Une demi-heure plus tard, ils ont amené les Français. Eux n’avaient carrément rien compris – on les avait simplement assis dans une voiture et emmenés. Ils ont tellement pris soin de nous : ils nous ont apporté du thé et des sandwichs, déniché un traducteur – de l’espagnol, à vrai dire ; ils nous ont même laissés téléphoner à la rédaction de la chaîne pour que personne ne s’inquiète là-bas.
Pendant qu’ils faisaient l’inventaire de toutes nos affaires, un homme est sorti du bâtiment les mains liées et la bouche fermée avec du scotch. Il est passé à côté de nous, accompagné d’un homme portant une automatique kalachnikov et un bidon rempli d’urine – il y en avait cinq litres –, puis il est revenu avec le bidon vide.
À ce que j’ai compris, il sortait de la cave – celle où nous n’avons pas atterri. Je ne sais pas pourquoi, mais nous avions une situation privilégiée. Cette cave, on nous a simplement fait peur avec, une ou deux fois, sur le ton de la plaisanterie. Ils disaient tous : « Vous avez méchamment de la chance d’être dans cette situation. Si vous aviez atterri dans la cave – c’était fini. » Pourquoi nous n’y avons pas atterri – c’est resté pour moi un mystère.
(…)
En gros, c’est comme ça que s’est passée notre nuit. Tous étaient très gentils avec nous, je les ai même aimés d’une certaine façon. Ils croient tous très fermement dans ce qu’ils font, ils sont tous fatigués, l’atmosphère dans l’état-major est assez amicale, ils sont tous potes, ils se soutiennent les uns les autres.
Mais sans le chef, ils étaient tous un peu désemparés, ils disaient un peu n’importe quoi, chacun sa version.
On voyait que ce n’était pas des soldats, pas des professionnels mais des gens simples, et qu’ils n’avaient pas le moindre plan précis.
C’était visible aussi que tous ces gens sont pour une idée, et ça, évidemment, ça m’a beaucoup émue. Mais il y avait dans tout ça un certain primitivisme, comme, disons, les tribus en Afrique qui sont ennemies les unes des autres, sont à l’œuvre des notions du type « je suis pour ceux-là, contre ceux-là, je suis né ici, je me lève pour ma terre » – tout est à ce niveau-là.