La force géologique du capitalisme

/force-g%C3%A9ologique-capitalisme-0

  • La force géologique du capitalisme | Contretemps
    http://www.contretemps.eu/lectures/force-g%C3%A9ologique-capitalisme-0#footnote15_tpnlo7g

    À propos de l’ouvrage de Christophe Bonneuil & Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Éditions du Seuil, collection « Anthropocène Seuil », octobre 2013, 304 pages.

    L’objectif des auteurs via cet ouvrage est double. Il s’agit tout d’abord de tirer un bilan de ce que nous dit l’entrée dans l’Anthropocène. Il y a en premier lieu le constat écologique inquiétant que nous connaissons, et que les auteurs prennent le temps de développer dans leur premier chapitre. Il y a ensuite les remises en cause que cela implique dans nos cadres de pensée : la notion d’Anthropocène bouleverse en effet la conception classique (ou « moderne » au sens de Bruno Latour3) des rapports entre société et nature. Ceux-ci passent d’un rapport d’externalité à une conception inclusive : « l’idée d’Anthropocène annule la coupure entre nature et culture, entre histoire humaine et histoire de la vie et de la Terre » (p. 36).

    Mais au delà du constat alarmant et des réflexions philosophiques, ce livre propose avant tout une lecture critique du récit qui est fait de l’Anthropocène par ses principaux penseurs. Pour les auteurs, « la question est tout sauf théorique car chaque récit d’un ’’ comment en sommes-nous arrivés là ? ’’ constitue bien sûr la lorgnette par laquelle s’envisage le ’’ que faire maintenant ? ’’ » (p. 11). Bonneuil et Fressoz estiment que le récit officiel de l’Anthropocène – l’humanité aurait inconsciemment dégradé son environnement pendant près de deux siècles, et serait enfin entrée, depuis les années 2000 et grâce aux sciences du système Terre, dans une phase de réflexivité environnementale – est ni plus ni moins qu’« une fable » (p. 11). Cette fable est par ailleurs dépolitisante, car elle déresponsabilise les acteurs clés des dégradations environnementales (les remplaçant par le « nous » inclusif de l’humanité) ; et elle est de plus fortement démobilisatrice, car elle abandonne la question des politiques environnementales aux mains des experts scientifiques du climat et de la Terre, seuls à même de nous éclairer sur notre condition et notre propre émancipation...

    Il s’agit donc de remettre en cause ce récit officiel et prétendument apolitique de l’Anthropocène, et de répondre à la question : « quels récits historiques [alternatifs] pouvons-nous donner du dernier quart de millénaire qui puissent nous aider à vivre l’Anthropocène lucidement, respectueusement et équitablement ? » (p. 13). Après une critique de la lecture historique actuelle de ceux qu’ils dénomment « anthropocénologues », les auteurs, eux-mêmes anthropocénologues avertis, proposent donc cinq récits alternatifs et de ce que pourrait être une histoire repolitisée de l’Anthropocène. Ce faisant, Bonneuil et Fressoz souhaitent « invite[r] à reprendre politiquement la main sur des institutions, des élites sociales, des systèmes symboliques et matériels puissants qui nous ont fait basculer dans l’Anthropocène : les appareils militaires, le système de désir consumériste et son infrastructure, les écarts de revenus et de richesses, les majors énergétiques et les intérêts financiers de la mondialisation, les appareils technoscientifiques lorsqu’ils travaillent dans des logiques marchandes ou qu’ils font taire les critiques alternatives » (p. 271-272).

    #Anthropocène