Peut-on parler, à propos de la jeunesse d’aujourd’hui, de « génération sacrifiée », comme on l’entend parfois ?
Guillaume Allègre : La jeunesse d’aujourd’hui traverse une crise, mais il faut éviter un excès de misérabilisme ou de catastrophisme. On peut la comparer aux autres générations nées au XXe siècle. Ainsi, celles qui sont nées avant 1945 se définissent toutes par la guerre à laquelle elles ont participé. Elles n’ont pas connu de jeunesse au sens où nous l’entendons : à cette époque, la plus grande partie de la population passe directement, à un âge précoce, de l’école à l’usine ou aux champs.
La cohorte de 1945 marque une rupture : c’est la première génération qui bénéficie à la fois d’une paix durable, d’une expansion scolaire, inconnue jusque-là (entre la cohorte de 1935 et celle de 1945, l’âge médian de fin d’études passe de 14 ans à 17 ans), et d’une assez longue période de croissance économique. Une deuxième rupture est liée à l’apparition du chômage de masse à la fin des Trente Glorieuses, qui affecte la génération née autour de 1955 et celles qui la suivront. S’agit-il pour autant de générations sacrifiées ? Même si leurs conditions d’insertion sur le marché du travail sont plus difficiles, ces générations bénéficient d’une seconde phase d’expansion scolaire (l’âge médian de fin d’études est aujourd’hui de 22 ans) et d’un niveau de vie dans l’ensemble meilleur.
Camille Peugny : C’est vrai, mais il n’y avait pas, dans les générations précédentes, la même angoisse de l’insertion sur le marché du travail. Quand on regarde les taux de chômage des jeunes depuis le début des années 1980, on s’aperçoit que la situation est assez stable. C’est un peu mieux dans les périodes de reprise, un peu moins bien dans celles de récession, mais dans l’ensemble, les difficultés d’insertion apparaissent assez structurelles. Les transformations du capitalisme depuis une trentaine d’années fragilisent en effet les franges extrêmes de la vie : les jeunes et les seniors. De plus, avoir 20 ans en Europe aujourd’hui, c’est être jeune dans des sociétés qui vieillissent. Dans les années 1970, les jeunes tenaient les leviers du changement social. Aujourd’hui, la jeunesse est clairement tenue à l’écart de ces leviers.