Analyse des résultats des européennes dans les Pyrénées-Atlantiques et le Sud-Ouest

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  • L’impasse française du FN est le fruit de notre acculturation jacobine et de notre triste indifférenciation
    http://bearniaiseries.blogspot.fr/2014/05/analyse-des-resultats-des-europeennes.html
    Un bloggeur Béarnais nous livre une analyse de la cartographie électorale du Sud-Ouest, un peu à la Todd. A deux-trois approximations près (on lui pardonnera le terme « boboïsation ») c’est assez finement vu.

    Le scrutin européen est l’un des plus intéressants, potentiellement, car à 1 tour et proportionnel, même si la forte abstention et le caractère de défouloir de l’élection truquent quelque peu la visibilité des résultats.

    Il n’en reste pas moins que le département des Pyrénées-Atlantiques est atypique dans son vote et qu’il est possible de faire parler ce scrutin.
    Bleu : UMP
    Bleu clair : MoDem/UDI
    Rose : PS
    Bleu foncé : FN
    Vert : EELV

    a) Un département plutôt conforme à la tendance nationale

    Atypique, mais tout de même conforme dans les grandes lignes à la tendance nationale : le FN est ainsi en Béarn le premier parti, même s’il convient d’expliquer les raisons ci-après. Conformément à la vague Bleue Marine française, les Pyrénées-Atlantiques placent régulièrement le FN à de très hauts scores, les listes de ce parti sont donc bien l’objet d’un message de la part de l’électorat.

    Les foyers FN sont avant toute chose notables en Béarn, plus notamment dans l’arrondissement de Pau. Ils se concentrent autour de la plaine de Nay, de la route de Gan, d’Arthez et en Vic-Bilh.

    Il est très malaisé, tant ces zones sont différentes, de trouver les raisons communes à ce vote, ce qui peut être dit néanmoins, c’est que l’électorat de ces villages est profondément imprégné par les thématiques nationales françaises, et qu’il vote désormais en conformité avec le reste de la France.

    Le vote au Nord de Pau et autour d’Arthez, auquel il convient d’ajouter le foyer de Gan, s’explique, à mon sens, plus facilement par la civilisation pavillonnaire : les lieux sont depuis 20 ans le foyer d’un univers périurbain où se rassemblent les classes moyennes françaises qui ont fui les grandes métropoles. La débéarnisation y est à peu près totale, il ne reste rien de l’ancien monde paysan démocrate-chrétien, la « Bayrouie ».

    Le cas du Vic-Bilh me semble plus distinct, même si le phénomène pavillonnaire y est puissant, du fait de la proximité de Pau, et que le renouvellement des populations s’y est également opéré. Reste que le Vic-Bilh est aussi un pays d’exploitations agricoles qui périclitent, pour lesquelles la PAC peut s’avérer aliénante. Le vote de contestation est sans conteste le FN, en l’absence de formation locale qui capterait ce mécontentement.

    En Pays Basque, le FN perce notablement en Bas-Adour : c’est le même phénomène qu’en grande banlieue périurbaine paloise, sauf qu’ici c’est Bayonne. Le FN est très fort autour de Mouguerre et Urcuit, c’est là encore la banlieue résidentielle bayonnaise des gens qui ont fui les grandes villes françaises pour se barricader à la campagne, c’est le pays des trajets en bagnole quotidiens, des courses dans les malls commerciaux, le pays des haies et des lotissements, du « vivons cachés ». La sociologie politique introduite dans ces zones débasquisées est très étrangère à la tradition politique basque.

    On pourrait affiner ces résultats : le FN fait de bons résultats en Basse-Soule au Nord de Mauléon, ainsi qu’en zone frontalière, à Hendaye ou Biriatou. Chaque fois, le signe d’une acculturation identitaire.

    b) Un département de plus en plus bicéphale

    Le fait le plus marquant est le décrochage des électorats basque et béarnais. Cela a toujours été le cas plus ou moins, le Béarn étant partagé entre la démocratie chrétienne et le socialisme, tandis que le Pays Basque, dans les grandes lignes, était conservateur, RPR de l’ancienne mode.

    Le développement de foyers FN en Béarn est conforme à la tendance lourde de la contrée : celle d’une francisation des réflexes politiques, au sens où le Béarn, qui a longtemps possédé une sociologie politique propre, se cale de plus en plus sur les solutions nationales.

    En Béarn, la démocratie chrétienne MoDem de la paysannerie traditionnelle survit dans les environs de Morlaàs, dans l’Entre-deux-Gaves, en Barétous. Le radicalisme socialisant, lui, reste fort dans les vallées, en Aspe et Ossau. C’est l’incarnation de microcosmes politiques qui n’ont pas été altérés par les modifications contemporaines et la « nationalisation » du corps électoral béarnais. Ce sont des zones qui, comme par hasard, pratiquent encore subrepticement le béarnais et ont conservé un fort sentiment d’appartenance locale, le FN étant alors dans ce cadre un parti foncièrement étranger.

    Le constat est encore plus net chez les Basques : le vote « Vert » est important en Basse-Navarre et en Haute-Soule. Il est la traduction de l’importance de l’abertzalisme dans ces régions rurales, qui proposent un modèle alternatif de développement, face à la chambre de commerce de Pau, face à l’UE même, telle qu’elle se construit. Là où le paysan béarnais aliéné du Montanérès va voter FN, comme le reste des Français, l’agriculteur basque votera Bové, car il bénéficie depuis de longues années d’un mouvement ancré localement qui a opéré l’addition du sentiment basque et de la volonté des changements économiques et sociaux.

    En somme, les résultats marquent le succès naissant de la stratégie basque depuis des décennies : parler d’économie, parler aux jeunes. C’est une vraie révolution locale qui voit les descendants des électeurs RPR passer à une alter-gauche européenne qui porte un projet local original. Et l’analyse des résultats commune par commune montre de notables percées autour de Saint-Palais, au royaume de Lur Berri. Le Labourd semble plus récalcitrant, encore que le Labourd intérieur place souvent Bové en 2ème ou 3ème place.

    Le département des Pyrénées-Atlantiques est donc moribond : il ne se trouvera plus dans les années qui viennent une sociologie commune aux entités basque et béarnaise. Le #Pays_Basque français se plonge dans une expérience nouvelle, similaire à celle qu’a connue le Pays Basque espagnol, c’est un vrai laboratoire politique. Le #Béarn, acculturé, achève sa mutation vers une francisation à peu près totale sur tous les plans, dont celui de la sociologie politique. Il n’est peut-être pas trop tard encore que j’en doute fortement.

    c) Ailleurs dans le Sud-Ouest

    La vallée de la Garonne, conformément à mon analyse de 2012 http://bearniaiseries.blogspot.fr/2012/04/analyse-rapide-des-resultats-du-1er.html, confirme largement son ancrage national et l’évaporation de toute sociologie politique locale. En Gironde, il faut s’enfoncer loin en Bazadais pour retrouver un vote de centre-gauche traditionnel.

    Des villes moyennes en perte de vitesse montrent une vraie implantation du FN, souvent 2ème , voire 1er, devant la gauche : Tarbes, Lourdes, Saint-Gaudens, Pamiers, Carcassonne, Montauban, Agen, Albi, …

    A rebours, les grandes villes poursuivent leur boboïsation : Bordeaux place l’UMP en tête, puis le PS et les Verts. Même tiercé à Toulouse. Il semble que Pau, malgré sa modestie démographique, est sur un même schéma avec le MoDem en tête.

    On constate, tout comme au Pays Basque, dans des régions où la #culture_vernaculaire s’est mieux maintenue et où les structures économiques traditionnelles survivent, un vote classique UMP, avec des foyers verts naissants : #Aveyron ou #Cantal. Les Pyrénées-Orientales, elles, sont très divisées, entre une côte complètement FNisée et un intérieur où des foyers verts puissants émergent, qui marquent l’appartenance identitaire catalane.

    Dans tous les cas, la clé d’interprétation que je propose, entre régions acculturées et régions à forte identité, me semble à chaque fois la bonne : là où l’#identité locale a été éradiquée, le FN perce. Partout où le sentiment de la différence a pu subsister, une offre concurrente au FN engrange des points, souvent sur un modèle plus européen, qui somme toute est plus rationnel quand il s’agit d’obtenir des choses à Bruxelles.

    L’impasse française du #FN, car tel est mon avis, est avant tout le fruit de notre acculturation jacobine et de notre triste indifférenciation, de Dunkerque au Boulou.

    #langues_sans_frontières #jacobinisme #déracinement #extrême-droite
    cc @monolecte @aude_v @rastapopoulos #teamGasconha

    • c’est vrai, mais au delà de notre kanttu, on retrouve quelque-chose de commun dans ces différentes régions qui ont à la fois un faible taux de vote fn et des dynamiques locales fortes appuyées sur (ou coexistant avec) une culture vernaculaire encore vivante : Pays Basque, Ouest de la Bretagne, Occitanie rurale (le Sud et l’Ouest du Massif Central), Vercors, montagne ariégeoise et catalane...

    • Dynamique : ceux dont les revenus régressent... dans mon coin, très grosse culture vernaculaire, gros score FN en progression pendant que les revenus plongent. Les rares bleds qui ont voté autrement ont des populations d’actifs intégrés avec des revenus remarquablement supérieurs aux standards de la région. Ce sont surtout des gens qui n’ont pas peur de perdre leur statut, leur niveau de vie, voir leur logement... et ils ne sont plus très nombreux

    • Comme quoi, l’écologie culpabilisante et punitive est contre-
      productive.
      Un autre facteur de la montée du FN est la « mixité sociale » défendue par nos élites. La tendance qui veut qu’on doive faire cohabiter des populations d’origines et de catégories sociales très éloignés est un leurre. Tout le monde est à la peine et pendant que certains se sentent ostracisés, d’autres devront faire preuve de beaucoup de civilité pour pouvoir tolérer, relativiser (voire excuser) certains comportements. Le « vivre ensemble » ne fait plus recette. La faute à des modes de vie complètement atomisés entre temps de travail et temps de « consommation » incluant les temps de détente et de loisirs. Le lien sociale, précaire, peut encore être maintenu grâce aux services publics (bibliothèques) et au bénévolat des acteurs associatifs. La mixité sociale ne pourra pas marcher si on ne dit bonjour à ses voisins qu’en les croisant dans la cage d’escalier. Le vivre ensemble restera un voeux pieux tant que nous n’aurons pas compris qu’une liberté totale et non réfrénée d’accès au loisir n’est pas soutenable à long terme.

      Non je ne suis pas pour créer des ghettos sociaux, mais juste pour passer moins de temps devant des écrans pour retrouver le temps de taper la causette avec les autre locataires du quartiers (entre autre remèdes, mais il y en a certainement plein d’autres).

    • Pour revenir sur ce que disaient @monolecte et @aude_v, c’est fort possible que ces zones périurbaines soient à la fois les plus déculturées et uniformisées (remplacement des paysages et des modes de socialisation paysans par le cauchemar pavillonnaire) et les plus appauvries (endettement immobilier + coût de l’essence).
      Comme le dit l’auteur du blog dans un autre billet « le FN, c’est aussi la civilisation périurbaine qui dépense ses revenus en essence et a rêvé de l’accession à la propriété en lotissement loin des centre-villes »