Toute pratique opère sous une idéologie, le sentiment (vengeance et haine face au mépris, envie de la marchandise interdite) en est une. Le sentiment est un rapport aux rapports de production, il s’agit même de la forme la plus évidente, la plus immédiate de l’interpellation des individus concrets en sujets. Mais « l’individu concret » n’est pas un substrat premier, il est lui-même produit dans la reproduction du mode de production dans toutes ses formes d’apparition et tout son fétichisme. C’est l’individu concret qui s’auto-interpelle comme sujet. Les adolescents racisés se sont auto-interpelés en sujets, pas sous la même idéologie évidemment qu’un ouvrier ou un retraité. Le sentiment : haine, vengeance, envie de consommer non seulement des produits Aldi ou Lidl mais aussi des téléphones dernier cri et des écrans plats, jeu et affirmation de soi. Contre son déni constant, l’idéologie spécifique des jeunes émeutiers est précisément de se revendiquer soi-même comme « humain », la dignité est la forme la plus pure du sujet. Le sentiment ne représente pas leurs conditions d’existence réelles mais leur rapport à ces conditions et c’est dans ce rapport qu’ils se constituent en sujets et en tant que tels agissent et luttent adéquatement à leur existence réelle telle que définie et existante dans une situation sociale et politique particulière.
Après s’être restructuré mondialement dans les années 1970, contre Keynes et Ford, en déconnectant la valorisation du capital de la reproduction de la force de travail, le mode de production est maintenant miné par un retour de manivelle de ce qui fut la dynamique de ces trente ou quarante dernières années
Il y eut les Gilets jaunes qui mirent la vie quotidienne dans tous ses aléas, ses piles et ses faces, au centre de la lutte des classes et interpellèrent l’Etat comme le responsable de la distribution, du revenu, de la richesse des uns et de la pauvreté des autres.
Il y eut le long épisode relatif à la réforme des retraites où l’intersyndicale parvint tout du long à encadrer le mouvement parce que, mouvement mort-né, il n’avait de but que la défaite dont l’intersyndicale était la forme adéquate. Réforme qui, articulée avec celle de l’assurance–chômage, de l’apprentissage et de la formation, des lycées professionnels et leur financement, modifie tout le parcours de la vie au travail Mais, dans sa défaite annoncée, apparut l’évidence de la crise de la démocratie représentative dans l’accumulation de tous les expédients constitutionnels pour imposer une décision déjà prise avant toute « discussion ».
Il y eut la période Covid avec ses confinements et la répression territorialement ciblée pour qui y dérogeait.
Il y eut la radicalité écologique contre les grands chantiers du capital. Mouvement sympathique si ce n’était qu’en filigrane on y retrouve toujours la nostalgie du paysan, du petit commerce et de la petite production marchande : la médiocrité en tout.
Il y a l’inflation, phénomène magique, comme venu d’une autre planète pour frapper dur les produits de la consommation la plus courante.
Et chaque fois il y a l’Etat et ses diverses bandes armées. L’Etat c’est le gourdin. Derrière chacun de ses appareils, de ses « services », il y a la force. C’est une machine qui transforme la violence réciproque parcourant toutes les facettes de la lutte des classes en seule violence légitime, celle de la reproduction du mode de production capitaliste. Avec la désagrégation du « mouvement ouvrier », ses instances et institutions ; la démocratie représentative s’effondre en même temps que la politique qui est le rapport réciproque de l’Etat à la société civile (transcription en termes étatiques des rapports de production). Les néo-fascistes deviennent libéraux, mènent une politique d’austérité, se rallie à l’Europe et à l’OTAN, tandis que la gauche et la droite rivalisent de « réformes » du code du travail et des retraites.