Comprendre la classe. Vers une approche analytique intégrée

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  • La théorie wébérienne de la structure sociale : un « accaparement des opportunités » | Erik Olin Wright

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    La deuxième approche, dans laquelle les classes sont définies par l’accès et l’exclusion de certaines opportunités économiques, met l’accent sur « l’accaparement des opportunités » – un concept étroitement associé à l’œuvre de Max Weber. Afin d’obtenir les postes qui confèrent de hauts revenus et des avantages spécifiques, il est important pour leurs titulaires de mettre en œuvre des moyens divers afin d’exclure autrui de l’accès à ces postes. On parle parfois à ce propos d’un processus de clôture sociale, dans lequel l’accès à une position devient restreint. Une manière de procéder consiste à établir des exigences très difficiles à remplir. Les diplômes ont souvent cette caractéristique : de hauts niveaux de scolarisation engendrent de hauts revenus, en partie parce que se mettent en place des restrictions significatives quant à l’offre d’individus hautement diplômés. Des processus d’admission aux frais de scolarité, en passant par l’aversion que manifestent les individus à faibles revenus au risque associé à des emprunts importants, tout tend à bloquer l’accès à l’instruction supérieure, au profit de ceux qui occupent les postes pour lesquels sont exigés de telles qualifications. (...)
    La certification et l’habilitation sont ainsi des mécanismes particulièrement importants d’accaparement des opportunités, mais bien d’autres dispositifs institutionnels ont été utilisés à diverses époques et en divers lieux, afin de protéger les privilèges et les avantages de groupes spécifiques : des restrictions raciales ont exclu les minorités de nombreux emplois aux Etats-Unis, particulièrement (mais pas seulement) dans le Sud jusqu’aux années 1960 ; des barrières matrimoniales et de genre ont également restreint l’accès à certains emplois pour les femmes durant une grande partie du 20ème siècle dans la plupart des sociétés capitalistes développées ; la religion, des critères culturels, les manières, l’accent, etc., ont également constitué des mécanismes d’exclusion. Mais les droits associés à la propriété privée des moyens de production apparaissent peut-être comme le mécanisme d’exclusion le plus important. En effet, ces droits sont la forme centrale de clôture qui détermine l’accès à l’ « emploi » de patron. (...) La division de classe cruciale entre capitalistes et travailleurs salariés – commune aux traditions sociologiques wébérienne et marxiste – peut ainsi être comprise, d’un point de vue wébérien, comme une forme spécifique d’accaparement des opportunités, imposée par l’intermédiaire de règles légales sur les droits de propriété.
    Selon l’approche fondée sur l’idée d’accaparement des opportunités, les mécanismes d’exclusion qui façonnent les structures de classe n’opèrent pas seulement au sein de la strate la plus privilégiée. Les syndicats de travailleurs peuvent aussi produire des mécanismes d’exclusion, en protégeant les individus en place de la concurrence des personnes extérieures (outsiders). (...)
    Les sociologues qui adoptent cette approche de la classe par l’accaparement des opportunités identifient généralement trois catégories larges dans la société états-unienne : les capitalistes, définis par les droits associés à la propriété privée des moyens de production ; la classe moyenne, caractérisée par des mécanismes d’exclusion fondés sur une instruction et des compétences acquises ; et la classe ouvrière (working class), définie par sa double exclusion des diplômes de l’enseignement supérieur et du capital. Le segment de la classe ouvrière qui se trouve protégé par les syndicats est conçu soit comme une strate privilégiée au sein de la classe ouvrière, soit parfois comme une composante de la classe moyenne.

    Implication politique :

    La différence cruciale entre les mécanismes d’accaparement des opportunités et les mécanismes associés aux propriétés individuelles tiennent au fait que, pour la première approche, les avantages économiques obtenus par le biais d’une position de classe privilégiée sont liés causalement aux désavantages subis par ceux qui sont exclus de ces positions. Dans l’approche fondée sur les propriétés individuelles, au contraire, ces avantages et désavantages sont simplement les produits de conditions individuelles : les riches sont riches parce qu’ils ont des propriétés favorables, et les pauvres sont pauvres parce qu’ils en sont privés ; il n’y a aucune relation causale entre ces faits. Eliminer la pauvreté en améliorant les propriétés pertinentes des pauvres – instruction, niveau culturel, capital humain – ne heurterait nullement les plus riches. Dans l’approche wébérienne, les riches sont riches en partie parce que les pauvres sont pauvres, et les moyens mis en œuvre par les riches pour maintenir leur richesse contribuent à produire les désavantages propres aux pauvres. Dans ce cas, les mesures visant à éliminer la pauvreté en s’attaquant aux mécanismes d’exclusion sont susceptibles de saper les avantages des riches.

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