#Nataïs : interdiction de distribuer des tracts
Si la liberté d’expression est un des piliers des droits de l’homme, la liberté syndicale en est un autre. On va voir ici même la conception qu’a Nataïs de la chose…
Pour le contexte, disons que l’accord que nous allons commenter, passé entre Nataïs et les syndicats, se produit alors que la campagne pour les élections des représentants du personnel bat son plein dans l’entreprise. En tant qu’anarchosyndicalistes nous savons que ce système de représentation professionnelle entraîne pour les travailleurs un haut degré de toxicité. Nous en tirons les conclusions qui s’imposent et, en conséquence, nous ne nous présentons à aucune élection. Le cirque électoral, dans l’entreprise où ailleurs, nous laisse froids. Mais l’accord d’entreprise que nous allons commenter ici va plus loin, puisqu’il vise à anéantir une liberté syndicale basique, celle de distribuer nos tracts dans l’entreprise.
Il s’agit là pourtant d’un droit. Il est acté par l’article L 2142-4 du Code du travail, lequel stipule textuellement que « Les publications et tracts de nature syndicale peuvent être librement diffusés aux travailleurs de l’entreprise dans l’enceinte de celle-ci aux heures d’entrée et de sortie du travail. » Vous avez lu comme nous « DANS » . Mais, à Nataïs, c’est « HORS » . En effet, nous apprend le journal local, “ Le directeur général Jérôme Rethoré confirme (…) : « Avec toutes les organisations syndicales dont la CGT, un accord a été conclu. Il stipule clairement que la propagande syndicale avant les prochaines élections ne peut se faire que hors entreprise. »” [1]
Et oui, pour incroyable que cela puisse paraître, les organisations syndicales ont signé un accord interne par lequel elles acceptent d’abandonner un de leurs droits fondamentaux ! Cet « accord », plus que tous les baratins de communication, donne une idée très précise de l’ambiance qui règne chez Nataïs.
Pour apporter une précision, il faut savoir, que, jusqu’à une date récente, il n’y avait que deux centrales syndicales représentées dans l’entreprise : la CGT et une organisation de cadres. Tout ça roulait à la perfection.
La CGT, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a jamais été virulente. Atone serait même le mot juste. On l’a vu lors de la grève de février, mais aussi avec l’histoire de la convention collective dont elle ne réclame l’application que du bout des lèvres et après, bien après, que les grévistes lui aient secoué les puces. On le voit encore plus depuis des mois, avec la vague des licenciements. La CGT a un électroencéphalogramme quasiment plat… Son rôle majeur jusqu’à présent a été de co-gérer le Comité d’entreprise et d’organiser le repas annuel avec le patron. Oui, mais, à partir du moment, ou même du bout des lèvres elle a demandé l’application de la convention… les choses se son gâtées gravement. Tout d’un coup a surgi dans l’entreprise un autre syndicat, la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) et, tout d’un coup aussi, comme par un effet de baguette divine, il est devenu majoritaire aux élections. C’est l’évêque qui doit être content. On espère que les chrétiens laisseront en partage une ou deux miettes du Comité d’entreprise à la CGT …
Pour revenir à « l’accord », la CGT l’a effectivement signé. Quand elle a voulu distribuer ses tracts pour les élections, elle l’a fait hors de l’entreprise. Et elle a même payé de ses deniers un huissier (c’est totalement vrai, même si cela semble incroyable) pour faire constater qu’elle ne violait pas l’accord et qu’elle ne distribuait que hors de Nataïs !
Tout ce petit monde semble avoir perdu la tête. Voici donc notre minute de droit [2] :
Le principe de base, que connaît le moindre « bébé-juriste », c’est que la loi est « d’ordre public », c’est pourquoi elle s’impose partout et toujours. C’est pourquoi également les accords entre particuliers n’ont aucune valeur quand ils sont contraires aux dispositions de la loi.
Cependant, cet « accord » n’est pas une première.
Il y a déjà eu un petit malin de patron qui a essayé de faire cela (en l’occurrence, l’OPAC du Pas-de-Calais, un organisme social…). Mais là, il y a eu une salariée courageuse (une délégué syndicale) qui malgré tout a distribué des tracts à l’intérieur. Elle a bien sûr été virée. Et au final, la Cour de cassation a tiré les oreilles de l’employeur en déclarant que l’accord signé était, d’évidence, illégal. La jurisprudence de la Cour de cassation est donc parfaitement claire sur ce point et l’arrêt de sa chambre sociale du 27 mai 2008, n°85-46.050, rappelle que « … les dispositions d’un accord collectif ne peuvent restreindre les droits syndicaux que (…) les salariés tiennent des lois et règlements en vigueur » . Or, la distribution de tracts dans l’entreprise est « tenue » de la loi. Aucun doute là-dessus.
On savait déjà (avec l’histoire de la Convention collective applicable à Nataïs) que les arrêts de cassation ne s’appliquaient pas dans le Gers. Mais, maintenant, il y a récidive, ce qui n’a pas l’air de perturber les autorités locales. Elles ne sont pas au courant ? Elles ne lisent pas le journal ?
Le petit anarchojuriste
Notes
[1] La « Dépêche du midi », édition du Gers, 20 avril 2011.
[2] Il est paradoxal que ce soit nous, anarchosyndicalistes, qui devions faire ce « rafraîchissement » de mémoire à des patrons qui peuvent se payer des « responsables de ressources humaines » en série, des juristes tant qu’ils en veulent, à des syndicats qui disposent de permanents à la pelle et qui se déclarent « spécialistes » de droit du travail, ou à des auxiliaires de justice qui ont été requis pour constater qu’on applique bien un accord illégal.