La mesure est donc « suspendue » jusqu’à l’an prochain…

    D’apparence limitée ou technique, ces dispositions ne payent pas de mine mais elles ont ceci en commun qu’elles placent un peu plus le travailleur dans un état de dépendance. On n’est pas revenu au livret ouvrier du Second Empire, qui exigeait de demander au patron la permission de le quitter, mais c’est la même philosophie : les hommes sont à la disposition de l’économie et du capital. Pas l’inverse.

    La prochaine jeanfoutrerie contre les travailleurs est à venir la semaine prochaine : c’est la réforme des retraites. Si on ignore encore à quel âge sera placé le curseur – 64 ou 65 ans –, on sait en revanche qui seront les plus touchés : les travailleurs, qui ayant commencé tôt, ayant exercé les métiers les plus pénibles, ont le plus de mal à « aller au bout », devront allonger la carrière de un, deux, ou trois ans, comme l’explique Henri Sterdyniak.

    Autrement dit, les travailleurs sont appelés à être les premiers contributeurs (sous forme de travail) d’une réforme dont le gouvernement explique sans vergogne qu’elle a pour première qualité d’éviter d’augmenter les impôts sur les riches. Comme quoi, si la valeur travail existe, et cela reste à prouver, elle se paye sur le dos des travailleurs.

  • Service national universel : un dispositif coûteux et bancal dont les jeunes ne veulent pas | Isabelle This Saint-Jean
    https://www.alternatives-economiques.fr/isabelle-this-saint-jean/service-national-universel-un-dispositif-couteux-bancal-dont-jeunes-n/00105667

    Le constat est sans appel. Les chiffres sont là. Les jeunes, dans leur immense majorité, ne veulent pas du Service national universel (SNU), ce dispositif à destination des Français de 15 à 17 ans qui prévoit un « séjour de cohésion », une mission d’intérêt général de 84 heures et un engagement bénévole facultatif. En effet, seuls 40 000 volontaires ont choisi ce dispositif cette année, sur un total de près de 2,4 millions potentiellement concernés. L’objectif que le gouvernement s’était fixé – 50 000 en 2022 –, n’est même pas atteint. Source : Alternatives économiques

  • A propos de la rémunération des médecins libéraux | Nicolas Da Silva
    https://www.alternatives-economiques.fr/nicolas-da-silva/a-propos-de-remuneration-medecins-liberaux/00105350#105350

    Quitte à investir massivement dans la médecine de ville (le passage de 25 euros à 50 euros couterait 7 milliards d’euros par an à l’assurance maladie), ne faut-il pas que cela permette aux médecins qui le veulent de réformer certains fondamentaux de la médecine libérale ? En remettant en cause le paiement à l’acte, en créant des postes salariés en centre de santé pour faire face aux aspirations des nouvelles générations, en remettant en cause la liberté d’installation, etc. N’est-il pas justifié d’attendre des contreparties à ces niveaux de rémunération ? Source : Alternatives économiques

  • Les débats interdits : comment la #pensée_unique s’est imposée en #économie | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/debats-interdits-pensee-unique-sest-imposee-economie/00105559

    Les économistes dominants se sont lancés dans une guerre à outrance contre celles et ceux qui ne «  pensent pas bien  » dans l’objectif de les faire disparaître des institutions et du débat d’idées. Un dossier pour alerter et faire vivre les alternatives.

    • Même les plus bas des médecins gagnent 5 fois plus que moi, ai-je envie de les plaindre ? Par ailleurs, pendant ce temps à l’autre bout du monde : https://seenthis.net/messages/984747

      L’ensemble des réalisations constitutives de l’autonomie sont mises en œuvre de manière largement démonétarisée et sans recourir au salaire. C’est le cas pour ceux qui assument des charges politiques ou de justice, mais aussi pour les promotores de educación (enseignants) ou promotores de salud (agents de santé), qui accomplissent leurs tâches sans recevoir de rémunération en argent, comptant sur l’engagement de la communauté de couvrir leurs nécessités matérielles ou bien de travailler à leur place leurs parcelles, pour ceux d’entre eux qui en disposent.

  • #Ecologie : après le Mondial au Qatar, le #sport toujours aussi insoutenable | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/ecologie-apres-mondial-qatar-sport-toujours-insoutenable/00105498

    La neige artificielle d’un tremplin de ski sur fond de complexe sidérurgique. Des stades climatisés en plein désert. D’une image à l’autre, de janvier à décembre, de Pékin à Doha, commencée par les Jeux olympiques d’hiver et s’achevant par la Coupe du monde de football, l’année 2022 a été celle des #aberrations écologiques.

    Entre ces deux moments, et plus près de nous, d’autres images : les routes du Tour de France arrosées en juillet pour éviter que l’asphalte ne fonde, les camions acheminant de la neige artificielle au Grand-Bornand (Haute-Savoie) afin d’y assurer la tenue du grand prix de biathlon, mi-décembre.

    Cette rétrospective 2022 est d’autant plus choquante que l’année a été, sur le plan météorologique, la plus chaude jamais enregistrée en France.

    #climat

  • Les discours trompeurs de Jean-Marc Jancovici | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/discours-trompeurs-de-jean-marc-jancovici/00105505

    Pour la déconstruction de la BD « Le monde sans fin » voir aussi : https://www.stephanehis.com/post/analyse-critique-page-%C3%A0-page-de-la-bande-dessin%C3%A9e-le-monde-sa

    Energie Les discours trompeurs de Jean-Marc Jancovici

    Figure médiatique du débat sur la transition énergétique, cet ingénieur très critique sur les renouvelables et pronucléaire n’hésite pas à tordre les faits pour défendre ses idées.
    Par Antoine de Ravignan

    Ingénieur, consultant, enseignant, vulgarisateur, militant… Jean-Marc Jancovici, 61 ans cette année, est devenu en France une figure incontournable dans les discussions sur la transition énergétique et une voix influente. Après un premier livre sur l’effet de serre coécrit en 2001 avec le climatologue Hervé Le Treut, il a publié ou contribué à une dizaine d’ouvrages sur le climat et l’énergie. Le dernier, Le plan de transformation de l’économie française pour sortir le plus rapidement possible de l’impasse des énergies fossiles, a été présenté début 2022, en amont des élections, par The Shift Project, association qu’il a créée et préside.

    Mais c’est surtout la bande dessinée Le monde sans fin, parue à l’automne 2021, déjà vendue à 630 000 exemplaires fin novembre 2022, qui a propulsé la notoriété de Jean-Marc Jancovici à des sommets.

    Plus que jamais, avec son style tranchant et son aura d’expert – il est polytechnicien, a contribué à la méthodologie permettant de déterminer le bilan carbone des acteurs économiques, a cofondé le cabinet de conseil Carbone 4, est membre du Haut Conseil pour le Climat –, il enchaîne les interviews, les conférences, les plateaux télé.

    Ses posts quasi quotidiens sur sa page LinkedIn comptent aujourd’hui plus de 673 000 abonnés. Son audience va désormais très au-delà des chefs d’entreprise qui l’invitent, des parlementaires qui l’auditionnent, des jeunes et des étudiants en école d’ingénieurs qui suivent ses cours et relaient ses vidéos en ligne, des citoyens impliqués qui le lisent.

    Son message, qu’il assène comme s’il était aussi indiscutable que les lois de la physique, peut se résumer en deux idées-forces.

    Dans son discours, un certain nombre de points sont incontestables. En revanche, trois points centraux, aux implications fortes, sont très discutables

    La première est que la menace climatique se double d’une crise plus immédiate des ressources sur lesquelles repose tout notre système économique : les énergies fossiles, en voie avancée d’épuisement. Le déclin de leur production pour des raisons géologiques, dont on observerait déjà les signes, va fatalement entraîner celui du produit intérieur brut (PIB). Donc, soit nous organisons l’inévitable décroissance induite par la déplétion des fossiles, soit nous la subissons et le choc récessif sera violent.

    La seconde porte sur les réponses au constat. Il faut, d’une part, organiser la sobriété pour sortir sans trop de casse de l’impasse des fossiles. D’autre part, pour ce qui nous restera de besoins énergétiques à couvrir, un déploiement massif du nucléaire est incontournable, étant donné les limites physiques des autres moyens décarbonés.

    Mais le déploiement de cette technologie, dont les avantages l’emporteraient en définitive sur les inconvénients, est également contraint. Le nucléaire est, pour Jean-Marc Jancovici, « un amortisseur de la décroissance », illustré dans sa BD (page 162) par la métaphore du parachute ventral : cela « nous permettra de conserver une partie, et une partie seulement, de ce que nous avons aujourd’hui. Et d’amortir une chute trop brutale. »

    A boire et à manger

    Dans ce discours, un certain nombre de points sont incontestables : l’incompatibilité de notre modèle de croissance avec la finitude du monde ; la nécessité de sortir de toute urgence des énergies fossiles, principal sujet climatique ; le fait que cela implique des changements dans les usages et les habitudes de consommation, car les progrès technologiques (pour réduire la quantité d’énergie nécessaire à la production d’un bien ou d’un service et pour substituer les fossiles par des sources décarbonées) ne peuvent faire tout le travail ; et, enfin, le fait que ces changements ne s’opéreront pas grâce aux seules vertus individuelles. Ils demandent des régulations, une réorganisation des infrastructures, de la solidarité et une redistribution de la richesse, ce qu’exprime par exemple l’idée de quotas individuels sur ce qui restera de miles pouvant être parcourus en avion.

    En revanche, trois points centraux de l’argumentaire de Jean-Marc Jancovici, aux implications fortes, sont très discutables.

    Le premier est l’idée que le monde va fatalement entrer en récession parce que son principal carburant, l’énergie fossile, va manquer physiquement, et ceci à un horizon très proche.

    Le deuxième est que les énergies renouvelables variables ne peuvent jouer qu’un rôle de second plan, ce qui fait du nucléaire un moyen de production de première instance (c’est le « parachute ventral » qui rendra la décroissance soutenable).

    Le troisième est que le risque nucléaire fait l’objet de beaucoup d’exagérations.

    1/ Une décroissance inéluctable ?

    « Le pic de production du pétrole dit conventionnel a déjà eu lieu en 2008, et, depuis cette date, l’OCDE est entrée dans une espèce de marasme économique. »

    Cet énoncé, lu dans une interview à La Croix en février, est un leitmotiv de Jean-Marc Jancovici, presque une obsession. La prédiction du « peak oil » est pourtant loin de se concrétiser et la géologie n’explique pas plus la crise financière de 2008 et l’inflation post-Covid que le choc de 1973.

    « Certes, on a bien un épuisement des ressources dites conventionnelles, facilement accessibles et bon marché, mais le niveau des prix et les gains technologiques permettent d’aller chercher des gisements plus difficiles et coûteux, rappelle l’économiste de l’énergie Patrick Criqui. De fait, les réserves, c’est-à-dire les volumes identifiés et récupérables aux conditions techniques et économiques du moment, continuent d’être renouvelées au fil des années. Jusqu’ici, ce sont les économistes qui ont eu raison sur les géologues. »

    Pour Patrick Criqui, comme pour l’immense majorité des experts, un manque physique à l’horizon des contraintes qu’impose le changement climatique est « un non-sujet ». Un article paru dans Nature a récemment évalué que si l’humanité réduisait sa consommation de fossiles à un niveau compatible avec l’objectif 1,5 °C, il resterait, en 2050, 58 % des réserves pétrolières exploitables estimées en 2018, 56 % des réserves gazières et 89 % de celles de charbon.

    « Nous sommes peut-être en train de franchir le pic des fossiles, mais c’est un pic de demande, non d’offre », ajoute l’énergéticien Stéphane His, consultant et auteur d’un blog dans lequel il décortique page à page Le monde sans fin pour démêler le vrai du faux.

    Vision mécaniste

    Mais pourquoi faire si grand cas d’un non-sujet ? Stéphane His fait un rapprochement avec le mouvement technocratique américain né dans les années 1930, dont le géologue pétrolier Marion King Hubbert – le « père fondateur » des théories du peak oil – fut l’une des principales figures.

    « La quantité d’énergie nécessaire pour produire une unité de PIB n’a cessé de décliner depuis une cinquantaine d’années au niveau mondial » – Stéphane His, consultant

    Ce courant porté par des ingénieurs et des techniciens a dénoncé très tôt un système capitaliste qui sapait les bases mêmes de sa richesse, à savoir la nature, et préconisé d’organiser (et de redistribuer) l’économie à partir de la réalité du monde physique et de ses limites. Cette « République des ingénieurs », dont le rapport au Club de Rome est un héritage, a eu le grand mérite de pousser à intégrer l’environnement dans l’équation économique.

    Mais avec la tentation de faire de la réalité physique un déterminant strict des phénomènes socio-économiques et in fine l’arbitre suprême de la décision politique. Jean-Marc Jancovici établit ainsi, telle une loi physique, une relation rigide entre niveau de richesse mesuré par le PIB et consommation d’énergie.

    « La réalité, rappelle Stéphane His, est que la quantité d’énergie nécessaire pour produire une unité de PIB n’a cessé de décliner depuis une cinquantaine d’années au niveau mondial. »

    « De la part de l’ingénieur, cette sous-estimation du progrès technique est fascinante », commente Cédric Philibert, chercheur associé au Centre énergie et climat de l’Ifri.

    Il n’y a pas de discussion sur le fait que ce découplage est très insuffisant et Jean-Marc Jancovici a certainement raison d’insister sur la sobriété. Des trajectoires de décarbonation misant surtout sur les technologies et peu sur les comportements sont, certes, des paris possibles, comme l’a montré l’Ademe dans le cas de la France. Mais si on intègre dans l’équation, non seulement les émissions territoriales, mais celles liées aux biens importés, et si l’on ajoute les enjeux de biodiversité, alors il devient compliqué de faire sans sobriété.

    En revanche, là où Jean-Marc Jancovici est critiquable, c’est quand il déclare que « nous n’échapperons pas à la décroissance ». Il propage inutilement un discours polarisant, anxiogène, politiquement contre-productif.

    Car la vérité est que nul ne le sait. Une croissance du PIB peut tout aussi bien résulter de trajectoires incorporant une bonne dose de sobriété, ce qu’ont également montré les travaux de l’Ademe – parce que, parallèlement, beaucoup d’activité aura été créée grâce à l’investissement dans la décarbonation, les énergies renouvelables entre autres.

    2/ Renouvelables : pourquoi tant de haine ?

    Le 6 décembre, sur son compte LinkedIn, Jean-Marc Jancovici écrit :
    « Alors même que l’Etat français souhaite accélérer sur les énergies renouvelables (dont l’éolien et le solaire pour une large part), le contexte international fait ce qu’il peut pour contrarier ce plan, en renchérissant fortement le coût des matières premières nécessaires. »

    Les matières premières sont en réalité sans rapport avec les atermoiements de la France pour accélérer sur le solaire et l’éolien – alors que ce serait une bonne chose pour sa sécurité énergétique. Ce sont les discours à charge qui sont en cause, Jean-Marc Jancovici en ayant été jusqu’ici l’un des porteurs très médiatiques.

    L’actuelle envolée des prix de l’énergie se répercute sur celle des matériaux de la transition, c’est vrai. Mais l’augmentation du prix des fossiles les affecte bien davantage en tant que concurrents des énergies renouvelables !

    Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) paru le 6 décembre également, les perspectives de déploiement des renouvelables pour la période 2022-2027 dépassent de 30 % ce qui était anticipé l’an dernier. Et pour cause. Le solaire et l’éolien terrestre sont, dans la grande majorité des pays, les moyens les moins chers de produire de l’électricité. Ils devraient représenter 90 % des capacités électriques installées dans les cinq prochaines années, selon l’AIE.

    Mais n’allons-nous pas buter sur les ressources minérales ? « A cause de leur caractère très diffus, le solaire et l’éolien demandent 10 à 100 fois plus de métal au kWh » que le nucléaire, affirme Jean-Marc Jancovici dans sa BD (page 131), sans s’embarrasser de sourcer, ici comme ailleurs.

    Sur son blog, Stéphane His repère que les chiffres employés par Jean-Marc Jancovici sont souvent anciens. Dans le cas d’espèce, il s’agirait de données remontant aux années 2010. Or, depuis, la technologie a continué de progresser à toute allure.

    Citant un rapport de l’AIE sur les métaux de la transition paru l’an dernier, Stéphane His écrit que le ratio entre le nucléaire et les renouvelables serait de l’ordre de 1,4 à 3 selon les technologies. Surtout, le même rapport montre que l’essentiel de l’accroissement de la demande de minéraux dans son scénario « zéro émissions nettes en 2050 » (où le nucléaire produit près de 10 % de l’électricité mondiale et le solaire et l’éolien, 70 %) provient des véhicules électriques. Rien à voir, donc, avec la nature des capacités électriques, nucléaires ou renouvelables.

    La place du nucléaire

    De même, Jean-Marc Jancovici rejette l’idée que l’on puisse construire un système électrique décarboné sans donner une place dominante au nucléaire, sauf à ce qu’il soit horriblement coûteux et non fiable.

    Pour le cas de la France, les travaux publiés par l’Ademe en 2015 et en 2021 et par RTE en 2021 ont au contraire montré que le 100 % électricité renouvelable en 2050 était une option crédible sur un plan technique et économique. Et ce, malgré une très forte pénétration – 80 % – des seules sources ayant un réel potentiel de développement, à savoir l’éolien et le solaire. Leur défaut est de ne pas être pilotables, mais il peut être surmonté par le déploiement des moyens de flexibilité et de gestion du réseau électrique. Un défi technologique réel, mais pas insurmontable sur vingt ans.

    Sur le plan économique, l’étude RTE indique des coûts complets du système électrique (production, transport et flexibilité) a priori favorables à une relance du nucléaire, mais avec des écarts limités par rapport à l’option contraire (de l’ordre de la dizaine de milliards d’euros par an dans un pays de 70 millions d’habitants), voire nuls, selon les hypothèses retenues…

    Il est très important de relever que, même dans le scénario de RTE qui maximise le nucléaire, option qui a la faveur du gouvernement (quatorze nouveaux réacteurs en service en 2050 et une exploitation du parc historique poussée à plus de 60 ans), il faut, pour atteindre la neutralité carbone, multiplier par 7 le photovoltaïque, par 2,5 l’éolien terrestre et ajouter 22 GW d’éolien marin, soit une puissance égale à 44 fois le parc de Saint-Brieuc.

    Une éolienne tous les kilomètres

    Est-il dès lors bien raisonnable de ne dire que du mal de ces leviers ? D’induire en erreur le public avec des « règles de trois » pseudo-démonstratives ?

    Selon Jean-Marc Jancovici, pour couvrir les besoins énergétiques de la France avec des éoliennes, il faudrait 500 000 mâts. Dans son scénario électrique 100 % renouvelable, RTE estime leur nombre à environ 30 000 en 2050

    S’agissant de l’empreinte au sol de ces sources diffuses, Jean-Marc Jancovici écrit par exemple dans sa BD que pour couvrir les besoins énergétiques de la France avec des éoliennes, il faudrait en mettre une tous les kilomètres (page 127), soit 500 000 mâts. Calcul en apparence exact mais en réalité mensonger, rappelle Cédric Philibert dans un livre à paraître1.

    Ce chiffre repose en effet sur la consommation d’énergie primaire de ces dernieres années, environ 3 000 TWh, mais qui comprend de considérables pertes de chaleur dans les centrales électriques, nucléaires ou fossiles. La France décarbonée de 2050 aura en fait besoin de 930 TWh d’énergie finale, dont 55 % d’électricité (scénario RTE). Une électricité pas seulement fournie par les éoliennes, mais aussi par le solaire photovoltaïque et l’hydraulique.

    Dans son scénario électrique 100 % renouvelable, RTE estime leur nombre à environ 30 000 mâts en 2050… comme en Allemagne aujourd’hui. Et RTE se base sur des puissances d’éoliennes (2,5 MW) d’ores et déjà dépassées.

    3/ Une minimisation du risque nucléaire

    La déplétion des fossiles, les (prétendues) tares des renouvelables mais aussi les quantités limitées d’uranium fissile sur Terre imposent de déployer au plus tôt les réacteurs nucléaires surgénérateurs, dits de quatrième génération.

    C’était le discours de King Hubbert dans les années 1950, c’est celui de Jean-Marc Jancovici et du lobby nucléaire aujourd’hui, c’est ce qu’a tenté de faire la France depuis les années 1960, avec le programme Phénix, puis Astrid, sans succès.

    La voix de l’atome

    Alors que son pessimisme sur les technologies vertes est contredit par les faits, Jean-Marc Jancovici présente en novembre dernier lors d’une audition devant des députés comme « assez malin » le scénario technologique jusqu’au-boutiste de l’association Voix du nucléaire.

    Celui-ci inscrit une prolongation des vieux réacteurs jusqu’à l’âge moyen de 70 ans (quand l’Autorité de sûreté, l’ASN, ne dispose d’aucun élément de démonstration au-delà de 50 ans), 22 nouveaux réacteurs conventionnels en service en 2050 (quand 14 EPR sont un maximum industriel selon EDF) et une quatrième génération qui se déploie industriellement dans trente ans (après un demi-siècle d’échecs) pour représenter dès 2070 près de la moitié d’un parc nucléaire fournissant 70 % de la production d’électricité (quand il n’y a aucun intérêt économique à pousser au-delà de 40 % d’après les travaux de RTE).

    Plaider en faveur du nucléaire n’autorise pas à en minimiser les risques et badiner sur le nombre de victimes

    Dans ce schéma, en attendant que les capacités nucléaires soient pleinement opérationnelles, il faut déployer des installations solaires et éoliennes, mais qui ne seront pas renouvelées en fin de vie. Ce sont des « énergies de transition ».

    Par ailleurs, juge Jean-Marc Jancovici, les avantages du nucléaire justifient d’en supporter les dangers. Cet argument s’entend, mais à la condition préalable d’informer correctement le client, ce qui n’est pas le cas.

    Un exemple, parmi d’autres : sous serment devant les mêmes parlementaires, il déclare à propos des déchets qu’il est prévu d’enfouir qu’« au bout de quelques siècles, les produits de fission reviennent au niveau de radioactivité de l’uranium initial. (…) La partie la plus radiotoxique, c’est pas 100 000 ans, c’est beaucoup plus court. »

    Or, dans ces déchets hautement radioactifs, il n’y a pas que ce qu’on appelle les produits de fission (dont au passage certains, comme le césium 135, mettent plus de 2 millions d’années pour perdre la moitié de leur radioactivité). Il y a aussi des produits appelés actinides mineurs dont les durées vont très au-delà de « quelques siècles ».

    Plaider en faveur du nucléaire n’autorise pas à en minimiser les risques et badiner sur le nombre de victimes au motif qu’elles sont beaucoup moins nombreuses que les accidentés de la route et les cancers de la cigarette. Un accident grave est toujours possible, c’est l’ASN qui le dit, et ses conséquences matérielles et humaines sont, dans tous les cas, extrêmement lourdes, même s’il y a des débats sur les bilans des catastrophes passées.

    Des bilans d’autant plus difficiles à établir que les impacts se font sentir sur des décennies. Que l’on veuille ensuite en faire moins sur la sûreté au nom du développement de cette industrie, pourquoi pas, mais c’est une affaire de choix démocratique, à partir d’une information honnête.

    Des choix possibles

    Jean-Marc Jancovici semble en définitive penser le monde comme si la réalité des ressources physiques (ou plus exactement l’idée que l’on en a) imposait des choix très restreints à l’humanité. Des choix nécessaires que l’expert-pédagogue révèle aux hommes, de même que le prêtre se fait l’interprète d’un ordre divin immuable pour régler le désordre du monde.

    Or, les impératifs catégoriques dictés par Dame nature laissent des marges. On peut construire des systèmes décarbonés performants avec un peu, beaucoup ou pas de nucléaire. On peut continuer à extraire des fossiles longtemps (et détruire la planète) avant qu’ils ne viennent à manquer pour de vrai.

    En fait, nous pouvons faire des choix. Celui d’un monde triste, une longue chute sans fin ralentie par des parachutes pour ceux qui le peuvent. Celui d’un monde désirable, palpitant à construire, plus solidaire, plus juste, plus gai, en considérant les difficultés d’aujourd’hui comme autant d’opportunités pour changer.

    Antoine de Ravignan

  • https://www.alternatives-economiques.fr/crise-de-pediatrie-lacces-aux-soins-peril/00105314

    Mise à mal par une épidémie de bronchiolite plus précoce cette année, la pédiatrie révèle au grand jour toutes ses défaillances, entre pénurie critique de professionnels et manque criant de moyens.

    Par Chloé Rabs

    « La bronchiolite c’est juste la cerise sur ce qui ne peut malheureusement pas être appelé un gâteau », résume Pascal Le Roux, pédiatre au Groupe hospitalier du Havre et secrétaire général du Conseil national professionnel de pédiatrie (CNP). Il n’aura fallu qu’une épidémie un poil plus précoce pour faire s’écrouler l’ensemble des services de pédiatrie, qui ne tenaient déjà plus qu’à un fil.

    Depuis deux mois, les enfants, bébés, et nouveau-nés s’agglutinent dans les services d’urgences qui ne parviennent plus à remplir leur principale mission : les soigner. Une épidémie pourtant tout à fait prévisible en cette saison, mais qui cette année met à nu les difficultés et le manque de moyens de la pédiatrie en France.

    Une tribune publiée ce mercredi 30 novembre sur le site du Monde et signée par 10 000 soignants interpelle le Président de la République en lui reprochant son « silence assourdissant » sur la crise profonde que vivent ces services.

    En 2021 déjà, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la pédiatrie et l’organisation de soins de santé de l’enfant révélait un panorama « préoccupant » en raison du recul démographique de la pédiatrie libérale avec, pour conséquence, une baisse préjudiciable des soins préventifs.
    Inégalités territoriales

    Avec 8 500 pédiatres, dont 53 % exercent exclusivement en tant que salariés à l’hôpital et 25 % exclusivement en libéral, la France se classe à la 21e place des pays de l’OCDE en termes de densité de pédiatres par rapport à la population.

    Avec une rémunération parmi les plus faibles comparées aux autres spécialités médicales, les pédiatres libéraux se font rares. Et sont aussi inégalement répartis sur le territoire. Dans huit départements, la densité est inférieure à 1 pédiatre pour 100 000 habitants1.

    27,5 % des enfants vivent dans un désert médical pédiatrique

    À l’inverse, Paris est le département le mieux doté avec 13,7 pédiatres pour 100 000 habitants. Ainsi, ce sont 27,5 % des enfants qui vivent dans un désert médical pédiatrique, selon une étude publiée début novembre par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir.

    L’organisme relève également qu’entre 2016 et 2020, la part des pédiatres pratiquant des dépassements d’honoraires a augmenté de 7 points pour atteindre 46,9 %. Par défaut, les parents s’adressent alors aux médecins généralistes, qui assurent plus de 85 % des consultations de ville des enfants de moins de 16 ans alors que leur formation à la médecine de l’enfant « reste hétérogène et insuffisante au regard de ce rôle prépondérant », pointe le rapport de l’IGAS.

    15 à 20 % de lits fermés à Paris

    La profession est de surcroît vieillissante, avec 44 % des pédiatres libéraux en exercice âgés de plus de 60 ans. « On devrait accueillir chaque année au moins 600 internes pour assurer la relève, aujourd’hui on est à 350 », tonne Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris).

    Résultat : les parents se tournent machinalement vers les urgences, débordées, qui souffrent également d’une pénurie de personnel. Faute de bras, au CHU de Lille, le service dédié aux épidémies d’hiver est resté fermé cette année, ce qui représente 10 lits en moins pour accueillir les enfants malades, sans compter les 12 lits de néonatologie fermés depuis l’été dernier.

    « On ne sait plus où mettre les enfants », prévient Emmanuel Cixous, président du Syndicat national des pédiatres des établissements hospitaliers (SNPEH) et pédiatre à l’hôpital de Seclin (Nord).

    En Île-de-France, depuis le début de l’épidémie de bronchiolite, une trentaine d’enfants ont déjà dû être transférés vers des hôpitaux situés à plus de 100 kilomètres de chez eux

    Selon Rémi Salomon, 15 à 20 % des lits de pédiatrie seraient fermés dans les hôpitaux de la capitale, un chiffre qui pourrait grimper jusqu’à 50 % dans certains endroits. En Île-de-France, depuis le début de l’épidémie de bronchiolite, une trentaine d’enfants ont déjà dû être transférés vers des hôpitaux situés à plus de 100 kilomètres de chez eux. Un paysage tout aussi inquiétant dans le reste du pays.

    « On transfère des enfants de la métropole de Lille vers Boulogne-sur-Mer, à presque 150 kilomètres. Aujourd’hui, on doit contacter sept, huit hôpitaux avant de trouver une place », s’indigne Emmanuel Cixous qui avoue être obligé de « prendre des risques », en faisant sortir des enfants plus vite pour éviter l’encombrement des lits.

    Et même si la grande majorité des pédiatres continuent de se tourner vers le secteur hospitalier, la charge de continuité et de permanence des soins plus importante dans les services pédiatriques (gardes, astreintes de service, sollicitations des parents dans les services d’urgence) a un effet dissuasif sur les vocations dévoile le rapport de l’IGAS.

    « Quand vous êtes pédiatre hospitalier, vous faites de l’urgence, vous tenez une salle, vous faites de la réanimation, des visites en maternité, des consultations… C’est très intéressant mais quand on doit faire cinq à huit gardes par mois, ça devient vite insupportable », expose Pierre Callamand, chef de service pédiatre à l’hôpital de Béziers.

    De onze membres en janvier, son équipe est passée à 4,5 aujourd’hui.
    Nivellement par le bas des compétences

    « Plus aucun étudiant ne veut faire de la pédiatrie, c’est devenu leur dernier choix », complète Rémi Salomon. En effet, le rang maximal d’affectation n’a cessé d’augmenter cette dernière décennie. En 2010, l’interne le moins bien classé qui choisissait la pédiatrie était situé en milieu classement. En 2020, le dernier entrant était plutôt positionné au-delà des deux-tiers.

    En cause : la charge élevée de permanence des soins et de continuité des soins, la faible rémunération, mais aussi la durée longue (cinq ans depuis 2017) et l’intensité du troisième cycle de pédiatrie.

    « ​​​​​​​Les jeunes ne veulent plus avoir de contrainte de garde et, financièrement, il est beaucoup plus intéressant de devenir chirurgien plastique que pédiatre », éclaire Rémi Salomon.

    Pointé également du doigt par les acteurs du secteur à cause de ce manque de moyens, l’embauche de professionnels de soins généraux plutôt que spécialisés dans les soins de l’enfance

    « Ce qui nous irrite beaucoup aussi, c’est qu’on entend souvent : petit enfant, petite maladie, petits moyens pour y répondre », s’agace Pierre Callamand. Le pédiatre dénonce l’inadaptation de la tarification des actes médicaux (et chirurgicaux) par rapport aux spécificités de la pédiatrie, notamment la durée des actes qui peuvent être jusqu’à trois fois plus longs.

    Pointé également du doigt par les acteurs du secteur à cause de ce manque de moyens, l’embauche de professionnels de soins généraux plutôt que spécialisés dans les soins de l’enfance – dont les salaires s’avèrent légèrement plus élevés.

    « On remplace les puéricultrices par des infirmières, les auxiliaires de puériculture par des aides-soignantes, les pédopsychiatres par des psychologues… C’est un nivellement par le bas alors qu’il faut encore le répéter : un enfant n’est pas un adulte en miniature », appuie Jean-François Pujol, pédiatre au centre hospitalier de Libourne.

    « On manque complètement de reconnaissance et les services ne valorisent pas nos compétences, pourtant indispensables », pointe Claire Royer de la Bastie, présidente du collectif Je suis Infirmière Puéricultrice. D’autant plus que depuis 2009, la formation initiale des infirmiers « généralistes » ne comprend plus de stage ni de formation obligatoire en pédiatrie.

    « Les services perdent en rapidité de prise en charge, en qualité de soin, et les professionnels avouent que commencer une garde avec des infirmières qui ne disposent pas des mêmes compétences que les puéricultrices, ça met en insécurité », ajoute Julie Doucet, infirmière puéricultrice en Protection maternelle et infantile (PMI).

    Assises de la pédiatrie au printemps

    En parallèle, leurs compétences, notamment en termes d’accompagnement et de prévention, sont sous-utilisées en secteur ambulatoire puisque leur exercice est limité aux PMI. « Notre rôle, c’est la prévention. Mais aujourd’hui, on n’a plus les moyens d’en faire, explique Julie Doucet. Dans mon secteur, on refuse six à huit demandes de suivi médical de nourrisson par semaine. » Selon le rapport Peyron, paru en 2019, le nombre de médecins de PMI a chuté de 25 % depuis 2010 tandis que le nombre d’enfants vus en consultation a connu une baisse de 45 % entre 1995 et 2016.

    « Bien se laver les mains, porter un masque si on est enrhumé, bien aérer les pièces… l’éducation des parents qui peut être menée en PMI est pourtant primordiale pour éviter le développement de maladies, notamment de bronchiolites qui saturent les urgences », détaille Rémi Salomon.

    Les annonces récentes du ministre de la Santé François Braun représentent 400 millions d’euros, dont la part spécifique revenant à la pédiatrie reste pour l’heure inconnue

    Pour tenter de contenir cette épidémie qui met le système de soin en péril, le gouvernement a déclenché, pour la troisième année de suite, le plan blanc, permettant de rappeler les professionnels sur leurs congés. « C’est une mesure d’urgence mais il risque d’y avoir un effet délétère, en épuisant encore plus les équipes et en les poussant plus vite vers la sortie », s’inquiète Emmanuel Cixous.

    Face à cette crise, le ministre de la Santé, François Braun, a annoncé entre autres la prolongation jusqu’au 31 mars du « doublement de la rémunération des heures de nuit pour tous les personnels de l’hôpital » et la « prime de soins critiques » élargie notamment aux puéricultrices des services pédiatriques. Le tout représente 400 millions d’euros, dont la part spécifique revenant à la pédiatrie reste pour l’heure inconnue. « Ce sont des solutions pour nous permettre de tenir dans les trois mois qui viennent », a-t-il déclaré.

    Un nouveau rendez-vous budgétaire devrait se tenir lors des Assises nationales de la pédiatrie au printemps 2023. Mais cela reste loin d’être suffisant pour les professionnels. « Il n’y a rien de concret, c’est maintenant qu’il faut trouver des solutions. Nous on soigne les patients, on fait le job, à eux de nous donner les moyens de pouvoir continuer. », conclut Pierre Callamand.

    1.
    l’Indre (aucun pédiatre), Mayotte, la Manche, l’Eure, la Vendée, la Creuse, la Haute-Saône et la Haute-Loire

  • https://www.alternatives-economiques.fr/stopper-elon-musk/00105194

    Y a-t-il encore une limite à la puissance des multimilliardaires ? Le rachat de Twitter pour 44 milliards de dollars par l’homme le plus riche du monde illustre les possibilités offertes par une accumulation extrême de richesse.

    A la tête d’une fortune oscillant entre 200 et 300 milliards de dollars, composée très majoritairement d’actions Tesla dont le cours s’est envolé, Elon Musk a un patrimoine équivalent au produit intérieur brut (PIB) du Portugal. Et il s’achète une entreprise valant deux fois le budget du ministère de l’Intérieur français.

    Musk a dorénavant la haute main sur une plate-forme où échangent plus de 400 millions de personnes. Un réseau possédant un fort impact sur le débat public, car prisé au sein des milieux politiques, économiques et médiatiques. Une semaine après son rachat, l’entrepreneur, fidèle à son goût de la disruption, a licencié 3 500 personnes, soit la moitié des salariés de l’entreprise. Et il commence à mettre en place ses réformes.

    « En devenant l’actionnaire majoritaire, Elon Musk n’a pas vraiment de contre-pouvoir. C’est pareil au sein du groupe Meta qui possède Facebook, Instagram et WhatsApp. La plupart des réseaux sociaux sont des entreprises avec une gouvernance très centralisée et opaque », pointe Anne Bellon, politiste à l’université technologique de Compiègne.

    Quelles sont les motivations de ce rachat ? « Il y a une dimension idéologique à ne pas sous-estimer. Elon Musk a une vision absolutiste de la liberté d’expression, stipulant que plus de liberté signifie moins d’intervention », complète Anne Bellon. Soit une modération des contenus réduite au minimum légal.

    Musk reproche à l’ancienne direction de Twitter une intervention excessive et des biais anticonservateurs. Et il regrette les suspensions de comptes opérées sur le réseau, comme celle concernant Donald Trump. A l’instar de l’ancien Président dont le compte a déjà été rétabli, plusieurs personnes précédemment bannies pourraient faire leur retour. La conséquence de cette politique devrait être une brutalisation accrue du débat au travers d’une plus grande diffusion de contenus jugés problématiques, parce que haineux ou relayant de fausses informations.
    DSA, rempart européen ?

    Le multimilliardaire l’a cependant assuré : il respectera la loi. Si la législation américaine comporte très peu de contraintes en la matière, la réglementation européenne est plus stricte et la Commission le répète : sur le Vieux Continent, Twitter devra la respecter. Bruxelles s’érige en rempart, en mettant en avant son nouvel outil pour réguler les contenus des plates-formes numériques : le Digital Services Act (DSA).

    Une partie de ce dispositif européen pourrait entraver les ambitions de l’américain. Le DSA oblige en effet les grandes plates-formes à prendre en compte les « risques systémiques », qui englobent aussi bien le harcèlement sexiste que les « effets négatifs » sur les élections ou la sécurité publique.

    Il les contraint ainsi à suivre finement ce qui se passe sur leur réseau et à ne pas se contenter de supprimer quelques messages clairement illégaux (pédopornographie, apologie du terrorisme, etc.). Mais avec le licenciement de la moitié de ses salariés, la capacité de modération humaine de Twitter est réduite à peau de chagrin.

    « Elon Musk a une croyance très forte dans la technologie et va sûrement renforcer le rôle des outils algorithmiques dans la modération, pense Anne Bellon. Une telle évolution rendrait les décisions de modération plus opaques, réduisant ainsi leur possible contestation. »

    Elle exigerait aussi des régulateurs qu’ils montent en compétence pour entrer dans la boîte noire de la technologie de la plate-forme. Les grands projets d’Elon Musk pour Twitter concernent cependant principalement les Etats-Unis. Le reste du monde semble être secondaire dans ses plans, même s’il représente l’immense majorité de l’activité de l’entreprise.
    Reprise chaotique

    Au-delà de l’aspect idéologique, y a-t-il une logique économique au projet d’Elon Musk ?

    « Ce rachat peut paraître paradoxal, car Twitter a toujours eu du mal à trouver un modèle économique et affiche une fragilité en décalage avec la portée de ce réseau, qui voit intervenir des personnes d’influence mondiale, qu’elles soient chefs d’Etat ou dirigeants de grandes firmes », pointe Julien Nocetti, chercheur au centre Geode (Géopolitique de la datasphère).

    Le réseau à l’oiseau bleu a certes un impact fort sur les termes du débat public, mais il ne pointe qu’à la 16e place des réseaux sociaux les plus utilisés au monde et ses comptes oscillent selon les années entre le rouge et le vert.

    Elon Musk l’a d’ailleurs affirmé mi-novembre : « La perspective d’une banqueroute n’est pas à exclure. » Quatre jours après son rachat, 875 000 utilisateurs avaient désactivé leur compte – le double du rythme habituel –, selon la société Bot Sentinel. De leur côté, General Motors, Dyson, Disney, Coca-Cola ou encore Stellantis ont tour à tour suspendu leur campagne publicitaire sur le réseau.

    « Les annonceurs peuvent jouer un rôle de contre-pouvoir car ils préfèrent ne pas voir leurs messages à côté de contenus jugés problématiques. Une faillite n’est effectivement pas impossible », estime Annabelle Gawer, professeure d’économie numérique à l’université du Surrey.

    Un risque aggravé par la saignée opérée dans les effectifs, à laquelle s’ajoutent a minima plusieurs centaines de départs sur les salariés ­restants. Ceux-ci quittent le navire à cause des méthodes autoritaires du nouveau patron qui leur demande de se donner « à fond, inconditionnellement » et de « travailler de longues heures à haute intensité ».

    Le milliardaire affiche cependant comme ambition de trouver un nouveau modèle économique au réseau, qui repose aujourd’hui quasi exclusivement sur les revenus publicitaires. C’est pourquoi il a lancé mi-­novembre un abonnement à 8 dollars par mois pour obtenir une certification de compte, ouvrant la voie à une meilleure visibilité des contenus.

    Cette option était jusqu’alors proposée gracieusement aux personnalités ou entreprises dont l’identité avait été vérifiée. Véritable aubaine pour les trolls, l’offre a rapidement été suspendue après l’imposture de nombreux utilisateurs usurpant l’identité d’entreprises ou de personnalités publiques. Malgré ce fiasco initial, l’offre devait faire son retour fin novembre, « corrigée des bugs ». Ouvrant ainsi la voie à un modèle partiellement payant.

    Tesla, présentée aujourd’hui comme une success story, a frôlé la faillite plusieurs fois à la fin des années 2010

    Ce n’est pas la première fois qu’Elon Musk fait emprunter un chemin périlleux à une entreprise qu’il dirige. Tesla, présentée aujourd’hui comme une success story, a frôlé la faillite plusieurs fois à la fin des années 2010, enchaînant notamment retards de livraison et difficultés d’approvisionnement.

    Le fabricant de voitures électriques haut de gamme a d’ailleurs été accusé d’avoir supprimé un test de sécurité pour accélérer la production ou d’avoir minimisé d’autres problèmes pour éviter des rappels de véhicules qui auraient pu être destructeurs pour ses finances. La méthode Musk est connue.

    A plus long terme, le rêve du nouveau patron de Twitter est d’en faire une « app universelle ». Sur le mode du WeChat chinois, une application qui concentre un maximum d’usages : tweeter, commander un taxi, un repas, prendre un ­rendez-vous médical, etc.

    « La X App de Musk est un écosystème technologique total, en l’occurrence totalement fermé sur lui-même, où tous les services numériques seraient disponibles et interconnectés, concentrant ainsi l’ensemble des usages. Un effet système sans couture qui organiserait l’enfermement algorithmique et permettrait une captation sans discontinuité des données. Le socle techno­logique primaire de la X App serait donc basé sur l’architecture existante de Twitter », détaille l’enseignante à Sciences Po Asma Mhalla, dans un article du Grand Continent.

    Avec le réseau à l’oiseau bleu, Elon Musk attrape aussi un puissant outil informationnel pour s’immiscer encore davantage sur la scène géopolitique. Le milliardaire a en effet déjà « offert » – moyennant le concours financier de l’Etat américain – aux autorités ukrainiennes un accès à sa constellation de satellites Starlink, la plus grande au monde, permettant une connexion à Internet via l’espace en évitant ainsi les infrastructures terrestres mises à mal par les combats.
    Aussi puissants que des États

    De sa proposition de plan de paix pour cette guerre à celle formulée pour régler le conflit entre la Chine et Taiwan, de quoi se mêle-t-il ? Est-ce simplement l’expression d’un mégalomane voulant trouver des solutions à tout, au mépris de sa connaissance des situations ? Ou plutôt la preuve que les géants de la tech sont en train de devenir des puissances géostratégiques ? L’un n’empêche pas l’autre.

    « Les entreprises techno­logiques prennent de plus en plus position sur les sujets internationaux, de manière très visible pour Elon Musk ou plus discrètement comme Microsoft ou Google pour l’Ukraine », détaille Julien Nocetti, également chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

    « La puissance des plus grandes plates-formes numériques équivaut à celle de certains Etats, en termes de ressources financières mais pas que, résume Annabelle Gawer. Ce sont des régulateurs privés qui autorisent ou non des entreprises et des individus à opérer sur leurs réseaux qui sont devenus des infrastructures essentielles. » L’Union européenne ne s’y est pas trompée et a envoyé cette année un ambassadeur permanent à la Silicon Valley pour échanger directement avec ces « big tech ».

    Elon Musk et ses entreprises sont aussi les produits du gouvernement américain et l’expression de son soft power

    Elon Musk est-il le symbole de cette nouvelle puissance qui échapperait aux Etats ? C’est plus ­complexe, car les big tech entretiennent un lien étroit avec la puissance publique, en l’occurrence américaine. SpaceX, l’entreprise de lancement de satellites fondée en 2002 par le futur boss de Twitter, s’est développée grâce aux fonds de la Nasa, via le contrat de ravitaillement de ses stations.

    Situation similaire pour Tesla : l’entreprise a bénéficié pendant des années de subventions à hauteur de plusieurs milliards de dollars. « Sans le soutien politique de Washington, Tesla n’aurait jamais pu construire son usine à Shanghai », observe Julien Nocetti. Une usine stratégique, car elle permet à Tesla de servir le marché chinois, le second par la taille après celui des Etats-Unis. Une Tesla sur quatre y est vendue.

    En somme, Elon Musk et ses entreprises sont aussi les produits du gouvernement américain et l’expression de son soft power. Certes, le multimilliardaire appelle à voter ouvertement pour les républicains. Certes, il entretient des relations tendues avec l’administration démocrate de Joe Biden. Pour autant, cette dernière ne lui a pas coupé ses financements et a même soutenu financièrement SpaceX, qui opère Starlink, dans son aide à l’Ukraine. Pour Asma Mhalla, « à l’instar des bien moins bruyants Microsoft, Palantir ou Google, Elon Musk participe, à sa mesure, à façonner le rôle des Etats-Unis dans la géopolitique mondiale ».

    Les éclats d’un Elon Musk ne sont ainsi que le reflet d’une économie qui voit les big tech peser de plus en plus lourd dans un monde conflictuel. L’Europe peut-elle encore se limiter à brandir ses normes pour seule réponse ?

    #big_tech #capitalisme_de_plateforme #Elon_Musk #twitter #modération sur les #réseaux_sociaux #hégémonie #fabrique_de_l'opinion

  • #Sobriété, ça va faire mal ? | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/sobriete-ca-va-faire-mal/00105241

    Longtemps, le mot fut synonyme de grand bond en arrière, d’austérité puritaine, de privations monacales. Seuls les défenseurs les plus inquiets de l’environnement la préconisaient, quitte à endurer les quolibets. Et puis, sous l’effet de la guerre en Ukraine et du chaos qu’elle a provoqué dans les circuits énergétiques, la sobriété est d’un seul coup devenue à la mode, provoquant une curieuse épidémie de cols roulés jusqu’aux sommets de l’Etat.

    A la mode, certes, mais toujours un peu inquiétante, car elle ne s’est pas défaite de sa réputation doloriste. Peut-on être sobre sans trop souffrir ? Faut-il se résigner à vivre dans le froid ? Jusqu’où devons-nous chambouler nos vies et nos modes d’organisation collective ? Que devons-nous cesser de fabriquer, de vendre et d’acheter ? Et comment répartir équitablement l’effort de sobriété pour que ceux qui ont déjà trop peu n’aient pas le sentiment qu’on leur demande de se priver davantage ?

  • Assurance chômage : un rapport religieux à l’emploi |Mathieu Grégoire
    https://www.alternatives-economiques.fr/mathieu-gregoire/assurance-chomage-un-rapport-religieux-a-lemploi/00105161

    « Nous venons d’adopter définitivement la loi réformant l’assurance chômage et le marché du travail à l’Assemblée. Le plein-emploi est accessible ! », s’est réjoui Marc Ferracci sur Twitter.

    Prenons l’exemple d’un salarié qui perd son emploi, rémunéré à hauteur de 2 000 euros brut, et qui se trouve en position de chômage durant 24 mois avant de retrouver un emploi à la rémunération équivalente. Avant la réforme, il aurait bénéficié de 24 mois d’indemnisation à hauteur de 1 140 euros brut mensuels environ.

    Que gagne-t-il avec la réforme ? Si l’on admet les projections de Marc Ferracci, il devrait en moyenne retrouver un emploi entre 18 et 72 jours plus tôt, ce qui représente entre 1 200 et 4 800 euros de salaire.

    Que perd-il avec la réforme ? Six mois d’indemnisation qui représentent 6 840 euros d’allocation. Au final, dans l’hypothèse la plus pessimiste retenue par le rapporteur de la loi lui-même, supprimer six mois d’indemnisation aura donc pour effet de réduire de 18 jours la durée de chômage de ce salarié, de le mettre en situation de chômage non indemnisé pendant 5 mois et 12 jours et de lui faire perdre ainsi 5 640 euros.

    Faire perdre près de 6 000 euros à un salarié pour l’inciter à retrouver un emploi 18 jours plus tôt, voilà donc l’ambition avouée du gouvernement.

    On mesure ainsi la disproportion du prix que le gouvernement, dans un rapport religieux à un plein-emploi devenu totem, est prêt à faire payer aux salariés pour faire baisser le taux de chômage de quelques dixièmes.

    https://seenthis.net/messages/980615

    #chômage #emploi #plein_emploi #chômage_non_indemnisé #chômeurs #droit_au_chômage

    • Intégralité :

      Opinion
      Assurance chômage : un rapport religieux à l’emploi
      Le 22/11/2022
      7 min
      Mathieu Grégoire Sociologue, enseignant-chercheur à l’université Paris-Nanterre (IDHES)

      Le contenu de la nouvelle réforme de l’assurance chômage se précise. La loi, adoptée le 17 novembre par le Parlement, prévoit de donner un blanc-seing de plus d’un an au gouvernement afin qu’il puisse se substituer aux partenaires sociaux pour fixer de nouvelles règles d’indemnisation.

      Il s’agirait, selon les députés de l’opposition, en donnant toute latitude au gouvernement d’instituer de nouvelles règles par décret, d’empêcher un vrai débat à l’Assemblée nationale. Sans leur faire offense, ce sont d’abord les acteurs du paritarisme qui sont mis sur la touche par cette loi. Et on peut penser que c’est contre un autre contre-pouvoir que le gouvernement tente de se prémunir : celui du Conseil d’Etat qui, suite aux recours des confédérations syndicales, a fait de la précédente réforme un calvaire pour Mesdames Pénicaud et Borne qui ont dû gérer le dossier tour à tour de 2018 à 2021 au ministère du Travail.

      On en connaissait le principe général, voilà désormais le détail des changements de règles que le gouvernement entend prendre par décret : moduler la durée d’indemnisation des allocataires en fonction de la conjoncture. Le ministre du Travail a annoncé lundi aux syndicats qu’en deçà de 9 % de taux de chômage, la durée d’indemnisation serait abaissée de 25 %.
      Modulation selon la conjoncture

      Le principe de cette modulation a suscité légitimement beaucoup de critiques. On peut d’abord s’étonner du reniement de la parole donnée que constitue ce choix de diminuer la durée d’indemnisation. Alors ministre du Travail, Elisabeth Borne n’avait eu de cesse d’expliquer que les « allocations ne baissaient pas » car la durée d’indemnisation augmentait pour ceux dont le montant de l’allocation baissait1.

      Manifestement, ce prétendu « marqueur de gauche » de la réforme précédente a fait long feu. Sur le principe, cette modulation soulève d’importantes interrogations en matière de justice sociale. La durée d’indemnisation de celles et ceux qui n’ont pas réussi à trouver un emploi est rabotée au prétexte que d’autres y sont parvenus… En quoi le fait que les chômeurs soient moins nombreux justifie-t-il de diminuer leurs droits ?

      En quoi le fait que les chômeurs soient moins nombreux justifie-t-il de diminuer leurs droits ?

      Autre critique intéressante, certains s’inquiètent à juste titre du caractère automatique de la modulation : le remplacement de la démocratie sociale, et plus largement de l’idée même de délibération démocratique, par un algorithme pose question. Faut-il se priver de délibérer des paramètres de l’indemnisation en fonction du contexte comme nous le faisons depuis l’origine du dispositif ?

      Le débat mérite d’autant plus d’être abordé qu’historiquement, ce sont les moments de mauvaise conjoncture et non d’embellie économique qui ont justifié de baisser les dépenses d’indemnisation. A l’image de ce que permettaient les systèmes de retraite par points de type suédois dont les pensions évoluent automatiquement à la baisse quand l’espérance de vie augmente, il s’agit de gouverner de façon automatique sans qu’il soit besoin, comme chez nous, de débattre ou de risquer un conflit social à chaque fois qu’on touche à un paramètre du dispositif.
      Calculs de coin de table

      Enfin, dernier argument mis en avant par certains économistes de gauche, il y aurait derrière cette réforme une intention cachée : celle de mettre la pression sur les salariés – de « réduire leur pouvoir de négociation » – afin qu’ils révisent à la baisse leur prétention en matière de salaire, de conditions d’emploi ou de travail.

      En réalité, malgré la qualité et la justesse de ces critiques, c’est encore en écoutant ses promoteurs que l’on mesure à quel point cette réforme est délétère, mais aussi à quel point le raisonnement qui la sous-tend révèle surtout un rapport totémique à l’emploi.

      Son principal défenseur est le rapporteur de la loi à l’Assemblée nationale, Marc Ferracci, un professeur d’économie orthodoxe, intime du président de la République, ancien conseiller spécial de Muriel Pénicaud qui s’est lancé en politique en devenant député des Français de Suisse et du Lichtenstein. Monsieur Ferracci ne craint pas d’ailleurs, malgré les déboires qu’elle a valus à son camp, de revendiquer d’avoir été « la cheville ouvrière » de la précédente réforme qui en 2019 prévoyait notamment de diviser par quatre – selon une logique que le Conseil d’Etat a jugée aléatoire – le salaire de référence de certains salariés à l’emploi discontinu.

      Il faut donc bien écouter Marc Ferracci. Selon lui, baisser la durée de l’indemnisation n’a pas d’effet sur le pouvoir de négociation des salariés, mais les incite seulement à reprendre un emploi plus tôt :

      « De nombreuses études démontrent un lien entre le taux de retour à l’emploi et les règles d’indemnisation. Par exemple, si on augmente d’une semaine la durée durant laquelle vous touchez votre allocation, vous resterez au chômage entre 0,1 et 0,4 semaine », déclare-t-il ainsi dans Le Journal du Dimanche.

      Faire perdre près de 6 000 euros à un salarié pour l’inciter à retrouver un emploi dix-huit jours plus tôt, voilà le prix que le gouvernement est prêt à faire payer aux salariés pour faire baisser le taux de chômage de quelques dixièmes

      Il y aurait beaucoup à dire d’un point de vue scientifique sur un tel calcul de coin de table. Mais il suffit de s’y pencher attentivement pour en mesurer l’inanité d’un point de vue politique. La disproportion entre les sacrifices opérés et le résultat attendu est patente.

      Prenons l’exemple d’un salarié qui perd son emploi, rémunéré à hauteur de 2 000 euros brut, et qui se trouve en position de chômage durant 24 mois avant de retrouver un emploi à la rémunération équivalente. Avant la réforme, il aurait bénéficié de 24 mois d’indemnisation à hauteur de 1 140 euros brut mensuels environ.

      Que gagne-t-il avec la réforme ? Si l’on admet les projections de Marc Ferracci, il devrait en moyenne retrouver un emploi entre 18 et 72 jours plus tôt, ce qui représente entre 1 200 et 4 800 euros de salaire.

      Que perd-il avec la réforme ? Six mois d’indemnisation qui représentent 6 840 euros d’allocation. Au final, dans l’hypothèse la plus pessimiste retenue par le rapporteur de la loi lui-même, supprimer six mois d’indemnisation aura donc pour effet de réduire de 18 jours la durée de chômage de ce salarié, de le mettre en situation de chômage non indemnisé pendant 5 mois et 12 jours et de lui faire perdre ainsi 5 640 euros.

      Faire perdre près de 6 000 euros à un salarié pour l’inciter à retrouver un emploi 18 jours plus tôt, voilà donc l’ambition avouée du gouvernement.

      « Nous venons d’adopter définitivement la loi réformant l’assurance chômage et le marché du travail à l’Assemblée. Le plein-emploi est accessible ! », s’est réjoui Marc Ferracci sur Twitter.

      On mesure ainsi la disproportion du prix que le gouvernement, dans un rapport religieux à un plein-emploi devenu totem, est prêt à faire payer aux salariés pour faire baisser le taux de chômage de quelques dixièmes.

      1.
      Avec le nouveau calcul du salaire journalier de référence, les allocataires en contrats courts qui percevaient une indemnisation plus forte sur une période plus courte, touchent désormais une allocation plus faible mais sur une période plus longue.