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    • Débat. Abolir les frontières coloniales en Afrique

      Pour le penseur camerounais Achille Mbembe, la prochaine phase de la décolonisation de l’Afrique est l’abolition des territoires hérités de la colonisation.


      https://www.courrierinternational.com/article/debat-abolir-les-frontieres-coloniales-en-afrique

    • Débat. Abolir les frontières coloniales en Afrique

      Publié le 26/05/2017 - 17:21

      Pour le penseur camerounais Achille Mbembe, la prochaine phase de la décolonisation de l’Afrique est l’abolition des territoires hérités de la colonisation.

      La gouvernance de la mobilité humaine pourrait bien être le principal problème auquel sera confronté le monde en cette première moitié de XXIe siècle. À l’échelle internationale, les effets conjugués d’un capitalisme rapide et d’une saturation du quotidien par les technologies numériques et informatiques ont conduit à l’accélération et à l’intensification des connexions. À ce titre, nous vivons une époque d’interdépendance planétaire. Or, où que l’on regarde, la tendance est résolument au repli sur soi. Si elle persiste, elle débouchera sur un monde de plus en plus confiné, fait de toutes sortes d’enclaves, de culs-de-sac et de frontières mouvantes, mobiles et diffuses.

      Le pouvoir de décider qui peut se déplacer, où et dans quelles conditions sera au cœur de luttes politiques sur la souveraineté. Le droit des ressortissants étrangers à franchir les frontières d’un pays d’accueil et à entrer sur son territoire n’a certes pas encore été officiellement aboli. Mais, comme le montrent les innombrables événements auxquels nous assistons actuellement, il devient de plus en plus procédural et peut être suspendu ou révoqué à tout instant, sous n’importe quel prétexte.

      Si nous sommes à deux doigts d’en arriver là, c’est parce qu’un nouveau régime sécuritaire mondial est en train de prendre corps. Un régime caractérisé par l’externalisation, la militarisation et la miniaturisation des frontières, une infinie segmentation et restriction des droits et le déploiement quasi généralisé de techniques de pistage et de surveillance, perçues comme la méthode de prévention idéale. Or sa fonction première est de faciliter la mobilité de certaines personnes tout en l’interdisant ou en la refusant à d’autres. Ce régime sécuritaire ouvre la voie à des formes inédites de violence raciale, ciblant le plus souvent des minorités, des individus dépossédés de leurs droits et déjà vulnérables. Une violence entretenue par de nouvelles logiques de rétention et d’emprisonnement, d’expulsion et de refoulement.

      De plus, la mobilité est aujourd’hui plus volontiers définie en termes géopolitiques, militaires et sécuritaires. Théoriquement, les individus présentant un profil à faible risque ont toute latitude pour se déplacer. Dans les faits, l’évaluation du risque sert surtout à justifier un traitement inégal et discriminatoire fondé sur des critères de couleur de peau.

      Alors que la tendance à la balkanisation et au repli sur soi se confirme, la redistribution inégale des capacités à négocier les frontières à l’échelle internationale devient un caractère dominant de notre époque. Dans les pays du Nord, le racisme anti-immigrés ne cesse de gagner du terrain. Les “non-Européens” et les “non-Blancs” sont soumis à des formes de violence et de discrimination plus ou moins flagrantes.

      La rhétorique même du racisme a changé : les concepts de différence et d’extranéité sont désormais ouvertement analysés en termes culturels ou religieux.

      À l’échelle mondiale, il s’agit à présent de priver autant de personnes que possible du droit à la mobilité, ou du moins de l’assortir de règles draconiennes qui, objectivement, empêchent tout déplacement. Lorsque ce droit à la mobilité est reconnu et accordé, on déploie autant d’efforts pour rendre le droit de séjour aussi incertain et précaire que possible. Dans ce modèle ségrégationniste de circulation mondiale, l’Afrique est doublement pénalisée, de l’extérieur et de l’intérieur.

      Double handicap

      Pratiquement tous les pays considèrent aujourd’hui les migrants africains comme des indésirables. Parallèlement, l’Afrique, elle-même aux prises avec des centaines de frontières intérieures qui renchérissent les coûts de la mobilité au point de les rendre prohibitifs, reste à la traîne et ressemble de plus en plus à une prison à ciel ouvert.

      Pour contenir les flux migratoires d’Afrique subsaharienne, l’Europe finance ainsi les pays d’origine et de transit afin que les candidats à l’exil y restent ou ne puissent jamais traverser la Méditerranée. À cet égard, l’objectif ultime du fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique est de fermer aux Africains toute voie de migration légale un tant soit peu crédible.

      En échange d’argent, des régimes africains brutaux et corrompus sont chargés d’emprisonner les migrants africains et de retenir chez eux les demandeurs d’asile. Beaucoup de ces pays sont devenus des rouages essentiels du système d’expulsions et de rapatriements forcés sur lequel repose la politique migratoire antiafricaine de l’Europe.

      De fait, aucun voyageur muni d’un passeport africain – ou aucun individu d’origine africaine – n’est aujourd’hui à l’abri d’une fouille abusive ou d’une détention arbitraire.

      Rares sont ceux qui échappent aux interminables contrôles d’identité inquisiteurs dans les aéroports et dans les trains, sur les autoroutes ou aux barrages routiers. Rares aussi ceux qui bénéficient du droit à une audition équitable avant d’être maintenus en zone d’attente ou refoulés.

      Aux frontières et autres points de contrôle, ils figurent presque systématiquement parmi les personnes soumises à des contrôles sévères ou scrupuleusement et intégralement fouillées. Constamment sous la menace d’un contrôle au faciès, ils sont presque toujours parmi ceux qui sont interdits d’entrée ou pénalisés.

      La mobilité, vecteur de changement

      Les pays postcoloniaux d’Afrique n’ont pas su se doter d’un cadre législatif commun pour coordonner leur politique de gestion des frontières, de modernisation des registres d’état civil, de libéralisation des visas ou du traitement de ressortissants de pays tiers résidant légalement dans des États membres. La fin du pouvoir colonial n’a pas laissé place à une ère nouvelle garantissant à tous la liberté de circuler. Les frontières coloniales sont au contraire devenues intangibles et aucune initiative décisive en faveur d’une intégration régionale n’a été entreprise. À l’exception de la Communauté économique des États d’Afrique occidentale (Cédéao), le droit à la mobilité à l’intérieur et au-delà dees frontières nationales et régionales reste une illusion.

      À une époque où tout va très vite, la mobilité lente coïncide systématiquement avec la couleur de peau et, paradoxalement, le continent africain est lui-même pris au piège de la lenteur.

      Cela n’a pas toujours été le cas.

      Pour élaborer une politique migratoire centrée sur l’Afrique, les catégories et concepts empruntés au lexique occidental, comme “intérêt national”, “risques”, “menaces” ou “sécurité nationale” ne nous sont d’aucune utilité. Ils renvoient à une philosophie des déplacements et à une philosophie de l’espace qui reposent entièrement sur le présupposé de l’existence d’un ennemi dans un monde hostile. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des traditions profondément ancrées relevant de l’antihumanisme occidental trouvent leur expression la plus manifeste dans les politiques antimigratoires actuelles, utilisées pour mener une guerre sociale à l’échelle mondiale.

      L’Afrique précoloniale n’était certes pas un monde sans frontières, mais lorsqu’il y en avait elles étaient toujours poreuses et perméables. Comme en témoignent les traditions de commerce de longue distance, la liberté de circulation a été un instrument fondamental dans la production de formes culturelles, politiques, économiques et sociales. Les espaces et les territoires ont été délimités et organisés selon le principe de mobilité, principal vecteur de transformation et de changement. Les réseaux, les flux et les carrefours d’influences étaient plus déterminants que les frontières. Le plus important tenait à cette dynamique des flux de déplacement.

      Dans ce régime de confluences souples mais généralisées, une forte mobilité de toutes les strates de la société était également un moyen de surmonter les sentiments de vulnérabilité et d’incertitude. Les frontières politiques permettaient bien entendu de distinguer les premiers arrivants, membres à part entière d’une communauté, des étrangers ou nouveaux venus. Mais la richesse humaine a toujours surpassé la richesse matérielle, et il y a toujours eu des formes d’appartenance multiples. La norme consistait alors à sceller des alliances par les échanges commerciaux, les mariages ou la religion, et à intégrer les nouveaux venus, les réfugiés et les demandeurs d’asile aux communautés existantes.
      Une invention coloniale

      L’État n’était qu’une forme de gouvernement populaire parmi tant d’autres. Et la notion de peuple englobait non seulement les vivants, mais aussi les morts et les enfants à naître, les êtres humains et tous les autres êtres vivants.

      Tout individu, fût-il un ennemi, avait droit à l’hospitalité. Les étrangers qui arrivaient dans un pays dans des dispositions pacifiques n’étaient pas traités en ennemis. Ils avaient toutes les chances de s’intégrer durablement à la population et le droit de séjour temporaire était quasi universel.

      Diviser les territoires par des frontières politiques est une invention coloniale. En instituant un rapport d’hostilité entre la circulation des personnes et l’organisation politique de l’espace, le pouvoir colonial a inauguré une nouvelle phase dans l’histoire de la mobilité en Afrique.
      À lire aussi Entretien. “Je comprends pourquoi les migrants fuient leur pays”

      En reprenant le modèle de territorialité axé sur l’État, qui délimite des nations aux frontières fermées et bien gardées, les pays africains postcoloniaux ont rompu avec les très anciennes traditions de liberté de circulation qui avaient toujours été le moteur du changement sur le continent. Ce faisant, ils ont adopté la logique antihumaniste inhérente aux philosophies occidentales de mobilité et d’espace et l’ont retournée contre leur propre peuple.

      Depuis, la fétichisation de l’État-nation a provoqué des dégâts considérables sur la destinée de l’Afrique dans le monde. Le coût humain, économique, culturel et intellectuel du régime existant de frontières sur le continent a été colossal. Il est temps d’y mettre un terme. Devenir une vaste zone de liberté de circulation est sans conteste le plus grand défi auquel l’Afrique aura à répondre au XXIe siècle. L’avenir de l’Afrique ne saurait être assuré par des politiques migratoires restrictives ni une militarisation des frontières.
      Démantèlement des États-nations

      Le continent doit s’ouvrir à lui-même. Il doit devenir un grand espace de circulation. C’est pour lui l’unique moyen de se recentrer sur lui-même dans un monde multipolaire. Pour faire de la mobilité la pierre angulaire du nouveau programme panafricain, nous devons renoncer aux modèles migratoires fondés sur des concepts antihumanistes tels l’“intérêt national” et en revenir à nos anciennes traditions de souveraineté mouvante et diffuse et de sécurité collective.

      Sur un continent où l’organisation coloniale a démantelé les frontières des États-nations, et où ceux-ci disposent pourtant encore de quelque capacité à contrôler, à recenser et à surveiller les individus, il est grand temps que les pays africains développent une véritable politique commune de la mobilité, assise sur des instruments juridiquement contraignants.

      Pour réaliser cet objectif d’un continent sans frontières, les méthodes d’identification biométrique et les bases de données interconnectées seront peut-être inévitables. Mais nous devrions utiliser les procédures d’identification et les technologies de sécurité non pour consolider le régime de double confinement auquel l’Afrique a été astreinte, mais pour accroître la mobilité sur le continent.
      Prochaine phase de la décolonisation

      Nous arrivons à un point où, du fait du contexte géopolitique actuel, des puissances extérieures pourraient être en mesure de dicter à chacun de nos fragiles États nationaux les conditions dans lesquelles notre propre population aurait le droit de se déplacer, même à l’intérieur de l’Afrique proprement dite.

      La prochaine phase de la décolonisation de l’Afrique consistera à garantir la mobilité à tous ses habitants et à redéfinir les modalités d’appartenance à un ensemble politique et culturel qui ne se limite pas à l’État-nation. Aucun pays n’est mieux placé pour prendre la tête de cette initiative que l’Afrique du Sud.

      Si rien n’est fait, nous ne ferons que renforcer les classifications raciales déjà ancrées dans l’imaginaire mondial, et qui nous valent d’être constamment humiliés et dépossédés de notre dignité dès que nous franchissons une frontière dans le monde contemporain

      Achille Mbembe

  • (2) Pour une nouvelle cartographie du masculin - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2017/10/26/pour-une-nouvelle-cartographie-du-masculin_1605666

    Ce psy ne consulte manifestement que pour consolé les masculinistes et les nice guy. Le pbl du texte c’est pas « comment ne plus opprimer les femmes ? » "Comment ne plus violer ?" jamais les mots domination, patriarcat ne sont prononcé. La question que ce pose ce psy c’est « comment rendre les hommes heureux ? » "Comment faire que les hommes retrouvent la paix interieur ?"

    Les hommes parlent dans mon cabinet, et plutôt beaucoup plus tous ces derniers jours, et ceux qui ne se définissent pas par un « arbitre enculé » hurlé sur un stade ou « toutes des salopes » ruminé sur un comptoir se demandent quelle parole avancer, quelle solidarité exprimer, quel témoignage pourrait être à la hauteur de ce déferlement de si poignantes révélations.

    Depuis un siècle, les femmes s’interrogent sur la nature du féminin et sur la construction sociale de la féminité. Depuis un demi-siècle, les homosexuels affrontent les questionnements sur le genre et l’identité sexuée dans son rapport à l’identité sexuelle. Et, pendant tout ce temps, les hommes sont restés muets, sûrs que leur masculinité, garante de l’universalisme, allait de soi. Comme s’ils regardaient les autres changer sans être concernés, comme s’ils subissaient toutes ces transformations sans même se donner la peine d’y penser.

    Et pourtant, de mon fauteuil, j’entends, je vois ces mutations qui les interpellent, les déstabilisent, les effraient parfois. En pénétrant de plus en plus l’univers des émotions, de l’intimité, du partage jusque-là réservé aux femmes, en interrogeant la figure du patriarcat pour pouvoir s’en éloigner, ils s’autorisent enfin à explorer des parties d’eux-mêmes auxquelles ils n’avaient pas accès et qui les transforment en individus complets. Mais pendant que certains se métamorphosent, et modifient leur vision intérieure du masculin, d’autres s’arc-boutent désespérément pour préserver les valeurs traditionnelles. Ainsi, dans une même ville, à quelques mètres les uns des autres, vivent des hommes qui n’ont pas du tout la même perception de ce que peuvent être les hommes, et les rapports qu’ils sont censés entretenir avec les femmes, les enfants, les autres hommes… Les caractéristiques de la virilité sont devenues confuses, et la construction de l’identité masculine plus complexe. Il ne suffit pas d’être fort, viril, courageux, d’accumuler les conquêtes et de ne pas montrer ses sentiments. Pour un homme, savoir exprimer ses émotions est désormais un signe d’intelligence plutôt que de faiblesse.

    Trop viril, trop doux, trop macho, trop présent, trop laxiste, trop absent : lorsque ce n’est pas la société tout entière qui leur reproche de ne pas être à la bonne place, les hommes s’en chargent eux-mêmes. Ils sont bien souvent en crise parce qu’ils reçoivent toutes ces interrogations de plein fouet sans disposer des clés qui leur permettraient d’y répondre. Ils n’ont pas l’habitude de réfléchir sur eux, non pas parce que ça n’est pas dans leur nature, mais parce que ça n’est pas dans leur éducation.

    Même si chacun cherche ses marques, même si viol et harcèlement sexuels se conjuguent uniquement au masculin, même si les hommes détiennent encore les clés du pouvoir économique et politique, si neuf dixièmes des grands patrons de ce pays continuent d’être des hommes, si à compétences égales ils touchent des salaires 10% à 15% plus élevés que leurs collègues féminines, une chose fondamentale a changé dans leur vie, de façon profonde et durable : ils aspirent à une vraie intimité conjugale et familiale. Ils veulent être heureux dans leur vie privée, s’occuper de leurs enfants, s’épanouir intérieurement. Et ça passe avant leur travail et leurs conquêtes. De plus en plus.

    Depuis mon double fauteuil de thérapeute conjugal et familial, mais aussi d’analyste, je vois les couples et les familles s’interpeller sur leurs rôles sociaux, en même temps que se bagarrent dans leurs inconscients les représentations de ce que « doit être » un homme ou une femme. Et j’observe au quotidien, dans mon cabinet, comment se mettent en place des nouveaux modes de relations entre les hommes et les femmes. J’entends la parole se délier, surtout bien sûr chez les plus jeunes. Et je les vois inventer tranquillement un monde égalitaire où masculin et féminin s’interpénètrent avec fluidité, curiosité, respect, allégresse.

    Comment dessiner aujourd’hui cette nouvelle cartographie du masculin ? Prenons la parole mes frères, en notre nom, mais aussi « en tant qu’homme » même si chacun n’en représente qu’une infime facette, ressortons le hashtag « not in my name » pour compléter le « me too » de nos amies les femmes, ou inventons-en un nouveau « #AuNomDesHommes ». Il pourrait aussi faire sauter quelques digues.

    #masculinisme #domination_masculine #fraternité

  • A mes amis qui trichent avec la carte scolaire (Libération)
    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/18/a-mes-amis-qui-trichent-avec-la-carte-scolaire_1597237

    Pourtant, vous les connaissez, les bienfaits de la mixité scolaire, le bien-fondé, pour un quartier, pour une société, de l’hétérogénéité sociale. Mais pour Junior, une bonne petite classe de niveau, ce serait pas mal. Pourtant, ce quartier, vous étiez content de vous y installer. Un quartier mélangé, comme on dit, nous autres gentrificateurs. D’ailleurs, ce mélange, il était pratique il y a quelques années : il rendait abordable le niveau des loyers ou le prix du mètre carré. Mais dix ans plus tard, ce mélange devient embarrassant…

    Carte scolaire : lettre d’un « tricheur » (Libération)
    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/21/carte-scolaire-lettre-d-un-tricheur_1597991

    L’angoisse ? Celle du déclassement, la peur que nos enfants ne retrouvent pas notre position. La foi ? Celle qu’un petit nombre de filières scolaires peut leur garantir d’y échapper, et que notre rôle de parent est de leur donner le plus de chances d’y accéder. […] L’entrée en 6e est un rendez-vous intime pour chaque parent avec ses peurs reptiliennes, ses représentations cachées plus ou moins assumées, et ce qu’il projette sur ses enfants. C’est un moment de vérité où on n’a d’autres possibilités que de choisir un camp, une appartenance.

    #éducation #collège #évitement_scolaire #mixité_sociale #gentrification #inégalités #déclassement

  • (20+) Ce que cache Martin Shkreli, l’homme qu’il faut haïr - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2017/10/18/ce-que-cache-martin-shkreli-l-homme-qu-il-faut-hair_1604026

    Il a multiplié par 55 le prix d’un médicament. Condamné pour fraude, ce sale gosse de la finance crevait la bulle biotech dès qu’il le pouvait pour s’enrichir. Degré zéro d’une ascension de jeune start-uper, il est devenu la mauvaise conscience de l’Amérique.

    Le coup a consisté à tirer profit de la bureaucratie légendaire de la FDA, régulièrement dénoncée parce qu’elle empêche les Américains d’avoir accès à des médicaments à bas prix - le Daraprim est accessible pour quelques dollars dans le reste du monde. Martin Shkreli a compliqué le traitement de quelques malades, sans aucun doute, mais il sert surtout d’épouvantail. Faire de son geste une abomination morale permet d’oublier que les augmentations de prix obscènes sont le business model favori de l’industrie pharmaceutique, et non une exception scandaleuse. Voir récemment l’affaire du Sofosbuvir, ou plus lointainement - les connaisseurs de l’histoire d’Act Up s’en souviennent - l’augmentation en 1989 par 1 700 % du prix d’un vieux médicament, la Lomidine, par le français Sanofi pour ponctionner les malades du sida. Bref, Shkreli peut se sentir injustement traité : il avait même emprunté aux géants de la big pharma l’idée d’un programme « compassionnel » de don du médicament aux indigents. Mais ses dents n’étaient sans doute pas assez blanches.

    Condamné cet été pour avoir menti à ses investisseurs (sans jamais leur faire perdre d’argent), Shkreli semble n’avoir jamais compris de quoi on l’accusait. Car c’est pour d’autres raisons qu’il dérange. Il doit sa fortune à des investissements osés dans les biotechnologies : des paris sur la baisse (short-selling en langage technique) du cours de plusieurs start-up surévaluées par le marché. En gros, il s’est appliqué, comme un sale gosse, à crever la bulle biotechnologies dès que l’occasion se présentait, en empochant au passage le pactole.

    #Biotechnologies #Médicaments #Arnaques

  • Ce que cache Martin Shkreli, l’homme qu’il faut haïr, par Guillaume Lachenal
    http://www.liberation.fr/debats/2017/10/18/ce-que-cache-martin-shkreli-l-homme-qu-il-faut-hair_1604026

    Sa carrière renvoie l’univers des #start-up à ses #illusions : il a fait des études médiocres, il a appris la biologie à la bibliothèque municipale, il prend ses infos sur Twitter, et pourtant ses performances d’investisseur furent souvent exceptionnelles. Il ne cache pas non plus que les start-up qu’il a fondées n’ont jamais fait de recherche, mais fonctionnaient plutôt comme des produits financiers, tentant de créer la hype avec des promesses plus ou moins sérieuses. Il semblait chuchoter, avec sa petite voix désagréable : « Et si tout ceci n’était que du vent ? ». Sa success-story devenait embarrassante : elle suggérait que toute la bulle #biotech tenait d’une pyramide de Ponzi à la Madoff. Pour que l’on continue de croire au canular, il fallait que le self-made-man redevienne une anomalie.

    #financiarisation #pharma #bouc_émissaire #troll

  • Judith Rochfeld : « La raréfaction des ressources naturelles a obligé à les envisager comme des biens communs » - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2017/10/17/judith-rochfeld-la-rarefaction-des-ressources-naturelles-a-oblige-a-les-e

    De la biodiversité, aux ressources numériques, comment définir les « communs » ? Plus de 200 contributeurs (économistes, historiens, sociologues) relèvent le défi dans un dictionnaire. Pour la juriste Judith Rochfeld, une des coordinatrices de l’ouvrage, la notion remet en question le principe de propriété privée.

    Lorsqu’on parle des communs, au pluriel, il y a une filiation dominante : l’idée de biens gouvernés en commun, qui se situent entre la propriété privée et la propriété publique. C’est le travail mené par l’économiste américaine Elinor Ostrom, récompensée en 2009 par l’équivalent du Nobel en économie, et son école, dite de Bloomington. A l’origine, ce travail portait sur des ressources naturelles - des réseaux d’irrigation, des forêts, des pêcheries… - et conduisait au constat que ces ressources, gérées par une communauté d’une centaine de personnes au maximum, faisaient l’objet d’un « faisceau de droits » distribués entre les membres : droit d’accès, droit de prélèvement, droit d’inclure ou d’exclure, droit de gouverner la ressource… Il démontrait, par des exemples concrets, qu’il existe une gouvernance collective qui permet la durabilité du bien et des usages partagés. Ce mouvement a ensuite exploré les ressources immatérielles de la connaissance ; Wikipédia, par exemple, s’inscrit assez bien dans ce schéma de gouvernance. Evidemment, si on envisage de très grands communs comme le climat, la biodiversité ou l’eau, les choses se compliquent : la communauté devient universelle et, on le voit, une gouvernance mondiale est très difficile…

    En réaction au servage de la société médiévale, la Révolution française a établi la propriété privée comme une manifestation de la liberté individuelle sur les biens. La France est aussi un Etat très centralisé, dans lequel le public a absorbé le commun. Dans notre tradition, il est très difficile de penser autre chose que la propriété privée d’une part, la propriété publique de l’autre…

    Les communs ont été très présents dans les débats sur la loi numérique en France, autour de la reconnaissance du domaine public, du logiciel libre, des « communs volontaires » de la connaissance… Mais il y a eu peu d’effets concrets.

    Le simple fait que ce débat ait eu lieu était très important. Les questions ont été posées - or jusque-là, elles ne l’étaient pas. Il y a beaucoup de discussions aujourd’hui sur la protection du domaine public, ou sur des exceptions au droit d’auteur pour les œuvres dites transformatives, par exemple les pratiques de réutilisation de morceaux d’œuvres existantes. Ces discussions ne sont pas achevées, mais il ne faut pas oublier d’où on part… Et puis il y a des changements : la loi sur la biodiversité de 2016, par exemple, reconnaît qu’un propriétaire peut s’imposer des obligations pour la protection de l’environnement. C’est l’aboutissement d’un processus : cela fait des années que cette idée est discutée.

    #Communs #Dictionnaire

  • L’utilisation des images au cœur de l’affaire du quai de Valmy

    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/28/l-utilisation-des-images-au-coeur-de-l-affaire-du-quai-de-valmy_1599649

    Le procès de l’attaque d’un véhicule de police s’est achevé mercredi. Des spécialistes de l’image dénoncent le poids des photos et des vidéos et rappellent qu’il faut toujours confronter ces procédés à d’autres discours.

    Pour en avoir côtoyé un grand nombre, pour les mettre en scène ou les créer, nous savons qu’une image ne vaut rien en elle-même, qu’elle est indissociable d’un discours, d’un montage, d’autres images. Si certains militants ont qualifié cette affaire de montage policier, nous pouvons reprendre le mot à notre compte : l’enquête de police n’est rien d’autre qu’un montage photo dérisoire, marqué par quelques flèches rouges ici et là, pointées vers une chaussure ou un « regard cerné » sous une cagoule, comme pour dire : « La vérité est ici et pas ailleurs. »

    Premiers signataires : Eric Baudelaire, plasticien, cinéaste ; Nicole Brenez, professeur en études cinématographiques ; Dominique Cabrera, cinéaste ; Laurent Cantet, cinéaste ; Carmen Castillo, cinéaste ; Sylvain Creuzevault, metteur en scène ; Émilie Deleuze, cinéaste ; Marie Desplechin, romancière ; Georges Didi-Huberman, philosophe et historien de l’art, EHESS ; Yann Gonzalez, cinéaste ; Patrick Grandperret, cinéaste ; Alain Guiraudie, cinéaste ; Nicolas Klotz, cinéaste ; Marie-José Mondzain, philosophe ; Gérard Mordillat, romancier et cinéaste ; Olivier Neveux, professeur d’études théâtrales, ENS de Lyon ; Océanerosemarie, auteure et comédienne ; Jean-Gabriel Périot, cinéaste ; Jean-François Sivadier, metteur en scène ; Tardi, dessinateur-auteur de BD ;

  • #Christiane_Taubira : « Le mythe français de l’égalité, un mythe noble, empêche de revenir sur le crime de l’esclavage » - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2017/10/06/christiane-taubira-le-mythe-francais-de-l-egalite-un-mythe-noble-empeche-

    A l’occasion de la sortie du nouvel essai de l’Américain Ta-Nehisi Coates, « le Procès de l’Amérique », l’ex-garde des Sceaux, qui en a signé la préface, revient sur la question des réparations matérielles ou éthiques. Comme les Etats-Unis, la France doit s’interroger sur son histoire esclavagiste et coloniale qui abîme encore notre présent.

    #esclavage #racisme #xénophobie #états-unis

    • semi #paywall alors :

      Christiane Taubira : « Le mythe français de l’égalité, un mythe noble, empêche de revenir sur le crime de l’esclavage »
      Sonya Faure et Catherine Calvet, Libération le 6 octobre 2017
      http://www.liberation.fr/debats/2017/10/06/christiane-taubira-le-mythe-francais-de-l-egalite-un-mythe-noble-empeche-

      A l’occasion de la sortie du nouvel essai de l’Américain Ta-Nehisi Coates, « le Procès de l’Amérique », l’ex-garde des Sceaux, qui en a signé la préface, revient sur la question des réparations matérielles ou éthiques. Comme les Etats-Unis, la France doit s’interroger sur son histoire esclavagiste et coloniale qui abîme encore notre présent.

      Après le succès d’Une colère noire (Autrement, 2016), l’écrivain et journaliste américain Ta-Nehisi Coates publie un nouvel essai, le Procès de l’Amérique. « Il est temps de laver notre linge sale en public »,écrit-il. Il est temps pour les Etats-Unis de se poser la question des réparations de l’esclavage et de la ségrégation. Dans son livre, Coates décrit précisément comment « le pillage d’hier a rendu le pillage d’aujourd’hui plus efficace » : les Etats-Unis ont bien une dette envers la communauté noire. Initiatrice de la loi reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité, Christiane Taubira a signé la préface du Procès de l’Amérique. Nulle réparation matérielle n’effacera un crime si grand que l’esclavage ou la colonisation, prévient l’ancienne garde des Sceaux. Mais la France a elle aussi un devoir : permettre un débat rationnel et serein sur notre passé commun, dont les traces continuent de fragiliser le présent.

      Qu’est-ce qui, dans le livre de Ta-Nehisi Coates, vous a convaincue de le préfacer ?

      Avant tout, ce croisement inédit entre d’une part, la souffrance des gens, leurs combats, leurs désillusions, et d’autre part, le décryptage précis des dispositifs qui vont pénétrer des vies pour les démolir : Coates parvient à entremêler le savant et l’émotionnel. Le Procès de l’Amérique montre par quels mécanismes « la kleptomanie d’Etat », comme il l’écrit, a continué après la fin de l’esclavage, après même la ségrégation. Comment le pillage de la force de travail des Africains-Américains laisse encore des traces.

      Une colère noire a connu un grand succès en France. Nous scandalisons-nous de la situation américaine pour mieux s’aveugler sur la nôtre ?

      Je suis absolument persuadée qu’en France, des personnes sont capables, sans arrière-pensée ni calcul, d’avoir une vraie curiosité pour la société américaine. C’est à nous de nous appuyer sur ce que décrit Coates pour rappeler que la France aussi fut une puissance esclavagiste, dans des conditions très différentes des Etats-Unis. Aurait-elle échappé à toutes les séquelles de ce passé ? Non.

      La France aussi se serait livrée à « une épouvantable entreprise de brigandage d’Etat », comme vous le dites des Etats-Unis ?

      La traite négrière, l’esclavage, la colonisation : c’est du brigandage. Partout, l’appareil d’Etat s’est donné le droit d’émettre des règles violentes et inégalitaires. C’est l’Etat qui a organisé le commerce, créé les compagnies de monopoles et les comptoirs le long des côtes [qui, dès le XVIIe siècle, ont été un pilier de la colonisation, ndlr]. C’est l’Etat qui a décidé du régime fiscal avantageux, accordé des licences de navigation aux compagnies maritimes qui profitaient de la traite, c’est même l’Etat qui percevait une dîme sur le nombre d’esclaves baptisés. Oui, c’est un brigandage établi. Pourtant, chaque fois que ressurgit la question des réparations, le débat provoque une hystérie sans nom.

      Mais au fond, que signifie « réparer » de tels crimes ?

      La réparation n’est pas que matérielle. Elle est politique et éthique. Quel sens cela a-t-il de vivre ensemble et de faire comme si le passé n’avait laissé aucune trace ? C’est un non-sens. Il faut avoir du courage, dépasser des préoccupations immédiates. C’est une parole mesquine que celle qui décide que puisque cela me dérange, il n’y a pas lieu d’en débattre. Les aspects matériels que les réparations pourraient entraîner sont bien peu de chose. Car le crime de l’esclavage est irréparable. On ne répare pas les vies qui se sont achevées au fond de l’Atlantique ou de l’océan Indien. On ne répare pas ces enfants vendus séparément de leurs parents. La question est plutôt de savoir si nous sommes capables d’affronter le passé et d’en voir toutes les survivances dans le présent. Celles qui aujourd’hui cassent les relations dans la société, celles qui obstruent le regard que l’on pose sur l’autre. Abordons ainsi la question des réparations, et normalement la frayeur et l’hystérie devraient disparaître.

      Sommes-nous prêts ?

      Je ne sais pas si c’est possible mais c’est indispensable. Peut-on comprendre notre rapport aux banlieues sans regarder le passé ? Non. Sinon on est dans le fait divers, dans l’incident, l’inexplicable. Or tout est parfaitement explicable : cette incompréhension, ces rancœurs enfouies, cette peur qui pousse à réagir n’importe comment… Tout cela a un lien organique.

      Ce débat-là, les Etats-Unis le mènent plus que nous…

      L’urgence paraît plus forte aux Etats-Unis car les traces physiques et matérielles de l’esclavage sont là, sous les yeux de tous. La ségrégation n’est pas si ancienne. Dans un discours absolument sublime, à l’université de Cambridge en 1965, l’écrivain James Baldwin explique que la prospérité de l’Amérique repose sur sa sueur. Il dit « ma sueur », il ne dit pas la sueur de ses ancêtres. « My sweat, my free labour. » Ma sueur, mon travail gratuit. Il reste une mémoire vive sur la façon dont la loi organisait la domination, l’oppression, la séparation. Il reste une mémoire vive sur la tolérance de l’Etat, sa complaisance envers les crimes et les lynchages de Noirs. Il suffit qu’une parole « autorisée » soit suffisamment permissive, comme celle de M. Trump, pour que certains se lâchent à nouveau, comme à Charlottesville cet été. En France, poser la question des réparations demande un plus grand volontarisme car on peut faire semblant d’oublier que les colonies étaient des terres d’esclavage. On peut se glorifier de l’égalité avec « nos compatriotes d’outre-mer » - un terme toujours prononcé avec un trémolo dans la voix, un surcroît d’empathie, une espèce de démonstration impudique. Mais au quotidien, ces compatriotes d’outre-mer font l’expérience d’une citoyenneté différente. Et l’ancien empire colonial est de plus en plus visible sur le sol français, dans nos banlieues. On peut toujours tenter de fuir. Sauf qu’on est rattrapé par le passé. Je dis délibérément « on ». Car ou bien nous portons cela tous ensemble, ou bien nous faisons les mariolles : si je descends d’esclaves, vous descendez des maîtres, et nous n’aurons plus qu’à régler nos comptes. Je pense que c’est une impasse. Nous devons porter ensemble une histoire qui nous rattrape.

      Le 21 mai 2001, vous avez fait voter une loi dont le premier article reconnaît que la traite négrière et l’esclavage constituent un crime contre l’humanité…

      Et quelle violence nous avons alors subie ! Le sujet reste extrêmement sensible. Le mythe français et républicain de l’égalité - un mythe noble, à préserver bien sûr ! - empêche ce retour sur le passé esclavagiste et colonial. Je me souviens d’une émission de radio où un président d’association me reprochait de salir la France : « La France n’est pas esclavagiste, elle a aboli l’esclavage ! » hurlait-il. Oui, la France a aboli l’esclavage qu’elle pratiquait ! Le déni est partout, jusqu’aux autorités publiques qui ont célébré le cent cinquantenaire de la deuxième abolition de l’esclavage… sans rappeler qu’il y en avait eu une première en 1794. Parce qu’il aurait alors fallu dire qui avait rétabli l’esclavage dans les colonies françaises : le grand Napoléon. En France, on commémore l’abolition de l’esclavage, mais l’esclavage, on ne connaît pas ! Imposer que la journée du 10 mai devienne une journée en mémoire des traites, de l’esclavage et de l’abolition a été un combat. A quoi sert cette prudence inutile ? Quand vous construisez une société sur de la dissimulation, la rage enfle par en dessous. Dans le Procès de l’Amérique, Ta-Nehisi Coates dit qu’il est temps, aussi, « d’en finir avec la culpabilité blanche ». Débattre du passé est émancipateur. C’est ce qu’a très bien compris la ville de Nantes, qui fait la lumière sur son passé de ville du commerce triangulaire.

      Cette mémoire à vif, on en a eu un nouvel exemple avec la polémique sur les noms de rues et les monuments. Faut-il déboulonner les statues de Colbert ?

      Au pays qui se prétend le cœur des Lumières, sur ces sujets-là, la raison disparaît ! Il ne reste que l’affectif ! Pourquoi ne pourrait-on réfléchir au rôle de Colbert dans la rédaction du Code noir ? Ce qui ne veut pas dire que Colbert n’était que cela. Mais débattons ! Il ne s’agit pas de faire la chasse à d’éventuels coupables survivants, il n’y en a plus. Même les personnes qui portent le nom de grandes familles d’armateurs négriers ou esclavagistes ne sont pas concernées - mais si elles veulent nous ouvrir leurs archives, elles sont les bienvenues. Sans doute aurions-nous dû être capables de faire retomber la pression, de débattre, peut-être avec passion, mais de débattre. Oui, il faut, dans l’espace public, des rues et des bâtiments au nom de Nègres marrons, ces résistants qui, au péril de leur vie, décidaient de quitter la plantation et le régime esclavagiste. Le Code noir stipulait qu’à la première évasion, si vous étiez repris, on vous coupait l’oreille. La deuxième fois, on vous coupait le jarret. La troisième, vous étiez mis à mort. Qui énonçait cela ? La législation officielle. C’était le code de Colbert, dont l’article 1er chassait les Juifs !

      Au-delà du débat et de la reconnaissance officielle, quelles formes plus concrètes pourraient prendre les réparations ?

      Nous devons être prêts à regarder en face toutes les conséquences qui découlent, aujourd’hui, de ce passé. Des banques américaines, comme Lehman Brothers ou Morgan Chase, ont dû reconnaître qu’elles avaient possédé des esclaves ou accordé des prêts à des maîtres, dont la garantie était le cheptel d’esclaves. Certaines ont décidé de consacrer 5 millions de dollars - peu de chose par rapport à leur fortune - à des bourses pour des Africains-Américains. Quelle serait la dette de la France à l’égard des descendants d’esclaves ou des ressortissants des empires ? Si c’est insurmontable, on le dira. Mais l’essentiel aura été de s’y pencher. L’Etat étant profondément impliqué, il doit aussi pouvoir réparer par le biais, par exemple, de politiques publiques bien identifiées. Cette monstruosité économique qu’était l’esclavage a aussi produit une créativité culturelle phénoménale. Pourquoi ne pas consacrer des budgets à la mise en valeur des langues créoles, nées de la nécessité, en territoire esclavagiste, de se comprendre entre maîtres et esclaves ou entre esclaves venus de régions différentes d’Afrique ? Financer des études sur les expressions picturales, la littérature orale, les traces archéologiques, la toponymie, la pharmacopée de plantes que les esclaves ont développée pour se soigner ? Mettre en lumière tout ce patrimoine qui montre que cette période ne fut pas seulement une longue et interminable nuit de souffrance et de violence.

      LE PROCÈS DE L’AMÉRIQUE de TA-NEHISI COATES Ed. Autrement, 96pp., 12€.

  • http://www.liberation.fr/debats/2017/10/02/angot-vs-rousseau-le-debat-qui-n-a-pas-eu-lieu_1600389

    Et, de mon point de vue, Yann Moix avait raison sur un point : Sandrine Rousseau porte un « discours » politique, féministe, sur le sujet, au sens d’une interprétation historique, sociale et culturelle du viol et du harcèlement sexuel assortie d’une vision des mécanismes collectifs à déjouer pour en finir avec ces violences. Cela n’enlève rien au caractère personnel de son récit mais elle l’inscrit dans une perspective politique contrairement à Christine Angot qui lâche au cours de l’émission : « On se débrouille, c’est comme ça. » Si nous aspirons à être sujets de nos vies, c’est précisément pour que ce ne soit plus « comme ça ». Le point de vue politique est celui qui n’accepte pas la résignation et qui, loin de laisser chaque femme se débrouiller seule avec le violeur, entend fonder une réponse collective.

    Oui, les mots agissent sur nous. C’est précisément pour cela qu’il faut parfois savoir les changer. Il faut nommer pour faire exister.

    Clémentine Autain

    @r0b1n , il y a du débat de fond.

    • Je pense pas que discours de Angot ou de Moix ne sois pas politique, ni aucun discours. Accepter la résignation c’est aussi politique que de ne pas l’accepté. Dire aux victimes qu’elles se débrouille, c’est ce qu’on dit traditionnellement, c’est la posture politique conservatrice, patriarcale qui fonde la culture du viol. Le conservatisme, l’individualisme c’est de la politique autant que le progressisme et la collectivisation des luttes.

      A la limite on pourrais dire que Rousseau à un discours politicien vu qu’elle est politicienne mais tout discours est politique. Pour finir, c’est assez insultant pour la littérature de l’exclure de la politique.

  • L’invention du Sud - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2017/06/23/l-invention-du-sud_1579097

    Le Sud n’est pas un lieu, mais plutôt l’effet de relations entre pouvoir, connaissance et espace. La modernité coloniale invente une géographie et une chronologie : le Sud est primitif et passé. Le Nord est progrès et futur. Le Sud est le résultat d’un système racial et sexuel de classification sociale, une épistémologie binaire qui oppose haut et bas, l’esprit et le corps, la tête et les pieds, la rationalisation et l’émotion, la théorie et la pratique. Le Sud est un mythe sexualisé et racialisé. Dans l’épistémologie occidentale, le Sud est animal, féminin, infantile, tarlouze. Le Sud est potentiellement malade, faible, stupide, incapable, paresseux, pauvre. Le Sud est toujours représenté manquant de souveraineté, manquant de connaissance, de richesse et, par conséquence, intrinsèquement endetté vis-à-vis du Nord. Dans le même temps le Sud est l’endroit où se déroule l’extraction capitaliste, le lieu où le Nord capture énergie, sens, jouissance et valeur ajoutée. Le Sud est la peau et l’utérus. L’huile et le café. La chair et l’or.

    A l’autre extrémité de cette épistémologie binaire, le Nord apparaît comme humain, masculin, adulte, hétérosexuel, blanc. Le Nord se présente toujours plus sain, plus fort, plus intelligent, plus propre, plus productif, plus riche. Le Nord, c’est l’âme et le phallus. Le sperme et la monnaie. La machine et le software. C’est le lieu de la mémoire et du profit. Le Nord, c’est le musée, l’archive, la banque.

    La division Nord-Sud domine sur toute autre forme de spatialisation. Chaque société désigne un Sud, un lieu où va s’organiser l’extraction et où se déverseront les ordures. Le Sud est la mine et le cloaque. Le cœur et l’anus. Le Sud est aussi le lieu craint par le Nord en tant que réserve de puissance révolutionnaire : c’est pourquoi que c’est là que s’intensifient contrôle et vigilance. Le Sud est le terrain de guerre et la prison, l’endroit de la bombe et des résidus nucléaires.

  • VIDEO - ONPC : Comment Angot et Moix ont violemment voulu réduire Sandrine Rousseau au silence
    https://www.marianne.net/societe/video-onpc-comment-angot-et-moix-ont-violemment-voulu-reduire-sandrine-rou

    https://www.dailymotion.com/video/x62q1im

    Je suis tombé sur des articles parlant de la sortie du livre de Sandrine Rousseau et la manière dont elle a été recu chez Ruquier.
    En plus du #male_gaze de Moix qui ne trouve pas violent d’écouter le récit de ce qu’a subit Sandrine Rousseau, la haine des victimes de Angot est incroyable. Cette émission est un concentré de la récéption de la parole des femmes. On reproche à Rousseau de ne pas dire les choses dignement cad comme le dirait un agresseur et non une victime ou, comme le dirait un écrivain et pas une écrivaine. En tout cas celui qui n’est pas poussé aux larmes et engueulé à la TV par Angot et Moix, c’est Baupin.

    #viol #culture_du_viol #victime #victime_blaming #domination_masculine

    • Je suis en train de lire cette défense du comportement d’Angot par un homme qui me file bien la haine :

      Peut-on hiérarchiser les souffrances ? On peine à s’en défendre. L’inceste est un trou noir. La violence que Sandrine Rousseau décrit semblait jadis bénigne, un outrage qu’une gifle suffirait à résoudre. Ce ne fut pas seulement un point de vue d’homme. En 1969, Chantal Ackerman réalisait le film féministe le plus vif de l’époque, quand s’ébrouait le MLF. Il s’appellait La fiancée du pirate. Bernadette Lafont y jouait une scandaleuse des campagnes, orpheline superbe et un peu sorcière, qui vendait ses charmes et tourneboulait un village moisi, et (à 1 heure et 4 minutes de projection) se débarrassait d’un mâle aviné d’un coup de genou bien placé. Le film célébrait la liberté d’une femme, sur une chanson écrite par Moustaki, Moi j’m’en balance, que chantait Barbara. Barbara évidemment, qui avait su ce que souffrir signifiait, étrange soeur d’Angot, rescapée d’un inceste, et qui n’avait pas pleuré…

      http://www.slate.fr/story/151976/il-ne-faut-pas-condamner-christine-angot-pour-les-larmes-de-sandrine-rousseau

      Ce bitard joue à donner des médailles de bonne et mauvaise victime aux différentes femmes. Angot, Barbara sont des bonnes victimes et Rousseau est une mauvaise victime. Et ce Askolovitch c’est une bonne ordure.

    • Interview d’une violence hallucinante où Christine Angot (qui n’a pas lu le livre ou pas au delà de la page 56 comme elle le dit), écrivaine qui si j’ai bien compris a largement écrit sur les viols que son père lui a fait subir, reproche à Sandrine Rousseau d’avoir cherché à lire d’autre récits de femmes racontant leur vécu, leur expérience, après avoir parlé publiquement des viols ou d’agressions sexuels qu’elles ont subit.

      Christine Angot : Est-ce que c’est pour autant que vous comprenez vous-même ce que c’est le viol. Ou ce que c’est que UN viol ! Car ça n’existe pas LE viol. [...] Et vous vous parlez DU viol et de la parole sur LE viol alors que ça n’existe pas.

      Sandrine Rousseau : Mon livre ne parle absolument pas du viol. Et je ne parle absolument pas du viol dans le livre. Absolument pas, je n’évoque pas du tout ça. Le livre porte uniquement sur le parcours une fois qu’on a déposé plainte et les bouleversements que ça génère.

      Laurent Ruquier (coupe la parole à Rousseau) : pardon je dois préciser qu’une agression sexuelle ne va pas forcément jusqu’au viol. Voilà c’est important de le préciser.

      Sandrine Rousseau : Bah non c’est deux juridictions différentes.

      Laurent Ruquier : Voilà, non mais c’est bien de le rappeler.

      Sandrine Rousseau : Et moi je ne prétend pas voler la parole à d’autre, au contrainte. Ce que je dis c’est qu’à partir du moment où on a dénoncé ça, on ne sait pas ce qui s’ouvre à nous. Et moi j’ai eu l’impression quand-même d’un bouleversement et d’une révolution très dérangeante. J’ai cherché des livres pour m’expliquer si ce que je ressentais était normale ou pas, si c’était commun ou pas, s’il y avait d’autres femmes qui ressentaient ça ou pas. Et je n’en ai quasiment pas trouvé. Il y a assez peu d’écrit sur ce parcours.

      Laurent Ruquier : Sur ce qu’on vit après en fait.

      Sandrine Rousseau :Oui ce qu’on vit après et ce qu’on vit après dans la parole. Parce que ce qu’on vit avant la parole c’est encore différent. Et là je pense que ce livre il est vraiment fait pour tendre la main à celles qui le veulent, à celles qui en ont envie. Pour dire « préparez-vous quand même un peu à cela ». Mais ce n’est pas du tout une injonction.

      Christine Angot : Mais pourquoi vous cherchez un exemple à coté ? Pourquoi vous cherchez dans un livre ? Pourquoi pour comprendre ce que vous ressentez vous cherchez un livre où quelqu’un aurait expliqué ce qu’il a ressenti ? Vous cherchez à l’extérieur de vous la réponse de ce qu’il y a à l’intérieur de vous ?

      Sandrine Rousseau :Je ne m’attendais pas à la violence de ce qu’on a subit une fois qu’on parle. Ça vraiment pour moi ça a été une surprise et plus qu’une surprise... enfin je ne sais pas comment dire autrement qu’un bouleversement. Je ne m’attendais pas à être confronté à cette violence là après la prise de parole.

      Tout dans ce passage montre que Ruquier et son équipe cherchent à délégitimer tout discours sur le viol, toute réflexion qui mettrait en relation les différents viols et les viols avec les agressions sexuelles.

      Dans la première partie de l’émission (qui commence à 40min30s et finie à 56min) Christine Angot et Yann Moix sont au moins aussi agressifs que dans la seconde partie mise en avant par Ruquier sur Youtube.

    • #société_du_spectacle : tout part de là, indirectement, Debord avait déjà tout dit. Même si ce n’est pas tout à fait l sujet de sa thèse, il me semble que des émissions poubelles comme ONPC font parti d’un système essentiellement destiné à faire du fric. Il faudrait simplement refuser de participer à ce cirque, Sandrine Rousseau, son récit et les propositions qu’elle porte méritent beaucoup mieux comme plateforme de débat que ces deux crapules, et ces plateformes existent. Mais elle a peut-être été poussée par la maison d’édition via l’attaché·e de presse qui voit dans cette émission la possibilité de buzz et de promotion. Je trouve que c’est déprimant, et cette histoire comme les autres fout le bourdon.

    • Angot / « On se débrouille » : le gouvernement saisit le CSA - Arrêt sur images
      https://www.arretsurimages.net/breves/2017-10-02/Angot-On-se-debrouille-le-gouvernement-saisit-le-CSA-id20869

      Ouverture d’une enquête au CSA. Après la séquence qui a opposé l’ancienne députée EELV Sandrine Rousseau à l’écrivaine et chroniqueuse Christine Angot dans l’émission On n’est pas couché samedi 30 septembre, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a adressé ce lundi 2 octobre un signalement auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Dans la lettre, que s’est procurée France Inter, la secrétaire d’État dit trouver « éminemment regrettable qu’une victime ayant le courage de briser le silence autour des violences sexuelles soit ainsi publiquement humiliée et mise en accusation ».

    • Cet histoire en dit long sur la haine retourné contre soi et ses semblables qui détruit tant de femmes et de victimes.
      Au passage on ne parle plus que d’Angot et Moix s’en tire à bon compte alors que son attitude était aussi gerbante.

    • Marlène Schiappa cite une phrase de Guy Debord dans sa lettre

      « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes médiatisé par des images »

      Le rapport social a été coupé au montage, Sandrine Rousseau se souviendra longtemps de son passage à #ONPC. Le seul point positif de ce buzz, pour l’auteure, serait qu’il fasse grimper les ventes de son livre. Guy Debord écrivait qu’il importe peu, à l’ère du spectacle, que l’on croie le mensonge auquel on se trouve continuellement exposé, l’essentiel étant qu’il soit la seule chose à laquelle on ai droit.
      http://www.gouvernement.fr/ministre/marlene-schiappa

    • Ce qui me taraude, c’est que beaucoup de femmes pensent en ces termes exprimés par Angot : « Je ne suis pas une victime, je suis une personne. » Comme s’il fallait choisir. Une personne victime dans une situation donnée n’est pas une victime à vie, en toutes circonstances. Victime, ce n’est pas une identité en soi. Etre renvoyée au miroir de la victime, à des schémas sociaux, est difficile, douloureux, révoltant. Mais je crois que cette étape de la reconnaissance de l’asymétrie entre les hommes et les femmes, donc de l’inégalité et des violences spécifiques, est un passage collectif nécessaire pour qui rêve d’égalité et de liberté. Je sais que les féministes sont de ce fait parfois accusées de porter un « discours victimaire », comme si nous voulions enfermer les femmes dans le rôle de victimes, les amalgamer dans un tout homogène, une « brochette », en niant les réalités individuelles évidemment si diverses, les chemins que chacune s’invente pour survivre, vivre dans le monde tel qu’il est. Que des femmes arrivent à se débrouiller toutes seules, tant mieux. Mais nous avons le devoir de tendre la main à celles, si nombreuses, qui en ont besoin. Nous devons modifier l’ordre existant pour que reculent les violences faites aux femmes, pour que ce ne soit plus « comme ça », pour que le désir masculin sorte d’un modèle prédateur. Ce que nous voulons, c’est que la société mesure, comprenne et déjoue les mécanismes à l’œuvre. Si nous voulons combattre le viol, le harcèlement sexuel, nous ne pouvons échapper à une entreprise de changement des normes.

      sur les victimes par C.Autain

    • Ce qui est pénible avec Angot c’est qu’elle refuse de voir le sexisme et la culture du viol comme un problème culturel et sociétal à combattre. Elle ne propose absolument rien pour faire reculer ce fléau, tout ce qu’elle répète c’est : « c’est comme ça, un point c’est tout. » Aucun argument ! Elle a trouvé refuge elle dans la littérature et ce faisant, elle voudrait faire de son cas une généralité. Mais tout le monde n’a pas les mêmes ressorts face à ces violences et de toute façon, ce combat doit être mené individuellement ET collectivement.

    • Angot à une posture ultra individualiste très viriliste et patriarcale. Elle est forte comme un homme avec des grosses couilles d’auteur-écrivain et elle s’en sort elle (le résultat est pas fabuleux pourtant) et si les autres victimes ne s’en sortent pas c’est leur faute à elles d’avoir subit une agression et Angot se fera une devoir de les agressée à son tour. Les agresseurs par contre pas de pbl, surtout si ils ont une belle plume comme Céline qui fait tellement bander les littérateurs.

      @aude_v je suis désolé pour ce que tu as enduré, mais ca fait pas de Rousseau une bonne ou mauvaise victime. Une femme victime de misogynie n’a pas été solidaire 100% du temps avec 100% des femmes. C’est pas cool mais ca n’a pas sa place ici.
      #procès_de_la_victime #sororité

    • Désolé @aude_v d’avoir été blessante et d’avoir minoré le harcelement et son déni que tu as enduré. Je te fait mes excuses. Je vais édité les parties qui donnent des infos par rapport à ton témoignage puisque tu l’as enlevé.

    • @aude_v : Les informations que tu donnes sur Rousseau sont intéressantes, si on souhaite juger Rousseau, mais en effet, je suis d’accord avec ce qu’exprime mad_meg, à savoir que les faits ONPC dépassent le cas particulier de Rousseau. Je doute que Moix et Angot se soient défoulés sur Rousseau parce qu’ils étaient au courant des faits que tu as subis ou de faits équivalents dont Rousseau serait coutumière (faits que personne ne remet en cause d’ailleurs, en tout cas pas moi).
      Ils se sont défoulés sur cette femme parce que femme.

    • Après Angot : la télé publique, c’est vraiment « comme ça » ? - Arrêt sur images
      https://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=10205

      Le message délivré par la télévision publique, par la chroniqueuse de la télévision publique, aux victimes d’agressions sexuelles, notamment de la part des puissants, et sans aucune atténuation de l’animateur sur le plateau, restera donc : face aux agressions sexuelles, « on se débrouille, c’est comme ça ». Autrement dit, rien à faire. Personne à qui parler, Aucune instance à laquelle s’adresser. Aucun recours. Aucune aide, aucune solidarité à attendre, aucun espoir. Rien. La soumission à la loi du mâle est immémoriale, pourquoi ça changerait ? Si tu en es capable, tu fais un livre. Sinon tu te débrouilles. C’est comme ça.

    • je consulte rarement slate.fr sauf parfois quand il est indiqué ici sur @seenthis J’ai trouvé ce lien sur tumblr ici : http://lechatfeministe.tumblr.com
      ce résumé me semble tellement juste que je le repost intégrale (sans les liens interne qui ne manque pas d’intérêts aussi)

      source : http://m.slate.fr/story/152003/christine-angotsandrine-rousseau-pas-clash

      Ne réduisons pas l’échange Christine Angot-Sandrine Rousseau à un vulgaire clash télé
      Le piège était grossier. On a pourtant sauté dedans avec entrain.
      Samedi soir, dans « On n’est pas couché », a eu lieu une « altercation » entre #Sandrine_Rousseau, qui accuse l’ex-député #Denis_Baupin d’agression sexuelle, et l’écrivain et chroniqueuse #Christine_Angot. Dès la veille, la « séquence », comme on dit désormais, était largement teasée dans la presse avec force ellipses…

      Pendant deux jours, nous avons été abreuvés d’articles écrits non sans gourmandise annonçant qu’un « violent clash » –une « violente altercation »– avait eu lieu lors de l’enregistrement de l’émission entre Sandrine Rousseau et Christine Angot. Que cette dernière a quitté le plateau, et que la première a pleuré.

      L’Express, avant même la diffusion de l’émission, concluait l’article ainsi :

      « Sans jamais que le mot d’“inceste” soit prononcé, la réaction épidermique de Christine Angot, qui est d’ailleurs citée dans le livre de Sandrine Rousseau, tient sans doute à son histoire personnelle. Mais cela autorisait-il la chroniqueuse à prendre à partie une invitée, victime elle-aussi d’une agression ? »

      « Je pensais presque qu’Angot avait pété les plombs et tapé sur Rousseau »

      La production, elle, a bien pris soin de tirer une autre grosse ficelle, en prévenant que le moment où Angot quitte le plateau a été coupé au montage, pour faire « faire preuve d’élégance » à l’égard de sa chroniqueuse –pourquoi, d’ailleurs, avoir pris soin de le dire ici, quand tant d’autres émissions ont été également coupés sans que cela fasse l’objet d’un communiqué de la prod’ ? L’élégance, cela aurait été de ne pas chauffer le téléspectateur à blanc, de ne pas dire que le départ d’Angot n’apportait « rien sur le fond » et donc vider de son sens la réaction de l’écrivain. L’élégance aurait et de ne pas scénariser en amont un échange qui avait déjà tout de tragique pour le rabaisser au niveau d’un vulgaire clash comme la télé sait les organiser. Avec en plus, cette façon de sous-entendre qu’un désaccord entre deux femmes est au mieux une simple bataille de chiffonière. Les termes « harpies », « hystériques » et « folles » n’auront d’ailleurs pas tardé.

      On s‘attendait donc à assister à une scène d’une violence inouïe. À une mise à mort. Un ami me confiait : « Je pensais presque qu’Angot avait pété les plombs et tapé sur Rousseau. » Mais en regardant l’échange –long, ample, fourni, et ne se résumant certainement pas à quelques phrases tirées de leur contexte qui ont permis à plusieurs sites web de continuer à faire leur beurre–, on réalise que ça n’est ni un clash, ni une altercation, et certainement pas un « bad buzz ». On a assisté à la rencontre de deux souffrances. Et constaté qu’une douleur + une douleur, ça ne s’annule pas.

      Ici, Claude Askolovitch écrit pourquoi « il ne faut pas condamner Angot pour les larmes de Rousseau ». Que ce sont bien deux souffrances, mais aussi deux manières de les intellectualiser qui se trouvent confrontées, sans jamais se rejoindre.

      Pas une grande communauté de victimes

      Pour Rousseau, il faut « parler ». Pour Angot, il faut se « débrouiller ». Et il y a, je crois, eu un grand malentendu sur l’emploi de ce verbe : « se débrouiller ». Angot n’impose pas, elle constate. Que quand on a été victime d’une agression sexuelle, on est seul, on se démerde. C’est terrible oui, mais c’est comme ça. Elle n’intime pas à Rousseau l’ordre de se taire, elle lui dit de lui foutre la paix, et à elle, et à toutes les autres victimes (Angot a été victime d’inceste paternel). De ne pas appeler à former une grande communauté de victimes, car chacun(e) doit se débrouiller. En écrivant des livres, en militant, en ne faisant rien…

      Tout cela est trop compliqué et trop peu commode : ça va beaucoup plus vite de décréter qu’il y a de bonnes et de mauvaises victimes. De décider que certaines sont audibles et légitimes, et d’autres trop dures

      Elle essaie aussi de nous dire quelque chose, et on est passés à côté. « Parler » n’est pas nécessairement moins violent que « se débrouiller ». Il y a, sur ces questions des violences faites aux femmes, une injonction à dire. Il suffit de voir ce que les femmes victimes de viols et d’agressions entendent systématiquement : « Porte plainte ! il ne faut pas se taire ! Sinon, cela arrivera à d’autres et cela sera de ta faute. » Voilà comme on passe de victime à coresponsable, simplement parce qu’on a préféré se taire, pour les raisons que ne devraient appartenir qu’à nous.

      Rousseau, elle, croit au collectif. Elle est optimiste, ou en tout cas, y met toutes ces forces. Elle veut que la parole se libère. Et dit comme ça, on ne peut qu’être d’accord. D’ailleurs, je suis d’accord avec les deux. Je comprends Angot et je comprends Rousseau. Même s’il est vrai, qu’après avoir vu l’échange, j’ai ressenti une peine immense pour Sandrine Rousseau, davantage que pour Angot, que je sens et sait plus costaude.

      Choisir son camp, pourquoi ?

      La question est de savoir qui nous a demandé nos avis. Pourquoi devrait-on choisir ? Pourquoi devrait-on élire notre victime préférée et disqualifier l’autre ? Peu importe que Sandrine Rousseau elle-même ait pris soin de préciser que ce n’est pas Angot qui l’a fait pleurer. Tout cela est trop compliqué et trop peu commode : ça va beaucoup plus vite de décréter qu’il y a de bonnes et de mauvaises victimes. De décider que certaines sont audibles et légitimes, et d’autres trop dures. Que leurs traits, leur rage, ne collent pas avec l’idée qu’on se fait d’une femme abusée. Nécessairement démolie mais vaillante.

      On a le sentiment aussi que l’imaginaire collectif veut décréter la sororité obligatoire. Que la solidarité féminine doit aller de soi. Et qu’une femme qui s’en prend à une autre femme est une traitresse. Un homme admonestant une femme sera bien souvent moins accablé. Une femme qui crie sur une femme, et c’est une faute morale, un canif dans le contrat qui ferait des femmes des sœurs unies dans la douleur. Contrat qu’on a jamais signé. Il est sidérant aussi de constater que les auteurs –supposés ou non– des violences dont Angot et Rousseau parlent, ont été eux, extraordinairement épargnés par les commentateurs.

      L’ironie de la chose, c’est que ceux qui se sont découverts une fibre féministe (coucou Rémi Gaillard) se sont pourtant acharnés sur Angot avec fiel et sexisme.

      Torrents de haine

      Il existe sur Facebook un événement « Cours de self contrôle avec Christine Angot ». Je m’y suis abonnée pour voir. Et c’est bien ce que je redoutais : blagues misogynes, remarques odieuses sur le physique, posts débiles sur Angot « qui a ses règles », des « Christine sera notre punching-ball ». Pour de nouveaux hérauts de la lutte contre les violences faites aux femmes, c’est assez cocasse.

      Pour finir, ce moment n’a rien a voir avec « TPMP » ou « Salut les Terriens », monuments de dégueulasserie cathodique. Ce moment est un crève-cœur, parce qu’on est impuissant face à tant de souffrances. Il est aussi symptomatique de notre besoin de choisir un camp, de façon forcément binaire : il faut être #TeamQuelquechose. C’est finalement la façon dont les femmes doivent réagir à la violence qui a été commentée ; pas les auteurs de violences. Ce qui donne tristement raison à Angot : « C’est tellement compliqué de parler. »

    • https://www.franceculture.fr/emissions/la-chronique-de-jean-birnbaum/la-chronique-de-jean-birnbaum-jeudi-5-octobre-2017

      Moi qui aime profondément Angot et ses textes, et qui supporte mal les attaques obscènes dont elle est la cible depuis si longtemps, je me suis souvenu d’un échange que nous avions eu, au cours duquel je lui avais demandé pourquoi elle n’avait jamais porté plainte contre son père qui avait abusé d’elle sexuellement. Elle m’avait révélé qu’en réalité elle avait porté plainte, juste avant ses 28 ans, avant la prescription. Elle avait été bien reçue par un commissaire qui lui avait expliqué que, vu l’ancienneté des faits, son père ne serait sans doute pas condamné. Angot avait donc renoncé et des années plus tard, me racontant cette scène, elle avait conclu, je la cite : « Je vous le dis, il n’y a qu’une seule chose de valable, c’est la littérature. La justice, la police, ce n’est rien. Il n’y a pas de vérité hors de la littérature ».

    • Sauver Angot ! Après l’essorage de Sandrine Rousseau par Christine Angot et Yann Moix chez Ruquier, après le cyber-lynchage consécutif d’Angot, ils sont deux à tenter de sauver l’écrivaine, sur le site Slate.

      D’abord, Claude Askolovitch, de la revue de presse de France Inter. Puis Nadia Daam (notamment chroniqueuse sur Europe 1). Ils disent sensiblement la même chose. Oui, Sandrine Rousseau a souffert, mais Christine Angot aussi. Souffrance contre souffrance. Que n’ont-elles réussi à se parler ! D’ailleurs, le terrible "on se débrouille, c’est comme ça" d’Angot, n’est pas vraiment un "on se débrouille, c’est comme ça", tente d’expliquer Daam. On l’aura mal comprise. Alors reprenons.

      Oui, Angot a souffert. Et elle en a fait un très grand livre, "L’inceste" (paru en 1999), suivi d’un autre, "Une semaine de vacances", paru en 2012. Oui, Angot est (à mon sens) un écrivain français majeur d’aujourd’hui. Mais parmi tous ceux qui auront vu l’agression insensée (et incompréhensible, après montage-charcutage) dont a été victime Sandrine Rousseau sur le plateau de Ruquier, qui l’auront vue en direct, en replay, dans les videos promotionnelles, qui en auront entendu parler dans les buzz préalables orchestrés par la prod de l’émission, combien SAVENT qui est Christine Angot ?

      Combien l’ont lue ? Un sur dix ? Un sur cinq ? Ce serait déjà énorme. Pour eux, cette personne hystérique est une snipeuse de Ruquier comme avant elle Salamé, Polony ou Pulvar. C’est une voix de la télé publique, rien de plus, rien de moins. Le message délivré par la télévision publique, par la chroniqueuse de la télévision publique, aux victimes d’agressions sexuelles, notamment de la part des puissants, et sans aucune atténuation de l’animateur sur le plateau, restera donc : face aux agressions sexuelles, "on se débrouille, c’est comme ça".

      Mission de la télé publique

      Autrement dit, rien à faire. Personne à qui parler, Aucune instance à laquelle s’adresser. Aucun recours. Aucune aide, aucune solidarité à attendre, aucun espoir. Rien. La soumission à la loi du mâle est immémoriale, pourquoi ça changerait ? Si tu en es capable, tu fais un livre. Sinon tu te débrouilles. C’est comme ça. Ce message est d’abord profondément de droite. Le "c’est comme ça", c’est la plus pure définition de la droite (la définition de la gauche étant par exemple "et si ça pouvait être autrement ?").

      Comme le dit très bien Clémentine Autain, si nous aspirons à être sujets de nos vies, c’est précisément pour que ce ne soit plus « comme ça ». Le point de vue politique est celui qui n’accepte pas la résignation et qui, loin de laisser chaque femme se débrouiller seule avec le violeur, entend fonder une réponse collective". Au moins, le "c’est comme ça" est-il cohérent avec la récente évolution vallso-macronienne d’Angot.

      Mais le "c’est comme ça" est surtout profondément incivique. Le harcèlement sexuel est puni par la loi. Non, le crime organisé, c’est pas "comme ça". La haine raciale, c’est pas "comme ça". La torture, c’est pas "comme ça". La fraude fiscale, c’est pas "comme ça". Il y a des lois nationales, des lois de la guerre, du droit international. La mission de la télévision publique est-elle d’en proclamer l’inefficacité radicale et absolue ? Le CSA a été saisi par le gouvernement. A lui de dire si la télé, "c’est comme ça".

      http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20171003.OBS5457/le-on-se-debrouille-c-est-comme-ca-d-angot-profondement-inciviq

    • Pour celleux qu’auraient pas compris, je conseille de passer en mode essorage rapide sur RTL.
      http://www.rtl.fr/emission/les-grosses-tetes

      N°1 en France, RTL affiche une audience confortable de 12,2% avec une durée d’écoute élevée de 2H25 en moyenne, faisant mentir ceux qui prédisaient la chute de la maison de la Rue Bayard avec le vieillissement de son auditoire. Le meilleur exemple de sa recette gagnante est le rajeunissement des « Grosses Têtes » qui se sont appuyées sur l’arrivée de Laurent #Ruquier pour renouveler avec succès la formule de l’émission culte de Philippe Bouvard.

      Pas de doute, on est bien en France !

  • Comment la France s’apprête à devenir un Etat policier où chacun est transformé en potentiel suspect
    https://www.crashdebug.fr/actualites-france/14053-comment-la-france-s-apprete-a-devenir-un-etat-policier-ou-chacun-es

    Avouez que ces deux meutres d’innocentes à Marseille tombe à pic pour le gouvernement...

    « Etat policier », « despotisme doux », « césarisme » : juristes, avocats et grandes organisations de défense des droits humains critiquent très sévèrement le projet de loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui doit être votée à l’Assemblée nationale, la semaine prochaine. Remplaçant l’état d’urgence qui arrive à expiration, cette loi en prolonge plusieurs dispositions très controversées, banalise l’arbitraire, et autorise même le recours à des polices privées sur la voie publique. A croire que, bien au-delà de la lutte anti-terroriste, c’est toute forme de contestation de l’ordre établi qui pourrait être visée.

    Coincée entre la fameuse réforme du code du travail – dont les cinq ordonnances sont (...)

    https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/droit-de-manifester-en-france
    http://www.gouvernement.fr/action/renforcer-la-securite-interieure-et-la-lutte-contre-le-terrorisme
    https://www.flickr.com/photos/119524765@N06/albums/with/72157682875865124
    http://www.syndicat-magistrature.org/Appel-du-collectif-Non-etat-d.html
    https://www.mesopinions.com/petition/politique/petition-appelant-aux-deputes-marche-alpes/33191
    http://www.liberation.fr/debats/2017/07/16/de-l-etat-d-urgence-au-despotisme-doux_1584185
    http://www.liberation.fr/debats/2017/07/10/la-france-est-droguee-a-l-etat-d-urgence-mettez-y-un-terme-monsieur-le-pr
    http://www.cncdh.fr/sites/default/files/170706_avis_sur_le_pjl_securite_interieure_terrorisme.pdf
    https://www.senat.fr/leg/etudes-impact/pjl16-587-ei/pjl16-587-ei.html
    http://www.lacimade.org/etat-durgence-permanent-controles-facies-partout
    http://www.bfmtv.com/politique/sortir-de-l-etat-de-droit-le-lapsus-de-gerard-collomb-1255289.html
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/06/23/jacques-toubon-le-projet-de-loi-antiterroriste-est-une-pilule-empoisonnee_51

  • L’utilisation des images au cœur de l’affaire du quai de Valmy
    tribune collective - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/28/l-utilisation-des-images-au-coeur-de-l-affaire-du-quai-de-valmy_1599649

    Le tournant judiciaire qui se joue dans cette affaire tient au rôle des images pour certifier la culpabilité des prévenus. Dans sa plaidoirie, l’avocat Antoine Comte a souligné combien « cette procédure est nouvelle par les méthodes d’investigation, tout se fait par rapprochements de vidéos et de photographies ». Celles et ceux qui ont pu assister à l’interrogatoire d’Antonin Bernanos (déjà incarcéré dix mois et encourant l’une des plus lourdes peines) ont rapporté l’évanescence de l’accusation, qui ne repose que sur le recoupement du fameux récit du témoin policier - aux incohérences manifestes - et d’une série de photos et vidéos policières, prises de vues de smartphones ou de journalistes présents ce jour-là. Ces images ne montrent rien.

    Dispo aussi en lecture de @karacole : https://archive.org/details/ProcesValmyUtilisationImages1

    #photo #vidéo #image_sociale #repression #manipulation #voiture_brulée #Valmy

  • Emmanuel Todd : « La crétinisation des mieux éduqués est extraordinaire »
    Par Sonya Faure et Cécile Daumas — 6 septembre 2017

    Pour l’historien Emmanuel Todd, la vraie fracture n’est aujourd’hui plus sociale, mais éducative. Et la démocratie est vouée à disparaître en Europe.

    Trump, Brexit, Macron. Vous analysez les bouleversements au sein des démocraties moins comme les résultats d’une fracture sociale que d’une fracture éducative…
    Nous vivons une phase décisive : l’émergence pleine et entière d’une nouvelle confrontation fondée sur les différences d’éducation. Jusqu’ici, la vieille démocratie reposait sur un système social fondé sur l’alphabétisation de masse mais très peu de gens avaient fait des études supérieures. Cela impliquait que les gens d’en haut s’adressaient aux gens simples pour exister socialement - même les dominants et même la droite. On a cru que la propagation de l’éducation supérieure était un pas en avant dans l’émancipation, l’esprit de Mai 68 finalement. Mais on n’a pas vu venir le fait que tout le monde n’allait pas faire des études supérieures : selon les pays, entre 25 % et 50 % des jeunes générations font des études supérieures, et dans la plupart d’entre eux leur nombre commence à stagner. Les sociétés ont ainsi adopté une structure éducative stratifiée. « En haut »,une élite de masse (en gros, un tiers de la population) qui s’est repliée sur elle-même : les diplômés du supérieur sont assez nombreux pour vivre entre eux. Symétriquement, les gens restés calés au niveau de l’instruction primaire se sont aussi repliés. Ce processus de fragmentation sociale s’est généralisé au point de faire émerger un affrontement des élites et du peuple. La première occurrence de cet affrontement a eu lieu en France en 1992 lors du débat sur Maastricht. Les élites « savaient », et le peuple, lequel ne comprenait pas, avait voté « non ». Ce phénomène de fracture éducative arrive à maturité.

    La lutte des classes sociales est remplacée par la lutte entre les classes éducatives ?
    Oui, même si revenus et éducation sont fortement corrélés. La meilleure variable pour observer les différences entre les groupes est aujourd’hui le niveau éducatif. Les électeurs du Brexit, du FN ou de Trump sont les gens d’en bas (même si le vote Trump a été plus fort qu’on ne l’a dit dans les classes supérieures), qui ont leur rationalité : la mortalité des Américains est en hausse, et même si les économistes répètent que le libre-échange, c’est formidable, les électeurs pensent le contraire et votent pour le protectionnisme.

    Les trois grandes démocraties occidentales ont réagi différemment à cet affrontement entre élite et peuple…
    En Grande-Bretagne, il s’est passé un petit miracle : le Brexit a été accepté par les élites, et le Parti conservateur applique le vote des milieux populaires. C’est pour moi le signe d’une démocratie qui fonctionne : les élites prennent en charge les décisions du peuple. Ce n’est pas du populisme car le populisme, c’est un peuple qui n’a plus d’élites. David Goodhart, le fondateur de la revue libérale de gauche Prospect, parle de « populisme décent », une magnifique expression. Les Etats-Unis sont, eux, dans une situation de schizophrénie dynamique. Les milieux populaires, furibards et peu éduqués, ont gagné l’élection, une partie des élites l’a acceptée (Trump lui-même fait partie de l’élite économique et le Parti républicain n’a pas explosé) mais l’autre moitié de l’Amérique avec l’establishmentla refuse. C’est un pays où règne donc un système de double pouvoir : on ne sait plus qui gouverne. En France, nous sommes dans une situation maximale de représentation zéro des milieux populaires. Le FN reste un parti paria, un parti sans élites. Le débat du second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron en a été la parfaite mise en scène. A son insu, Marine Le Pen a exprimé l’état de domination intellectuelle et symbolique de son électorat qui est, de plus en plus, peu éduqué, populaire, ouvrier. La dissociation entre les classes sociales est à son maximum. L’absence de solidarité entre les groupes sociaux est typique de la dissociation d’une nation.

    La France insoumise est-elle une tentative de renouer le contact entre élite et peuple ?
    Elle est le phénomène électoral intéressant de cette dernière élection. Il m’intéresse d’autant plus que je n’y croyais pas du tout ! Les électeurs de Mélenchon sont jeunes comme ceux du FN. Mais ce qui est vraiment original dans l’électorat de Mélenchon, c’est son caractère transclassiciste. Ouvriers, employés, professions intermédiaires, diplômés du supérieur : toutes les catégories sociales y sont représentées. En ce sens, les progrès de La France insoumise ne seraient pas une nouvelle forme de gauchisme, mais exactement l’inverse : une certaine forme de réconciliation des catégories sociales et éducatives françaises. Reste à savoir si Mélenchon a dans la tête ce qu’il faut pour gérer une telle réconciliation.

    Et Emmanuel Macron ?
    On ne peut pas savoir ce qu’il y a dans la tête de Macron : il est jeune et trop instable, son parcours professionnel l’a montré. Il est pour l’instant sur une trajectoire de conformisme absolu. Réformer, flexibiliser, accepter la gestion allemande de la monnaie… une direction qui amène inévitablement à un ou deux points de chômage supplémentaires en fin de quinquennat. Pour Macron, poursuivre dans cette voie, c’est accepter de disparaître politiquement à 40 ans. Une hollandisation éclair.

    Vous êtes un homme de gauche, comment voyez-vous sa situation aujourd’hui ?
    Je ne suis pas très optimiste ! L’une des grandes faiblesses de la science politique est de réfléchir aux citoyens comme à des êtres abstraits. Mais quand on décrypte, comme je le fais, des variables sociologiques, on arrive à la conclusion qu’il existe un subconscient inégalitaire dans notre société. La stratification éducative, je l’ai dit, a provoqué une fermeture du groupe des éduqués supérieurs sur lui-même. La crétinisation politico-sociale des mieux éduqués est un phénomène extraordinaire. Le vieillissement de la population va aussi dans le sens d’une préférence pour l’inégalité. Que devient la démocratie quand les gens sont en moyenne beaucoup plus âgés et riches ? Dans le logiciel de La France insoumise, il y a la révolte. Mais des révolutions au sens mélenchoniste dans un pays où l’âge médian de la population atteint les 40 ans, je n’en ai jamais vu. Les peuples qui font des révolutions ont 25 ans d’âge médian. La société française semble dans une impasse.

    Vous êtes de plus en plus critique sur l’Europe. Dans votre livre, vous craignez une dérive autoritaire du continent…
    Je suis arrivé au bout de ma réflexion. Comment exprimer ces choses-là gentiment… Je ne veux surtout plus adopter la posture du mec arrogant. Que se passe-t-il en Europe ? L’Allemagne meurt démographiquement mais elle conserve un niveau d’efficacité économique et politique prodigieux. Elle a pris le contrôle de la zone euro. Je pense que les historiens du futur parleront du choix de l’euro comme d’une option stratégique inimaginable. Comme de la ligne Maginot en 1940. L’euro ne marche pas, mais il s’est installé dans les esprits pour des raisons idéologiques, et on ne peut pas en sortir. Autour de l’Allemagne, les pays latins sont en train de dépérir, avec des taux de chômage ahurissants, et les pays de l’Europe de l’Est ont vu chuter leur taux de natalité, signe d’une grande angoisse. Les inégalités sont plus fortes au sein de l’espace économique et social européen - entre les revenus allemands et roumains - qu’au sein du monde anglo-saxon qu’on dénonce toujours comme étant le summum de l’inégalité.

    Mais le but de l’Union est, à terme, de faire converger les conditions de vie…
    Les gouvernements élus dans les pays faibles ne peuvent plus changer les règles. Mais est-ce une surprise ? Il faut étudier l’inconscient des sociétés européennes : il y a, dans la zone euro, une prédominance de régions dont la structure familiale traditionnelle était la famille souche, ce système paysan dans lequel on choisissait un héritier unique, et dont les valeurs étaient inégalitaires, autoritaires. Au fond, mon analyse des couches subconscientes de l’Europe retombe sur un lieu commun historique : qui, dans les années 30, aurait décrit l’Europe continentale comme le lieu de l’épanouissement de la démocratie libérale ? Les berceaux de la démocratie sont le monde anglo-saxon et le Bassin parisien. Pour le reste, les contributions modernes à la politique de la zone euro, c’est Salazar, Pétain, Franco, Hitler, Dollfuss…

    Est-ce que ça condamne l’idéal européen ?
    Compte tenu du potentiel anthropologique et post-religieux de l’Europe continentale, il aurait été ridicule de s’imaginer qu’après le repli anglo-américain de la zone, car c’est cela qu’on vient de vivre sur le plan géopolitique, une réelle démocratie pourrait perdurer. Ce qui ré émerge aujourd’hui, ce sont les traditions propres du continent européen, et elles ne sont pas propices à la démocratie libérale. La France pourrait porter des valeurs démocratiques et égalitaires… mais la France n’est plus autonome.

    Le risque pour l’Europe, c’est l’autoritarisme ?
    Même si la démocratie disparaît, ça ne veut pas dire qu’on va vers le totalitarisme, ni qu’on perd la liberté d’expression, et que la vie devient insupportable pour tout le monde. Mais ce qui est insupportable dans le stade post-démocratique actuel, c’est que la vie reste plutôt agréable pour les gens d’en haut tandis qu’une autre partie de la population est condamnée à la marginalité. Peut-être que le système explosera. Peut-être que la France retrouvera son autonomie et, comme les Britanniques, une façon de reformer une nation, avec ce que ça suppose de solidarité entre les classes sociales.

    Vous intervenez aujourd’hui en tant qu’historien, polémiste ?
    Je suis beaucoup intervenu, parfois de manière polémique, dans le débat public. Mais, avec ce livre, j’ai voulu revenir au plaisir de l’observation historique, sans prendre partie. Je suis à la fois un citoyen qui s’énerve parce que je suis toujours dans le camp des perdants, et qu’à force, c’est agaçant, mais je suis aussi un historien. Et ce qui est bien, c’est que même quand le « citoyen » perd, l’histoire, elle, continue. Je pense que la démocratie est éteinte en Europe. Le gros de l’histoire humaine, ce n’est pas la démocratie. L’une de ses tendances lourdes est au contraire l’extinction de la démocratie. En Grèce, en France, les gens votent, et tout le monde s’en moque. Pour un citoyen, c’est tout de même embêtant. Pour un Français qui se pense français, c’est carrément humiliant. Mais un historien sait qu’il y a une vie après la démocratie.

    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/06/emmanuel-todd-la-cretinisation-des-mieux-eduques-est-extraordinaire_15946

    #Démocratie #europe #union_européenne #euro #Famille #Education #élite #gréce #france #allemagne #Emmanuel_Todd

  • Forces de l’ordre : pourquoi tant de grenades ? - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/12/forces-de-l-ordre-pourquoi-tant-de-grenades_1595843

    Le 5 août, le gouvernement publiait dans le Bulletin officiel un appel d’offres pour l’achat de plus de un million de grenades destinées au maintien de l’ordre.

    Le mardi 15 août suivant, plusieurs personnes - parmi le millier qui était venu affirmer son opposition au projet d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure - étaient grièvement blessées lors de la manifestation. L’une de ces personnes, en dépit des multiples opérations chirurgicales qu’elle a subies, risque toujours l’amputation de plusieurs orteils des suites de l’explosion d’une GLI-F4, aussi euphémisée sous le nom de « grenade assourdissante ».

    La proximité de ces deux dates, et les questions qu’elle pose quant au maintien de l’ordre à la française, explique peut-être la discrétion du gouvernement et des autorités policières suite à la répression exercée le 15 août.

    Robin et ses compagnons d’infortune ne viennent pas seulement s’ajouter à la sinistre liste des blessés graves, des mutilés à vie et des morts dont se rendent responsables régulièrement les forces de l’ordre. Ils comptent aussi parmi les témoins d’un système répressif qui spécule sur l’efficacité de la terreur qu’inspirent ses armes.
    (...)
    Premiers signataires : Robin Pagès, les parents et la sœur de Rémi Fraisse, Emmanuelle Michallon, Franck Michallon, Clair et Brigitte Michallon, la famille et les amis de Robin.

    #police #militarisation #violences_policières #grenades

  • Des garçons aussi bons que les filles en lecture, c’est possible ! (Libération)
    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/10/des-garcons-aussi-bons-que-les-filles-en-lecture-c-est-possible_1595370

    Evidemment, les stéréotypes ne peuvent malheureusement pas s’effacer du jour au lendemain. Mais dans la mesure du possible, tout un chacun (parents, enseignants, psychologues, etc.) doit prendre conscience du poids de ces stéréotypes, et éviter de trop mettre en avant l’identité de genre des élèves en fonction des disciplines scolaires. Par exemple, en proposant aux élèves des modèles de réussite qui vont à l’encontre du stéréotype de genre de manière à le rendre moins menaçant au fil du temps.

    À noter :
    – Le titre de l’article est débile.
    – Cette expérimentation est le pendant de celle réalisée sur les filles où l’on présentait un exercice de géométrie soit comme du dessin, soit comme de la géométrie.
    – Au-delà de la question du genre, l’expérience montre l’importance dans la réussite de l’image que l’enfant a de lui-même et de ses compétences.
    – Une fois encore ce qu’on appelle « évaluation » en lecture est tellement réducteur par rapport à ce qu’est une situation de lecture réelle.

    #éducation #apprentissage #école #genre #stéréotypes #évaluation #différentialisme

  • Coupe budgétaire sur les contrats de ville (Ville & Banlieue)
    http://www.ville-et-banlieue.org/coupe-budgetaire-contrats-de-ville-22631.html

    […] le décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant annulation de 46,5 millions d’euros de crédits d’État destinés aux « contrats de ville » 2017 est, quant à lui, passé plutôt inaperçu.

    […]

    Ce choix est gravement préoccupant car très dangereux pour l’équilibre social des territoires urbains dégradés et paupérisés, en cours ou en projet de rénovation et redynamisation urbaines.

    Ce sont en effet principalement les programmes d’actions portés par des milliers d’associations, pour beaucoup déjà entamés depuis le début de l’exercice 2017 sur la base des engagements pluriannuels contractualisés entre l’État et les collectivités locales, qui vont voir leurs moyens réduits, à un taux variable suivant les quartiers et les départements. En clair, tous les crédits non encore engagés sont supprimés. Les préfets ont reçu ou reçoivent en ce moment les déclinaisons départementales de ce décret.

    Ce choix hasardeux va obérer et mettre à mal des actions essentielles d’accès et de médiation vers l’emploi, d’appui aux mobilités, de formation, d’accompagnement à la scolarité, d’offres socio-éducatives, d’éveil à la culture, d’initiation aux sports, d’action solidaire envers les plus pauvres, les jeunes enfants, les seniors, l’égalité hommes-femmes, les personnes porteuses de handicaps, l’accès au logement, à la santé, à la prévention de la délinquance et des radicalisations, d’aide aux victimes, de protection judiciaire, de réinsertion des détenus en fin de peine, d’exercice de la citoyenneté, et d’autres, toutes nécessaires, de façon unanimement reconnue par-delà les sensibilités politiques, comme le pendant indispensable des opérations de rénovation urbaine, de l’habitat, des équipements et des espaces publics.

    Le coup de massue du gouvernement sur les quartiers populaires (Libération)
    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/01/le-coup-de-massue-du-gouvernement-sur-les-quartiers-populaires_1593486

    #budget #politique_de_la_ville #banlieue #zone_prioritaire

  • Le Venezuela n’est pas une île, ni un prétexte à divaguer - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/05/le-venezuela-n-est-pas-une-ile-ni-un-pretexte-a-divaguer_1594340

    Que les choses soient claires : le président Nicolás Maduro a bien fait prendre à la République bolivarienne du Venezuela un tournant autoritaire et répressif qui ne permet plus de considérer Caracas comme la capitale d’une démocratie - ni même d’une « démocratie imparfaite ».
    […]
    Cerise sur le gâteau, le coup d’Etat du 11 avril 2002, qui déposa pour quelques heures le président Chávez au profit de Pedro Carmona, président de la fédération patronale Fedecamaras, n’en serait peut-être finalement pas un… Restaurée dans toutes ses vertus, lavée de ses péchés, l’opposition au chavisme redevient ainsi ontologiquement vertueuse et gage d’un avenir prometteur. La boucle est bouclée.