« Il se passe une chose bizarre avec la démocratie : tout le monde semble y aspirer, mais personne n’y croit plus » : c’est la première phrase de votre livre. N’êtes-vous pas dans l’excès ?
Il suffit de consulter les chiffres de l’Eurobaromètre ou de Transparency International. Ils révèlent, depuis une dizaine d’années, un déclin graduel et constant de la confiance des Européens dans leurs institutions démocratiques. Les populations se sentent de moins en moins représentées. D’après Transparency International, 67 % des Belges interrogés considèrent les partis politiques comme les instances les plus corrompues du pays, alors qu’ils constituent les acteurs principaux de notre système démocratique. Les partis, à de rares exceptions, ne se mettent pas à l’écoute des citoyens. Dans le même temps, avec Facebook et Twitter, il y a un mouvement d’émancipation des citoyens à travers des prises de parole. Au plan politique, pourtant, ces citoyens ne prennent la parole qu’une fois tous les quatre ou cinq ans, lors des élections.
Pour contrer cette « fatigue démocratique », vous plaidez en faveur d’un système bi-représentatif, avec des élus et des citoyens tirés au sort. Des exemples existent déjà ?
Oui. Ce qui se passe actuellement en Irlande est très intéressant. Pour la première fois, un pays expérimente un système de double représentation. Trente-trois élus se sont mis ensemble avec soixante-six personnes tirées au sort pour discuter de huit articles de la Constitution irlandaise, dont un article relatif au mariage homosexuel. Dans un pays pourtant assez traditionnel sur le plan des valeurs, on assiste à un débat serein parce que les citoyens se sentent impliqués. C’est le meilleur exemple, à ce jour, d’un pays qui innove sur le plan démocratique en alliant le tirage au sort aux élections.
Vous dites que la Belgique devrait montrer l’exemple en matière de double représentation. Pourquoi
Les deux pays les plus avancés en Europe en matière d’innovation démocratique, ce sont l’Irlande et l’Islande. Il se fait que ce sont deux pays ayant traversé des crises profondes en 2007-2008. La Belgique a également connu une grave crise politique, avec le fameux épisode des 541 jours sans majorité fédérale. Cette crise a montré que notre problème n’était pas la Belgique en tant que telle, mais bien son fonctionnement démocratique et, plus particulièrement, son système électoral. On a pu constater les limites du système électoral. D’autre part, on a chez nous un grand savoir-faire en matière de procédures de participation citoyenne (beaucoup de communes y ont déjà recours, notamment à Anvers). Mon message est en fait de dire : allons plus loin que le niveau local et agissons au plan national. On doit en quelque sorte passer du droit de vote au droit de parole. Le Français Bernard Manin l’explique très bien : on a eu une extension quantitative de la démocratie (avec l’élargissement du droit de vote depuis le XIXe siècle), mais pas d’extension qualitative (on reste en présence d’une élite).