• Politique des minorités, politique du style
    Entretien avec Philippe Mangeot sur la revue Vacarme
    Drôle d’époque n°20, automne 2007
    http://www.christiane-vollaire.fr/index.php?/vacarme

    Entre désirs de fuite et rapports de force, c’est sans doute l’un des espaces de la politique telle que nous la concevons à Vacarme qui se déploie. (...)

    Vacarme occupe une drôle de position au sein de la gauche de gauche : nous avons beau en faire évidemment partie, nous ne nous sommes jamais reconnus dans le discours de l’anti-libéralisme, qui ne décrit souvent ni les expériences politiques dont nous procédons, ni certains de nos affects. Nous avons consacré il y a plusieurs années un dossier qui proposait une critique de la critique anti-libérale, en montrant notamment comment les luttes minoritaires auxquelles nous participions, ou dont nous nous sentions proches, pouvaient prendre appui sur des possibilités ouvertes par le libéralisme pour lui résister. Je pense notamment à la bataille des malades du sida contre les brevets pharmaceutiques, mais aussi aux stratégies mises en œuvres dans les luttes de certains peuples autochtones, auxquelles nous avons récemment consacré un « chantier ». De ce point de vue, nous sommes souvent beaucoup plus loin qu’on ne le pense souvent de ce qui se travaille à Attac par exemple, ou de ce qui s’écrit dans les colonnes du Monde Diplo. Je me souviens qu’au tout début du projet de Vacarme, certains d’entre nous définissaient cette revue qui n’existait pas encore a contrario du Monde Diplomatique. Quand je sors de la lecture du @mDiplo, j’ai souvent l’impression que le système qui nous accable est tellement fort et tellement cohérent que je ne peux y opposer qu’un savoir désarmé. Notre question, c’est plutôt : quelles sont les échelles, quels sont les leviers, quelles sont les marges de manœuvres dont on peut se saisir pour continuer de faire de la politique : d’où l’intérêt que nous portons à la politique des usagers, par exemple, et la façon dont cela nous conduit à démultiplier les lieux-mêmes de l’action politique : c’était le sens d’un dossier déjà ancien sur les DDASS, où l’on administre une large part de nos vies : quelle politique inventer au guichet des DDASS ? voilà le type de question que nous nous posons. Quelle peut-être une politique des gouvernés dans tous les lieux où s’exerce un « gouvernement », au sens classique du terme : une salle de classe, une prison, une entreprise, un cabinet médical, etc. ? Il n’y a pas si longtemps, le Diplo a fait une brève assez sympathique à propos de la sortie d’un numéro de Vacarme, qui saluait un article en notant qu’il tranchait, pour une fois, dans une revue globalement « fumeuse ». C’était rigolo, parce qu’ils mettaient le doigt sur ce qui nous distingue fondamentalement d’eux.

    Puisque nous en sommes aux définitions de la façon dont Vacarme conçoit la politique – politique des usages plutôt que des principes, politique des gouvernés, etc. – il faut rappeler aussi la façon dont Vacarme s’est opposé, dès l’origine, à la crispation de la gauche républicaine contre les « communautarismes ». C’étaient les années 1990, à l’époque du triomphe du concept droitier de "politiquement correct", pourtant inventé aux Etats-Unis pour discréditer la gauche. Il y avait alors une crispation républicaine très forte contre les « communautarismes ». Nous y voyions un faux débat, inapte à rendre compte de la façon dont les communautés peuvent être des lieux d’invention de savoirs et de modes de résistance à des formes de domination majoritaire : selon nous, il fallait au contraire favoriser le développement des structures communautaires, seule façon, du reste, d’empêcher qu’elles ne se closent sur elles-mêmes. Je parle d’expérience : je sais comment la lutte contre le sida, dans son ensemble, s’est construite au sein de la communauté homosexuelle.