Vraies et fausses évidences de la géographie électorale suisse.
Chaque résultat électoral interroge les géographes et la géographie, pourvu que l’on considère celle-ci comme la science sociale attachée à traiter de la dimension spatiale du social (Lévy 1994), c’est-à-dire à saisir ce que le problème de la distance et du placement fait aux sociétés et ce que celles-ci en font en retour (Lussault 2007). Chaque fois est posée la question de savoir si les comportements électoraux sont — au moins en partie — déterminés par leur occurrence dans certains lieux et territoires, et, de fait, la géographie électorale a montré que le vote était bien un acte « toujours géoréférencé » (Bussi 1998, p. 385).
Ce questionnement sur la dimension spatiale du vote anime les débats postélectoraux, à travers le commentaire, par la presse et la blogosphère, de cartes représentant les résultats. En Suisse, la votation du 9 février 2014, portant sur une initiative populaire1 « Contre l’immigration de masse », c’est-à-dire en faveur du rétablissement de quotas pour l’accueil de ressortissants de l’Union européenne, n’a pas fait exception. Face à un texte conçu et promu par l’UDC2, et auquel s’opposait le reste de la classe politique, les réactions à chaud ont été d’autant plus nombreuses et passionnées que la campagne avait été atone et que le résultat fut serré, le « oui » l’ayant emporté avec 50,3 % des suffrages exprimés.
Or les limites inhérentes à toute représentation cartographique et aux choix de méthode qu’elle implique induisent le risque de distiller dans le débat public approximations et contresens. Nombre de cartes et graphiques ayant circulé après la votation souffrent ainsi de limites découlant d’arbitrages effectués dans (i) la sélection et le traitement des données et (ii) les modalités de leur représentation. Ce qui interroge la place des cartes dans le débat public et la respectabilité qui les entoure : la « mystique de la carte » (Monmonnier 1993, p. 27) semble jouer à plein dans le contexte électoral. Aussi, sans opposer à cette mystique une « cartophobie » (ibid.) tout aussi irrationnelle, il faut s’interroger sur le statut des « faiseurs » de cartes et leurs objectifs3.
Plus largement, l’abondance de ce matériel cartographique et son utilisation offrent l’occasion de soulever des questions méthodologiques sur les liens mutuels entre les choix présidant à la réalisation de cartes électorales et les énoncés théoriques et empiriques qui les accompagnent. Ce qui suit entend apporter des éléments de réflexion sur ce thème en proposant une série de représentations des résultats de la votation, en discutant de leurs défauts et mérites respectifs et en abordant rapidement ce qu’ils nous disent des principaux déterminants socio-spatiaux du vote.
On commencera par l’évocation de quelques représentations et interprétations corollaires des résultats de la votation mobilisées dans le débat public, et la mise en évidence de leurs limites. Seront ensuite proposés quelques modes de représentations alternatifs, en posant l’hypothèse que ce n’est pas tant leur valeur intrinsèque qui est en jeu que leur complémentarité. Dans un troisième temps, on s’attardera, pour nuancer son importance, sur une variable souvent mobilisée par la géographie électorale : les gradients d’urbanité. Enfin, la conclusion reviendra sur l’opposition entre cartes et sondages électoraux.
▻http://www.espacestemps.net/articles/vraies-et-fausses-evidences-de-la-geographie-electorale-suisse
#géographie_électorale #9février #cartes #visualisation #cartographie #votation #Suisse #immigration_de_masse #initiative #9_février
cc @reka @simplicissimus