Le #backlash après #Metoo ; du « violeur de Libération » à Julien Guirado. - Crêpe Georgette
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Le backlash est un terme théorisé par la féministe Susan Faludi qui démontre qu’après les années 1970 où les mouvements féministes ont acquis de haute lutte de nombreux droits pour les femmes, la société américaine et en particulier les media ont procédé à un backlash (un retour de bâton) en réaction.
Si je devais théoriser le mouvement #Metoo de 2017 (en effet le premier #Metoo a été lancé par l’afro féministe Tarana Burke en 2007) je dirais qu’il s’agit d’un mouvement de masse, permis par la technologie (= les réseaux sociaux) de femmes, qui a permis d’énoncer massivement et simultanément les violences sexuelles dont elles ont été victimes, qu’elles soient illégales ou non. Ce #Metoo a ensuite été repris par l’ensemble des victimes de violences sexuelles à travers le monde.
#Metoo n’est pas une libération de la parole ; les femmes ont toujours parlé mais rien ne leur permettait de le faire aussi massivement.
#Metoo n’est pas une épiphanie pour les femmes. Nous avons conscience de ce que nous subissons, peu importe que nous y mettions le « bon mot » dessus.
#Metoo n’est pas non plus une épiphanie pour les hommes. Il faut être bien naïf pour penser qu’un violeur ne sait pas qu’il viole, qu’un agresseur ne sait pas qu’il agresse. Et il faut l’être tout autant pour penser qu’un homme qui observe un homme violer ou agresser ne comprend pas ce qu’il se joue là.
La riposte face à #Metoo a été immédiate et classique. Le backlash a été quasi instantané puisque les réseaux sociaux eux-mêmes le permettent.
On nous a accusés de mentir (classique), d’exagérer, de vouloir mettre tous les hommes en prison (curieuse idée qui en dit beaucoup plus sur celles et ceux qui la prononcent que sur nous), d’être des nazies (encore mieux... si vous assimilez des violeurs aux juifs déportés, je me demande ce que cela dit de vous).
Mais tout cela c’est classique et habituel.
La nouveauté est de constater que, désormais, des hommes avouent être des agresseurs et que cela va justement faire partie de leur stratégie de défense.
Observons un peu. En 2010, l’affaire Polanski (coupable d’avoir drogué et violé une mineure de moins de 15 ans en 1977) ressort. TOUS ses défenseurs vont accuser la victime de mentir, de l’avoir provoqué, de faire plus vieux que son âge, de n’être pas vierge au moment du viol. En 2021 plus aucun n’a cette stratégie ; au contraire tous et toutes admettent bien volontiers qu’il a violé mais ma foi... est-ce si grave.
Même stratégie dans le cas Matzneff. La philosophe et psychanalyste Sabine Prokhoris va, sur France inter, nous expliquer que Springora n’avait pas 8 ans au moment des faits. Elle ne nie pas un instant les faits, ce qui aurait probablement été encore un axe de défense il y a quelques années, arguant de la licence littéraire par exemple. Elle les minimise.
Même son de cloche avec William Goldnadel face à Olivier Duhamel, accusé du viol d’un jeune garçon de 13 ans. Il ne nie pas les faits (il vieillit tout de même la victime) mais déclare « Ce n’est pas la même chose de sodomiser un petit enfant de 3 ans que de faire une fellation à quelqu’un de 16 ans. » Sur Cnews ce viol n’est pas qualifié de mensonge mais de « bêtise ».
L’acmé est atteinte lorsque les agresseurs vont utiliser la reconnaissance des faits comme stratégie de défense et pire, que cela va fonctionner. Observons-le à travers deux cas :
– le jeune homme qui le 8 mars 2020 a publié dans Libération une lettre où il déclarait avoir violé sa petite amie
– un candidat de télé réalité Julien Guirado qui a avoué avoir frappé une de ses petites amies Maine El Himer.
Les stratégies de ces deux hommes sont somme toutes assez semblables alors qu’ils ont l’un et l’autre des profils très différents. La plus grande ruse du premier est évidemment d’utiliser et distordre les théories féministes pour s’excuser : sa lettre revient au fond à dire qu’il a certes violé mais que, comme les féministes l’ont déclaré, il n’en est pas vraiment responsable, c’est sa socialisation masculine qui l’a poussé à. Il explique ensuite que c’est également sa copine, qui, par son comportement, l’a poussé à se comporter ainsi. C’est une stratégie intelligente et qui fonctionne parce qu’elle va participer à sa réhabilitation. C’est lui qui cause sa chute (toute relative) et c’est nous qui le redressons en admirant le courage qu’il a eu à parler.
Il faut bien comprendre et admettre une chose. Sauf dans de très rares cas de viols extrêmement violents et sadiques, la victime, même si elle est enfant au moment des faits, est toujours vue comme pécheresse. A cet égard un passage médiatique important lors de la publication du rapport Ciase (les abus sexuels dans l’église) est révélateur. Un évêque a tenté d’allumer un contre-feu en parlant du secret de la confession. Il « oubliait » une chose : un enfant qui dit avoir été violé n’a commis aucun péché, il ne confesse rien. Il ne peut en aucun cas être mis au même plan qu’un violeur qui ferait le même acte. Sans m’immiscer dans des débats théologiques hors de propos, j’au trouvé cet argument intéressant parce que très révélateur de la place accordée aux victimes dans nos sociétés si marqués par le christianisme (je ne dis pas que les victimes sont mieux traitées dans d’autres sociétés, simplement que la culpabilisation qu’on peut leur faire éprouver a sans doute d’autres ressorts) ; avoir été violé-e se confesse. avoir été violé-e reste un péché, une faute. Nous sommes au même plan que nos violeurs. Rien de plus logique donc que leur parole soit mise au même plan que la leur et qu’on attende qu’ils se libèrent eux-aussi.
Les hommes violents ont, pour beaucoup, donc compris, que parler des actes qu’ils ont commis les servira. Déjà parce qu’ils auront toujours le soutien des autres hommes, tout contents que ca ne tombe pas sur eux, et qui, pour beaucoup, préfèreront, sexisme oblige, soutenir le dernier des salopards violents qu’une femme. Cette stratégie prend corps dans un backlash généralisé qui ne concerne pas que les femmes bien évidemment ; on observe des écrivaillons se repentir de leurs écrits antisémites, on voit des politiques admettre leurs accointances passées avec l’extrême-droite etc. Qui plus est ces aveux participe à l’exercice de la virilité ; il « porte ses couilles », il est « courageux ». Avouer avoir été un homme violent, avoir avoir violé, renforce donc beaucoup d’hommes dans l’expression de leur virilité. Etre un homme c’est dire. Voilà pourquoi on continue à faire perdurer le mythe de femmes qui n’auraient jamais parlé de viols (comment pouvait on les entendre si elles ne parlaient pas !). Encore une fois c’est vraiment aux hommes de faire tout le boulot. Vous verrez qu’on va bientôt devoir remercier les violeurs de parler face à leurs lâches victimes :).
Prenons ensuite le cas de Julien Guirado. C’est un célèbre candidat de télé réalité de vie collective. Depuis plusieurs années, il y a des rumeurs de violence (sa mère avait porté plainte contre lui puis a retiré sa plainte). Ce qui était clair est qu’il était d’une grande misogynie dans les programmes. En mars 2020, lors du premier confinement, le frère d’une de ses compagnes va affirmer qu’il a frappé sa sœur ce que Guirado va confirmer. Il est récemment revenu sur le devant de la scène avec la sortie d’un livre et une participation à une émission de télévision sur 6play autour de « sa problématique amoureuse ». Je vous incite vivement à perdre 30 minutes à regarder cette émission. Voici comment elle est décrite : « Après un an de silence, Julien Guirado est enfin prêt à se livrer. Son manque de confiance en lui et sa peur de l’abandon l’ont poussé à commettre des erreurs qu’il regrette... Aujourd’hui, le jeune homme veut faire table rase du passé. Aissa lui ouvre ses portes pour un coaching sur-mesure. » Rappelons que M6 a déclaré vouloir désormais agir envers l’égalité hommes/femmes. Même si Guirado n’utilise pas les mêmes arguments que « le violeur de Libération », il procède de la même façon en ne niant pas un seul instant ce qu’il a fait. Il aurait totalement pu faire silence quelques temps et revenir comme si de rien n’était. Au contraire, il choisit d’utiliser la dénonciation de la violence qu’il a commise pour revenir en télévision. Cela lui permet de se montrer comme un homme courageux, qui admet ses actes et n’est pas lâche. Paradoxalement ( ou pas) être un homme violent lui permet donc de faire de la télévision. L’émission participe à montrer combien les hommes violents ont aussi besoin de publiquement « libérer leur parole » et que cette libération est à mettre au même plan que celles des femmes.
Pile ils gagnent, face ils ne perdent pas.
Si ce retour de bâton était prévisible, je n’aurais pas gagné qu’il prenne ce tournant. Bien sûr les risibles accusations à base de « elle a menti, elle fait ca pour le buzz » existent et existeront toujours. La violence masculine devient désormais un élément comme un autre pour assoir sa célébrité, pour passer pour un repenti, voire même pour écrire des livres féministes. On me rétorquera que je suis une nazie qui veut voir les violeurs à vie en prison. Mais qui a fait de la prison ici ? On parle d’un garçon qui a eu la chance d’avoir sa médiocre lettre publiée dans Libé un 8 mars, un autre dont les minables fans inconditionnels ont payé une édition hors de prix pour le voir salir sa victime ou d’un troisième qui a les honneurs d’une chaine de télévision pour expliquer combien il est formidable de reconnaitre avoir frappé une femme.
A noter que ce retour est gagnant, puisque Julien Guirado sera présent dés le 5 novembre sur MyCanal dans la nouvelle émission de télé réalité La mif (émission d’un des couples phares des Marseillais).
Le succès de Zemmour est aussi un effet de ce backlash qui montre que la France est un pays d’incels.