Cette notion du #fascisme, pourtant, ne devait pas survivre bien longtemps à la victoire qui, en 1945, l’avait apparemment ratifiée. Pourquoi ? Pour nous limiter à la France, on entrevoit trois raisons. La première est que la science historique et la science #politique n’ont pas entériné cette analyse. Dans l’Université, il n’y eut guère que les marxistes pour garder les conventions de #vocabulaire qui faisaient du « fascisme » une catégorie, alors que les principales autorités ont proposé des classements plus fins, et tendu à rejeter le mot de « fascisme » dans la rubrique d’un vocabulaire partisan et daté.
Ensuite, le « fascisme » ayant surtout désigné des régimes vaincus et disqualifiés par la guerre, le mot a tendu à devenir infamant, et a pu donc être considéré comme diffamatoire par tout homme qui, assimilable à un fasciste par la théorie pure, n’avait pourtant pas agi en collaborateur des occupants. Un procès remarqué, à Paris, en 1983, a procuré un exemple bien réel de cette difficulté (8).
La troisième enfin est que, la guerre froide aidant, l’opinion occidentale a été amenée à abandonner ces notions de « fascisme » et d’"antifascisme" que les démocraties libérales avaient eu en commun avec les staliniens au temps où les vainqueurs étaient alliés. Ce dont le « monde libre » avait besoin après 1947, c’était d’une conceptualisation capable de diaboliser les communistes aussi bien que les hitlériens. Ce fut, on le sait, la notion de « #totalitarisme » qui apparut au-devant de la scène, pour mettre l’accent sur ce que l’antilibéralisme de droite (le fascisme) et l’antilibéralisme de gauche (le bolchevisme) avaient en commun.
On n’entreprendra pas ici le commentaire des avancées scientifiques que la notion de « totalitarisme » aura permises. Nous voulions seulement montrer à quel point la désignation du mal sous les formes successives du « fascisme » et du « totalitarisme » portait au moins autant la marque de la conjoncture politique que celle de l’exigence réflexive. Il y a bien là une difficulté propre à l’histoire, et peut-être à la politologie, de nature à rendre fragile leur statut scientifique.