San Francisco contre la Silicon Valley

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  • San Francisco contre la Silicon Valley
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    Dans le quartier historique de Mission, à San Francisco, en décembre 2013.

    De San Francisco, il a connu tous les combats : la procession aux chandelles dans Market Street le 27 novembre 1978, quelques heures après l’assassinat du maire, George Moscone, et du conseiller municipal homosexuel, Harvey Milk ; l’épidémie du VIH à laquelle il croyait avoir échappé mais qui l’a rattrapé en 2001. A 63 ans, Jeremy Mykaels ne s’attendait pas à devoir livrer bataille pour conserver le deux-pièces qu’il loue depuis près de vingt ans au coeur de Castro, le quartier gay de San Francisco.

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    Jeremy Mykaels habite au 460, Noe Street, une rue qui grimpe soudainement à pic pour se terminer en plein ciel. Quand il est arrivé à San Francisco, en 1974, en provenance de l’Ohio, c’était « pour devenir une rock star ». Finalement, il a travaillé pour la compagnie pétrolière Chevron, perdu beaucoup d’amis au fil des années et, la semaine dernière, c’est Dickens, le chat qu’il avait adopté après sa pneumonie, qui l’a quitté.

    En rentrant de l’hôpital, en 2012, après une chute « idiote », Jeremy Mykaels a été averti qu’il était expulsé de son appartement. La société immobilière entendait récupérer l’immeuble, le transformer et le relouer. Le loyer est actuellement de 943 dollars (environ 700 euros) et, au regard de l’emballement actuel du marché, il pourrait probablement tripler.

    Jeremy Mykaels, qui vit avec une simple pension d’invalidité, a collé des affiches sur les fenêtres de l’appartement, visibles de la rue. « Boycottez cet immeuble ! N’achetez pas de propriétés dont les occupants âgés ou invalides ont été expulsés par des spéculateurs immobiliers sans scrupule ! » Et, depuis, il se bat.

    TOUTE UNE CULTURE EST MENACÉE

    Des militants sont allés protester en son nom devant les locaux liés à la société immobilière. Son avocat, bénévole, a fait casser le premier arrêté d’expulsion pour vice de forme. Il a gagné un an de sursis. Comme M. Mykaels, des milliers de locataires sont menacés d’expulsion à San Francisco. L’explosion de la high-tech a entraîné une augmentation phénoménale des loyers. L’ex-capitale de la contre-culture est devenue la ville la plus chère du pays.

    « Il faut l’équivalent de sept emplois au salaire minimum pour se payer un deux-pièces », dit Erin McElroy, dans les locaux du Tenants Union, le syndicat des locataires qui fournit une assistance juridique aux expulsés. Le loyer médian est de 3 250 dollars pour un deux-pièces. « Du jour au lendemain, tous les promoteurs se sont précipités pour acheter avant que San Francisco ne devienne New York », explique Paula Tejeda, la propriétaire du café Chile Lindo, qui a, elle aussi, reçu son avis d’éviction. « C’est ce qui nous attend, à moins qu’un gros tremblement de terre nous tire de là. »

    Dans les quartiers historiques de Mission et de Castro, les bars à vin remplacent les taquerias salvadoriennes. Les Dollar Store où tout est à 99 cents sont encore là, mais l’espace est grignoté par les boutiques branchées. Le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a acheté une maison sur Dolores Street.

    Toute une culture est menacée, déplore Paula Tejeda, dont les parents sont arrivés du Chili au début des années 1960. « C’est une ville sanctuaire, qui a accueilli les réfugiés politiques, les immigrants, les gays, les artistes. »

    La nouvelle population est uniforme. A 30 ans et moins, elle gagne déjà plus que tout le monde dans le quartier. « Le salaire moyen à San Francisco est de 46 000 dollars », affirme Erin McElroy, les cheveux bouclés et des tatouages de l’épaule jusqu’au coude. « Dans la tech, cela grimpe à 130 000 dollars. »

    Lire (édition abonnés) : A San Francisco, les « techies » sur la défensive à l’arrêt de bus

    « ILS PARLENT COMME DES ROBOTS »

    « Les tensions ont commencé quand Twitter est venu s’installer dans le centre », raconte Ariane Zambiras, sociologue à l’université californienne de Berkeley. L’introduction en Bourse de l’entreprise de mini-messages a rendu millionnaires, du jour au lendemain, 1 600 personnes de plus dans la ville alors que Twitter avait obtenu de la mairie une exonération de cotisations sociales pour 56 millions de dollars.

    (etc.)

    #anti-techies