« Le blanc du noir ». De l’emploi oppressif du nom propre – La pensée du discours
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Dans une chronique musicale de L’Obs du 6 mai dernier, « Beyoncé, Johnny Borrell… La sélection musicale de l’Obs« , David Caviglioni qualifie la chanteuse Beyoncé d’ »ancienne black Lara Fabian » :
Sur « Formation », « Hold Up », « Don’t Hurt Yourself », l’ancienne Black Lara Fabian maltraite un peu sa puissante voix, joue savamment avec les rimes et les temps.
La noire Beyoncé disparaît donc sous la blanche Lara Fabian, elle n’est plus qu’une Lara Fabian noire, autrement dit une blanche noire. Cette tournure décrivant la chanteuse noire à travers le modèle de la star blanche (et via le terme black, qui plus est, autre désignant dérivé), qui n’est pas isolée, on va le voir, constitue ce qui pourrait s’appeler une antonomase oppressive. L’antonomase, c’est cette figure lexico-rhétorique qui transforme un nom propre en nom commun, et qui lui adjoint donc un article : « la poubelle », « le bordeaux » et « le macadam » sont bien connus ; « un harpagon » ou « un donjuan » également. Potentiellement, tous les noms propres, en particulier les anthroponymes et les toponymes, sont candidats à cet emploi : soit dans le schéma précédent [Article + X] comme dans les exemples précédents ; soit dans une forme développée par un complément, [le.a X + complément ou caractérisant], comme dans « l’ancienne black Lara Fabian », « le Mozart du tennis » (désignant Richard Gasquet), ou « le Marcel Proust du yéyé » (désignant Dave, exemple de Leroy 2005), ou, pour les toponymes, « la Venise briarde », « la Venise du Nord », « le Paris du Moyen-Orient », etc. Ce qui m’intéresse ici, c’est son emploi dans des contextes fortement lestés d’idéologie, et particulièrement de racisme ou d’idéologie néocoloniale, ou au minimum d’invisibilisation. Dans cet article de L’Obs sur Beyoncé, le procédé est d’ailleurs récurrent puisqu’à à la fin de son texte, le journaliste récidive : « Beyoncé devient une Malcolm X en justaucorps, une Beauvoir qui remue son boule ». Devenue sous des formes dégradées une chanteuse blanche, un homme noir, une écrivaine blanche, Beyoncé perd à la fois sa couleur et son genre…
Petite précision éthico-politique. Je suis blanche et non concernée par le racisme et l’invisibilisation, je ne suis donc pas fondée à décrire les effets de ces façons de parler sur les noir.e.s. Je n’ai pas l’intention de parler ici à la place des individus concernés ni de faire preuve d’une empathie qui me semblerait déplacée. Je souhaite dans ce texte analyser la dimension idéologique et politique de cet emploi du nom propre, dans une position d’alliée, impliquant une analyse critique des discours analysés. Je m’arrête là ; pour le reste, j’essaie d’écouter (et en particulier ce que me disent Gloria et Luana, à qui je dédie ce petit travail).
La fortune de l’antonomase oppressive ou de l’ethnocentrisme lexico-discursif