Projet » Quand l’humanitaire choisit ses victimes

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  • Projet » Quand l’humanitaire choisit ses victimes
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    Les organisations humanitaires viennent en aide aux victimes, grâce, notamment, à notre argent. Pour nous inciter au don, elles mettent en scène les victimes les plus à même de nous émouvoir, au risque de simplifier le message et d’en oublier d’autres, moins idéales.

    Régulièrement, sur les murs des villes, sur les écrans des téléviseurs, des images chocs. Une enfant maigre, une mouche au coin de la bouche : la faim. Une image floue, en mouvement, dans laquelle on discerne les éclats d’une arme et des membres broyés : la guerre. Un regard tout à la fois éteint, soulagé et aveuglé : un survivant exhumé de décombres. Un père qui tend dans ses bras le cadavre boursouflé de son enfant : un appel à l’aide. À côté, un slogan, tout aussi dérangeant. Et un logo, qui rappelle que l’on peut faire quelque chose : soigner les corps, rendre la vie. Ce que nous, spectateurs et donateurs potentiels, ne pouvons réaliser ; mais que l’organisation représentée par le logo ne peut faire sans nous. Du moins sans nos moyens.
    L’image de la victime comme support humanitaire

    Cette imagerie et la pitié qu’elle soulève ont souvent été analysées par les historiens d’art ou les chercheurs en sciences sociales (notamment en communication). Hannah Arendt rappelait que la pitié était le ressort premier de l’action, répondant à l’appel de corps démunis plus qu’à des principes intrinsèques à la personne en tant que telle (qui « annonce la suprématie des droits de l’homme sur les droits du citoyen[1] »). Plus récemment, Giorgio Agamben distingue le « simple fait de vivre » (la « vie nue ») de l’existence politique, et considère que dans notre contemporanéité, la première prend le dessus sur l’autre. Luc Boltanski aborde aussi le thème de la pitié comme moteur politique. Didier Fassin, fort de ces influences[2], développe le terme de biolégitimité : le corps fait droit. Ainsi, observe-t-il, « aujourd’hui, la société française est moins encline à reconnaître l’existence mise en danger de la victime d’un régime autoritaire ou de violences guerrières et plus sensible à la maladie ou à la souffrance de la personne atteinte d’une affection grave[3] ». De leur côté, des critiques des médias rencontrent un vif succès dans leurs démonstrations, comme l’ont démontré François Jost et Philippe Mesnard, l’émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann, ou même le Petit Journal présenté par Yann Barthès, dans lequel la dérision décrypte les jeux liés aux discours et aux images. Enfin, le milieu humanitaire lui-même s’interroge depuis longtemps sur ce qu’est la victime – on pense, par exemple, aux réflexions de Rony Brauman – et les débats sont nombreux en son sein au sujet d’appels aux dons jugés trop « publicitaires » et dont la réalisation est confiée à des cabinets de communication ou à des spécialistes du marketing.

    La victime est la motivation première de l’intervention humanitaire[4], que ce soit pour légitimer une action ou pour lancer des appels aux dons. Qu’est-ce qu’une victime au reflet de la réalité, pour le spectateur et donateur potentiel ? Qu’est-ce que cela signifie pour notre société contemporaine ? En revenant sur les différents types de victimes, de la « bonne » victime à la « mauvaise » victime, on verra quels sont les usages de ces représentations et le sens qu’elles induisent. On conclura sur l’impact qu’elles ont sur les deux extrêmes de la chaîne de l’imagerie victimaire, tant sur la victime que sur le spectateur-donateur potentiel.......

    L’ #image de la #victime comme #support #humanitaire