Olivier Rey, L’unité d’inspiration de la pensée d’Ivan Illich, 2013

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  • Petit tour d’horizon des orientations d’Ivan Illich, par Olivier Rey dans Entropia en 2013. Sur le site de @tranbert.

    Olivier Rey, L’unité d’inspiration de la pensée d’Ivan Illich, 2013 | Et vous n’avez encore rien vu...
    http://sniadecki.wordpress.com/2014/05/23/rey-illich

    Par ailleurs, penser que le respect du proportionné est soumission pure et simple à la nature serait une erreur. En effet, il appartient à l’humain de ne pas être dans cette soumission pure et simple (ce qui ne signifie pas être dans l’arrachement radical) ; il s’agit de respecter les limites au-delà desquelles l’arrachement devient délétère. Illich prend au sérieux l’idéal moderne d’autonomie, mais il se rend compte que la voie suivie pour l’accomplir autant que faire se peut est mauvaise, parce qu’elle entraîne une perte du sens de l’approprié. À rebours, il invite à réélaborer un rapport au monde inspiré par le principe du proportionné – proportion entre les moyens et les fins, d’une part (pas de déchaînement technique pour remplir des tâches frivoles, ou qui pourraient être accomplies plus simplement), entre les fins poursuivies et les facultés de l’être humain d’autre part (ce que permet la technique doit demeurer commensurable avec les facultés humaines ; sans quoi, la technique humilie, asservit et défait l’homme au lieu de le servir). Il ne s’agit pas tant, ici, d’être antimoderne, que de prendre en compte les conditions à respecter pour que les promesses d’émancipation de la modernité soient tenues.

    J’aime bien la référence à Serres, haha :

    Freud reprochait à l’éducation de son temps de dissimuler aux adolescents les agressions dont ils étaient destinés à devenir l’objet :

    « En lâchant la jeunesse dans la vie avec une orientation psychologique aussi inexacte, l’éducation ne se comporte pas autrement que si l’on équipait des gens partant pour une expédition polaire avec des vêtements d’été et des cartes des lacs lombards. » [22]

    Avec Serres, Petite Poucette part pour les pôles en slip de bain et munie du plan d’un Center Parc.

    Pow.

    #Ivan-Illich #Olivier-Rey #philosophie #épistémologie #critique_techno #proportions

    • ce qu’il dit sur la proportion me fait penser à ce que dit Augustin Berque sur la notion d’échelle http://www.peripheries.net/article185.html

      Le mot qui cristallise tout, c’est le mot d’échelle. C’est l’image qui sert de point de départ au livre : l’un des sens d’« échelle » était autrefois celui de « port ». Le port permet de quitter une île, un monde clos, et de voguer vers d’autres mondes. On ne doit jamais l’oublier. La modernité, en établissant un système d’objets, en procédant par objectification, a nié le principe même d’échelle, qui est ce qui permet d’établir des relations ; c’est là un immense problème, car l’échelle est indispensable pour nous relier à la biosphère, qui est le fondement de notre existence.

      La perte de référence - la perte d’échelle - conduit à la fermeture sur soi d’un système. Or c’est d’abord faux : le logicien mathématicien Kurt Gödel a démontré que, pour prouver la validité d’un système, on est obligé de prendre une référence à l’extérieur. Donc, si vous voulez avoir un sens de vérité, vous ne pouvez pas le prendre dans le système lui-même. Et le besoin de vérité va avec le besoin de sens. C’est justement cela qui est terrible, dans le discours des intellectuels français : cette façon de clore le sens sur lui-même, dans des systèmes de signes. C’est une entreprise destructrice de la société - non pas la société dans le sens conservateur, réactionnaire, d’ordre social, pas du tout ! Mais dans le sens de ce qui permet d’être dans un monde. Là, vous êtes coincé dans un petit système, et il n’y a plus d’échelle qui vous ouvre vers le monde, le grand monde. Le grand monde, c’est-à-dire d’autres mondes.

      La logique du développement de la modernité est celle d’une déconnexion croissante entre tous les domaines : l’esthétique, l’éthique, le rationnel... Tout cela, on peut le résumer par la perte de cosmicité, la cosmicité étant un lien, ressenti par tous ceux qui vivent dans un certain monde, entre des domaines que le rationalisme moderne oblige à déconnecter, à ne pas mêler. Il ne s’agit pas, à l’inverse, de fondre tout cela dans un confusionnisme prémoderne, non ! Mais de voir, au-delà de la modernité, la nécessité fondamentale de trouver des liens. Parce que sans ça, vous n’arrivez pas à fonder le sens. Et si vous ne fondez pas le sens, vous ne faites plus tenir la société. Si le sens n’est pas fondé cosmiquement, cosmologiquement, vous n’avez pas le droit de l’imposer aux autres s’ils n’en veulent pas.