Parler de transition, en ces temps d’émeutes qui sont également des temps de stagnation, de réaction, de contre-révolutions-sans-révolutions, est presque une affaire de mauvais goût, un peu comme, pour reprendre la vieille expression situationniste, parler avec des cadavres dans la bouche. Non seulement la discussion paraît déplacée, dans l’espace et le temps, étant donné le rapport de forces global, mais toutes les principales variantes de ce que l’on pourrait appeler une « orientation communiste » dans la pensée politique semblent fondées sur le rejet de la transition ; un rejet valant pour tous les éléments qui composent ce concept.
Le temps de la transition, compris en termes d’étapes se succédant de façon linéaire. L’espace de la transition, qu’il s’agisse d’une commune, d’un État, d’une enclave ou d’une zone. La forme politique et la subjectivité de la transition, incarnées par le parti et les institutions afférentes. À la négation, ou la déclaration d’obsolescence de ces éléments, s’ajoute un rejet plus large de la philosophie « progressiste » de l’histoire qui sous-tend l’image classique de la transition, établissant une analogie entre institution et destitution du capitalisme, révolution bourgeoise et révolution prolétarienne.
Il serait relativement aisé, quoique futile peut-être, de plonger dans le désordre des archives des révolutions réelles, pour montrer comment ce stéréotype héroïque de la transition fut ouvertement dénoncé par ses partisans supposés, pour ses liens trop ténus avec la pratique révolutionnaire réelle. Ironie de l’histoire, dans certaines niches exiguës de l’extrême-gauche, on astique encore les idoles de Lénine pour mieux ignorer comment la pratique politique a rompu, en diverses circonstances, avec presque tous les éléments de la logique linéaire de la transition – en sautant des étapes réputées nécessaires, en reconnaissant la disparition sociologique de la classe ouvrière qu’elle devait représenter, en rétablissant partiellement le capitalisme après l’avoir démantelé de façon accélérée dans le communisme de guerre, et ainsi de suite.