Un nouveau champ de recherche

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  • Le 4 janvier 2011, le quotidien « The Independent » alertait ses lecteurs sur un risque d’« islamisation du Royaume-Uni », car le nombre de convertis avait doublé depuis dix ans, passant de cinquante mille à cent mille personnes entre 2001 et 2011 (pour une population totale de soixante millions d’habitants). Une personne sur six cents serait convertie à l’islam ; à un rythme de cinq mille conversions par an (à peine plus qu’en France ou en Allemagne), il faudrait six mille ans pour que le Royaume-Uni devienne un pays à majorité musulmane.

    in. « Le mythe de l’invasion arabo-musulmane », par Raphaël Liogier (mai 2014, #paywall) http://www.monde-diplomatique.fr/2014/05/LIOGIER/50422

    Cf. « Un nouveau champ de recherche », par Marwan Mohammed | Sociologie [En ligne], N° 1, vol. 5 | 2014
    http://sociologie.revues.org/2108

    Alors qu’elle n’en est qu’à ses balbutiements en France, la sociologie de l’#islamophobie se développe rapidement, depuis environ une décennie, dans de nombreuses universités européennes et nord‑américaines. Phénomène à l’ampleur croissante dont la mesure quantitative se diversifie et se développe, l’islamophobie – comme concept et comme phénomène – est en France l’objet de puissantes résistances dans les champs académique et politique. Des résistances qui résultent d’une part de campagnes de bannissement d’ordre idéologique, mais dont la force provient également de traditions politiques, philosophiques et théoriques qui rendent inintelligible l’affirmation publique, notamment vestimentaire, d’une religiosité visible.

    cc @alaingresh @vacarme

    The random Muslim scare story generator: separating fact from fiction | by Nesrine Malik, 12 May 2014 http://www.theguardian.com/world/2014/may/12/muslim-scare-stories-media-halal-sharia-niqab

  • Islamophobie : les données disponibles | Marwan Mohammed

    http://sociologie.revues.org/2108

    Cet ensemble de connaissances sur le rejet des musulmans s’est développé dans le sillage d’enquêtes d’opinion internationales comme le Pew Global Attitudes Project, l’Eurobarometer, l’European ou la World Values Study, menées pour certaines depuis le début des années 1980. (...) En France, ce type d’enquêtes d’opinion est piloté depuis 1990 par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) et exploité par plusieurs politologues spécialistes des questions identitaires et électorales. Si elles ne sont pas exemptes de critiques liées à leurs commanditaires, à leurs finalités ou à la méthodologie utilisée, ces enquêtes d’opinion jouent, depuis une décennie, un rôle important dans l’objectivation de l’un des volets de l’islamophobie et sa reconnaissance comme fait social. Plusieurs tendances se dégagent de ces enquêtes. D’une part, le fait que les opinions négatives à l’égard de l’islam et des musulmans sont stables et relativement autonomes, c’est‑à‑dire peu sensibles aux variations (notamment la décrue) d’autres formes d’intolérance. Parmi les marqueurs de la religiosité musulmane, le rejet du port du foulard est particulièrement vif. Symbole du « problème musulman » depuis 1989 (année de la première controverse sur le « voile islamique »), son rejet est massif et les opinions négatives atteignent des sommets en 2003, au moment des débats qui ont précédé le vote de la loi du 15 mars 2004. Le port du foulard est le signe d’islamité le plus rejeté, ce que corroborent d’autres instruments de mesure de l’islamophobie. Mais au-delà du « foulard islamique », c’est l’ensemble de la ritualité musulmane qui est l’objet d’une hostilité croissante. Les interdits alimentaires, qui cumulaient 13 % d’opinions défavorables en 2003, suscitent le rejet d’un tiers des répondants en 2011. L’observance du ramadan indispose 26 % des sondés contre 21 % en 2003. Enfin, le sacrifice du mouton lors de la fête de l’Aïd suscite 37 % d’opinions négatives en 2011 contre 25 % en 2003.
    Depuis le début des années 2000, d’autres données sont mobilisables pour se faire une idée des manifestations d’islamophobie en France. Deux organismes enregistrent les saisines des victimes : le ministère de l’Intérieur et le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF). En tendance, les courbes du ministère de l’Intérieur et du CCIF se ressemblent et convergent pour dessiner une tendance à l’accroissement continue depuis 2008. Leurs variations se révèlent sensibles à l’agenda médiatique et politique concernant le « problème musulman ». Un pic est identifiable en 2004 et peut être associé aux travaux fort médiatisés de la commission Stasi ayant donné lieu au vote de la loi interdisant les signes religieux ostensibles à l’école publique ; la poussée de 2009 est concomitante des controverses sur l’interdiction du voile intégral et du lancement du débat sur l’identité nationale.
    De nouveaux révélateurs statistiques permettent aujourd’hui de mieux objectiver l’expérience de l’islamophobie en interrogeant l’existence de discriminations en raison de l’appartenance religieuse. Plusieurs enquêtes de victimation européennes établissent aujourd’hui un tableau assez sombre de la condition de diverses minorités, notamment musulmanes12. En France, l’essor de la thématique des discriminations (Fassin, 2002) dont l’enquête TeO est l’un des aboutissements permet de questionner l’existence d’une « pénalité musulmane » (Simon & Stavo‑Debauge, 2004 ; Lesné & Simon, 2012)13. À l’échelle nationale, le motif religieux est très peu mobilisé pour expliquer la discrimination (moins de 1 %). Sa mobilisation est corrélée à l’importance que lui accordent les individus, notamment 5 % des musulmans et près d’un juif sur six, les deux populations qui déclarent l’attachement le plus intense à la religion et à la pratique du culte. Rapporté à leur poids dans la population enquêtée (7 %), il ressort qu’un peu plus d’un enquêté sur deux déclarant avoir été discriminé pour motif religieux est musulman, notamment les femmes. En effet, au sein de cette population, ils sont 38 % à affirmer porter un signe religieux repérable, alors que cette religiosité visible (tous signes confondus) n’est déclarée que par 21 % de l’ensemble des musulmans de l’enquête.
    Une autre approche consiste à postuler une « condition » collective liée à une expérience partagée (N’diaye, 2008). L’importance que les musulmans accordent à la religion dans l’enquête TeO plaide en faveur de cette approche dont les limites sont nombreuses. L’élaboration d’une « condition musulmane » est ici une opération statistique qui ne doit en rien occulter la pluralité des modes d’appartenance ou bien la dimension cumulative des désavantages sociaux pour des populations avant tout ancrées au sein des classes populaires. En fait, l’association de la question des discriminations avec l’idée de condition collective s’opère par la jonction d’une logique d’identification avec une logique de racialisation en fonction du signe religieux (Amiraux, 2008). Au final et par effet d’accumulation, le niveau des discriminations rapportées par les musulmans est « supérieure d’environ 50 % comparativement aux personnes se déclarant sans religion ». Signalons pour finir, l’enquête par testing menée en France par Claire Adida, David Laitin et Marie‑Anne Valfort qui ont comparé le potentiel d’accès à l’emploi de deux Françaises, l’une musulmane et l’autre chrétienne, toutes deux noires de peau et originaires du Sénégal, dont les CV se distinguaient par deux marqueurs religieux. Résultat, pour 100 réponses positives obtenues par Marie Diouf, Khadija Diouf en obtient seulement 38, autrement dit, la candidate musulmane a 2,5 fois moins de réponses positives que la candidate chrétienne.
    La multiplication, la diversification et surtout la convergence des outils de mesure de l’islamophobie au cours des années 2000 tranchent toutefois avec le désintérêt relatif du monde académique et du champ politique français à l’égard de ce phénomène, notamment au regard du dynamisme des sciences sociales anglophones.

    #stigmatisation
    #minorités
    #islamophobie
    #musulmans

  • Islamophobie : la construction d’un « problème musulman » | Marwan Mohammed

    http://sociologie.revues.org/2108

    Cette notion d’islamophobie (...), nous la définissions avec Abdellali Hajjat (Hajjat & Mohammed, 2013) comme un processus complexe d’altérisation qui s’appuie sur le signe de l’appartenance réelle ou présumée à la religion musulmane. Par altérisation, nous pointons le fait de réduire l’agir social des musulmans, réels ou présumés, à un agir religieux essentialisé, en effaçant ou en atrophiant la pluralité et la complexité identitaires et communautaires de cette population. (…) Nous considérons que l’islamophobie est l’une des conséquences de la construction d’un « problème musulman » dont l’enjeu fondamental est la légitimité présentielle des musulmans, notamment ceux issus de l’immigration post‑coloniale sur le territoire national ou certains de ses espaces. (…)
    En France, depuis le début des années 1980, cette croyance en l’existence d’un « problème musulman » se décline de manière moins brutale, au gré de controverses publiques connectant de multiples enjeux : un problème « d’intégration » au regard de la reproduction intergénérationnelle d’une certaine religiosité jugée incompatible avec les conceptions majoritaires de la citoyenneté ou de l’identité nationale ; un problème de modernité en raison de présumées incompatibilités des musulmans avec la démocratie, la laïcité ou l’égalité entre les sexes ; une peur du débordement démographique articulée au « mythe de l’islamisation » (Liogier, 2012) ; un problème de sécurité centré sur la construction d’une menace terroriste de référence islamiste (Bigo, Deltombe & Bonelli, 2008). Les débats publics reposent sur une dichotomisation et une essentialisation radicales de l’islam et des musulmans. Les discours et la mise en image participent de la construction d’un « islam imaginaire », tour à tour opposé à la « République », à « l’État », à la « laïcité » ou à la « Nation » (Deltombe, 2005). Les « musulmans », quant à eux, s’ils ne sont pas opposés aux « Français », sont fréquemment divisés en deux grandes catégories : les « intégristes » (« islamistes » ou « fondamentalistes ») d’un côté et les « modérés » de l’autre (Geisser, 2003). Un binarisme et des logiques d’essentialisation, en total décalage avec la nuance ou la complexité qu’apportent les études en sciences sociales, de plus en plus nombreuses, sur le fait musulman. (…)
    Un cadrage aux effets politiques et sociaux concrets, notamment sur la vie quotidienne de millions de musulmans réels ou présumés. En effet, les solutions politiques suggérées ou apportées au « problème musulman » en Europe, au moins depuis le 11 septembre 2001, penchent nettement vers une logique de contrôle, d’exclusion ou de disciplinarisation (Fournier, 2013 ; McGoldrick, 2006). Valérie Amiraux rappelle ici que l’accumulation des controverses publiques liées à l’islam en Europe a eu pour effet de systématiser l’interdiction légale ou la réprobation publique des vêtements islamiques féminins. La sauvegarde des valeurs nationales, qui seraient fragilisées par l’irruption publique de référentiels musulmans (vestimentaires, institutionnels, cultuels, etc.) passe désormais par leur disqualification symbolique et sociale et leur encadrement juridique. En France, cela prend la forme du bannissement des filles ou des mères voilées de l’école publique, des femmes en niqab de l’espace public, et plus largement, par le déploiement d’une volonté de rejet – fortement genré (Deeb, 2010 ; Mirza, 2013) – de toute expression de l’islam dans le monde du travail, dans l’univers du « care » ou à l’université. Avec Abdelalli Hajjat, nous avons parlé de processus de discrimination légale par capillarité dans la mesure où les arguments juridiques et politiques au fondement des premières interdictions sont réinvestis dans les nouveaux espaces sociaux dans lesquels se développent de nouvelles mobilisations de type prohibitionniste. (…)

    #stigmatisation
    #minorités
    #islamophobie
    #musulmans