Lectures | Contretemps

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  • À propos du livre de Silvia Federici : « Caliban et la Sorcière »
    http://www.contretemps.eu/lectures/%C3%A0-propos-livre-silvia-federici-caliban-sorci%C3%A8re

    Caliban et la sorcière, de Silvia Federici, est un livre intéressant et discutable. Il faut donc le lire et le discuter. Paru en anglais en 2004, il vient d’être publié en 2014 (Entremonde). Contretemps a d’ailleurs récemment publié un entretien avec l’auteure qui annonce sa sortie. À cette occasion, de nombreux articles sont d’ailleurs parus.

    Dans ce livre, Silvia Federici traite de l’histoire dite de « l’accumulation primitive » (en gros fin XVè siècle jusqu’à fin XVIIIè) pour, tout à la fois, faire apparaître ses effets sur les classes populaires, en premier lieu les paysans, les dynamiques de conflits, en intégrant non seulement en détail l’histoire des femmes issues de ces classes, mais aussi la réorganisation complète du statut des femmes à travers un procès d’asservissement et d’enfermement dans la famille moderne, afin de produire et reproduire la force de travail.

    #histoire #féminisme

  • A lire : un extrait de « L’Amérique de John Locke » de Matthieu Renault
    http://www.contretemps.eu/lectures/lire-extrait-lam%C3%A9rique-john-locke-matthieu-renault

    De nombreux travaux de recherche ont révélé l’incorporation des «  savoirs européens  » (anthropologie, géographie, histoire, etc.) au sein des projets coloniaux, allant jusqu’à la constitution d’authentiques sciences coloniales, lesquelles ont rendu possible la cartographie des territoires occupés, le gouvernement des populations indigènes, le classement des peuples et le rejet des «  races  » non-européennes dans l’infériorité, etc. Mais rendre compte de la formation d’une géopolitique (coloniale) de la connaissance exige d’aller au-delà de cette seule perspective critique pour interroger les relations de réciprocité qui ont uni, et unissent encore sous bien des aspects, une certaine configuration géopolitique internationale (post)coloniale d’un côté et, de l’autre, la structure intime et les frontières géo-épistémiques de tout un ensemble de savoirs, y compris lorsque ceux-ci paraissent à première vue tout à fait étrangers au problème colonial. Afin de mener cette tâche à bien, il faut en revenir à la construction même de l’ordre européocentrique global, en tant qu’ordre duel, (géo)politique et épistémique, en deçà du colonialisme des xixe et xxe siècles qui a jusqu’à présent retenu l’essentiel de l’attention. C’est cet effort que nous nous proposons d’engager en nous centrant sur un moment clé de cette fondation, la fin du xviie siècle, et sur celui qui en est, nous espérons parvenir à en convaincre le lecteur, l’un des tout principaux artisans, le philosophe anglais John Locke.

    #colonisation #esclavage #philosophie

  • Sur le « Capital » de Piketty
    http://www.contretemps.eu/lectures/sur-capital-piketty

    David Harvey vient de publier Seventeen Contradictions and the End of Capitalism (Profile Press et Oxford University Press). Dans le texte ci-dessous, initialement paru en anglais sur son blog, il propose un compte rendu critique du livre de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle. Source : Contretemps

  • La construction du « problème musulman »
    http://www.contretemps.eu/lectures/lire-chapitre-islamophobie-abdellali-hajjat-marwan-mohammed

    Les connaissances sur l’islam produites par différents acteurs appellent généralement une action politique pour « résoudre » le « problème musulman ». En ce sens, les conditions de production des connaissances sur l’islam peuvent être déterminées par la « solution » envisagée, et cette « solution » peut varier considérablement en fonction du diagnostic que l’on fait de la réalité sociale. Les mythes propagés par les experts sécuritaires et certains intellectuels médiatiques s’accompagnent souvent d’appels au durcissement de la politique migratoire, à l’expulsion massive, à la déchéance de la nationalité voire, pour certains d’entre eux, à la violence physique contre les musulmans. (...) Source : (...)

  • Juliette Volcler, Le son comme arme. Rencontre et bonnes feuilles
    http://www.contretemps.eu/lectures/juliette-volcler-son-comme-arme-rencontre-bonnes-feuilles

    « Que signifie le développement, dans la période contemporaine, de l’usage du son comme moyen de contrôle et de répression ? L’inventaire achevé, on voit que la recherche est déjà vieille de plus d’un demi-siècle, qu’elle a été laborieuse et qu’elle n’a accouché, au bout de longues années et de ronflants espoirs, que de quelques dispositifs et pratiques bien précis. Mais on n’en assiste pas moins aujourd’hui à une présence de plus en plus marquée de technologies sonores dissuasives dans l’espace public. Le phénomène est récent et le débat qu’il occasionne reste pour l’instant cantonné à quelques milieux restreints – on ne saurait donc ici qu’en esquisser une première analyse. »

    Une liste détaillée de la documentation employée est disponible en PDF, vous y trouverez notamment les liens vers bon nombre d’articles ou de documents déclassifiés directement consultables sur Internet : http://www.intempestive.net/IMG/pdf/Son_comme_arme_Biblio.pdf

    http://youtu.be/G4g2Zjolsa0

    #son #guerre #contrôle #répression #pouvoir #arme

  • De l’affinité naturelle entre néo-conservatisme et néo-libéralisme

    "Si l’État néolibéral est intrinsèquement instable, qu’est-ce qui pourrait le remplacer ? Aux États-Unis, le néo-conservatisme entend clairement apporter des réponses à cette question. Réfléchissant à l’histoire récente de la Chine, Wang suggère également que, au niveau théorique, le « néo-autoritarisme », le « néo-conservatisme », le « libéralisme classique », le fondamentalisme du marché, la modernisation nationale (…) : tous ces discours entretiennent, d’une manière ou d’une autre, une relation étroite avec la constitution du néolibéralisme. Le fait que ces expressions se soient successivement substituées les unes aux autres (et même qu’elles soient mutuellement contradictoires) donne à voir les transformations de la structure du pouvoir, aussi bien dans la Chine contemporaine que dans le monde contemporain en général.

    Il reste à voir si cela débouchera sur une reconfiguration plus générale des structures de gouvernance à travers le monde. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de noter l’apparente convergence entre la néolibéralisation d’États autoritaires comme la Chine ou Singapour et l’autoritarisme croissant qui se manifeste dans des États néolibéraux comme les États-Unis et la Grande-Bretagne. Que l’on songe à la manière dont ont évolué, au États-Unis, les réponses apportées à l’instabilité intrinsèque de l’État néolibéral.

    Comme les néolibéraux qui les ont précédé, c’est au sein des universités que les « néo-cons » ont longtemps cultivé leurs idées sur l’ordre social (Léo Strauss, à l’université de Chicago, jouissait d’une influence significative), mais aussi dans des think tanks généreusement dotés ou encore dans des publications influentes (comme Commentary). Les néo-conservateurs américains défendent le pouvoir des milieux d’affaires, l’initiative privée et la restauration du pouvoir de classe. Aussi le néo-conservatisme est-il parfaitement en phase avec le programme néolibéral fondé sur le gouvernement des élites, la défiance à l’égard de la démocratie et la garantie de la liberté des marchés. Il s’écarte toutefois des principes du néolibéralisme pur sur deux points fondamentaux : premièrement, il prône l’ordre comme réponse au chaos des intérêts individuels ; deuxièmement, il fait de la moralité le ciment nécessaire pour maintenir l’intégrité du corps politique face aux dangers extérieurs et intérieurs.

    Par cette exigence d’ordre, le néo-conservatisme s’inscrit dans le prolongement du néolibéralisme, dont il dévoile le caractère autoritaire. Mais il avance aussi des réponses qui lui sont propres à l’une des contradictions centrales du néolibéralisme. Si, comme l’a dit Thatcher, il n’y a « pas de société mais seulement des individus », alors le chaos des intérêts individuels pourrait très bien finir par l’emporter sur l’ordre. L’anarchie du marché, de la concurrence et d’un individualisme débridé (espoirs, désirs, inquiétudes et peurs individuels ; choix de styles de vie, d’habitudes et d’orientations sexuelles ; modes d’expression de soi et comportement avec les autres) crée une situation de plus en plus ingouvernable, qui pourrait conduire à la rupture de tous les liens de solidarité, voire à l’anarchie et au nihilisme.

    Dans ces conditions, un certain degré de coercition apparaît nécessaire pour restaurer l’ordre. Les néo-conservateurs voient dans la militarisation un antidote au chaos des intérêts individuels et sont particulièrement enclins à souligner les menaces, réelles ou imaginaires, qui pèsent sur l’intégrité et la stabilité de la nation. Aux États-Unis, cela revient à laisser libre cours à ce que Hofstadter appelle « le style paranoïaque de la politique américaine », qui présente une nation assiégée, menacée par des ennemis intérieurs et extérieurs. Ce style de politique a une longue histoire aux États-Unis. Le néo-conservatisme n’est pas nouveau, et depuis la Deuxième Guerre mondiale il a trouvé refuge au sein d’un puissant complexe militaro-industriel qui a tout intérêt à la militarisation permanente. Mais avec la fin de la Guerre froide, qui pouvait bien menacer la sécurité des États-Unis ? L’Islam radical et la Chine sont alors apparus comme les deux principaux ennemis extérieurs, et les dissidents de l’intérieur (les Davidiens brûlés à Waco, les milices qui ont soutenu l’attentat à la bombe d’Oklahoma City, les émeutes qui ont suivi le passage à tabac de Rodney King à Los Angeles, et enfin les désordres qui ont éclaté à Seattle en 1999) ont fait l’objet d’une surveillance accrue. L’émergence bien réelle de la menace de l’islam radical au cours des années 1990, qui a atteint son apogée avec le 11 Septembre, est finalement apparue comme l’objet principal d’une guerre permanente contre « le terrorisme », qui exigeait, pour assurer la sécurité de la nation, une militarisation à la fois extérieure et intérieure. Si la menace révélée par les deux attentats contre le World Trade Center appelait bel et bien une réponse militaire ou policière, les néo-conservateurs, une fois au pouvoir, ont mis en œuvre une militarisation du pays et de sa politique étrangère que beaucoup jugeaient disproportionnée.

    Le néo-conservatisme a longtemps attendu son heure en coulisses. Ce mouvement hostile à la permissivité liée à l’essor de l’individualisme cherche à restaurer les valeurs morales pour en faire le centre de gravité du corps politique. Cette possibilité est, d’une certaine manière, déjà esquissée dans le cadre des théories néolibérales qui, « en mettant en question les fondements politiques des modèles interventionnistes de pilotage économique (…) ont réintégré dans l’économie des questions de morale, de justice et de pouvoir - du moins à leur manière ». Ce que font les néo-conservateurs, c’est modifier la « manière » dont de telles questions sont débattues. Leur intention est de contrer les effets dissolvants du chaos des intérêts individuels que le néolibéralisme produit immanquablement. Ils ne s’écartent nullement du programme néolibéral de construction ou de restauration du pouvoir de la classe dominante. Mais ils cherchent à assurer une légitimité à ce pouvoir et à exercer un contrôle social qui passerait par la création d’un climat consensuel autour d’un ensemble cohérent de valeurs morales. Cela soulève immédiatement la question suivante : quelles valeurs morales doivent prévaloir ? Il serait tout à fait possible, par exemple, d’en appeler au système libéral des droits de l’homme, puisque, après tout, comme l’affirme Mary Kaldor, le militantisme en faveur des droits de l’homme vise « non seulement l’intervention pour défendre les droits humains, mais aussi la création d’une communauté morale ». Aux États-Unis, les doctrines de l’« exceptionnalisme » et la longue tradition de combat pour les droits ont donné naissance à des mouvements moraux mobilisés autour de questions comme les droits civiques, la faim dans le monde et la philanthropie, mais aussi à un fanatisme missionnaire.

    Toutefois, les valeurs morales qui sont désormais centrales pour les néo-conservateurs doivent être comprises comme des produits de la coalition particulière constituée dans les années 1970, entre, d’une part, l’élite sociale et les milieux d’affaires soucieux de restaurer leur pouvoir de classe, et, d’autre part, la base électorale gagnée au sein de la « majorité morale » d’une classe ouvrière blanche mécontente. Les valeurs morales touchaient au nationalisme culturel, à la droiture morale, au christianisme (de type évangélique), aux valeurs familiales et au droit à la vie, en profonde opposition aux nouveaux mouvements sociaux comme le féminisme, la défense des droits des gays, la discrimination positive et l’écologie. Sous Reagan, cette alliance était essentiellement d’ordre tactique, mais le désordre intérieur des années Clinton a propulsé le thème des valeurs morales en tête du programme républicain de George Bush fils. Il forme aujourd’hui le noyau du programme moral du mouvement néo-conservateur.

    On aurait tort de voir dans ce tournant néo-conservateur une exception américaine, même s’il l’est sous certains aspects. L’affirmation des valeurs morales repose en grande partie sur les idéaux de la nation américaine - la religion, l’histoire, la tradition culturelle, etc. -, des idéaux qui ne sont nullement l’apanage des États-Unis. Cela nous ramène à l’un des aspects les plus troublants de la néolibéralisation : la curieuse relation qu’y entretiennent l’État et la nation. En principe, la théorie néolibérale ne voit pas la nation d’un bon œil, y compris lorsqu’elle prône un État fort. Pour que le néolibéralisme s’épanouisse, il faut couper le cordon ombilical qui, dans le libéralisme intégré, rattache l’État à la nation. C’était particulièrement vrai dans des États qui, comme le Mexique ou la France, avaient une forme corporatiste. Le Partido Revolucionario Institucional au Mexique a eu longtemps pour mot d’ordre l’unité de l’État et de la nation, mais cette unité s’est défaite peu à peu, au point qu’avec la néolibéralisation conduite dans les années 1990, une bonne partie de la nation s’est retournée contre l’État. Le nationalisme est, depuis longtemps, une caractéristique de l’économie mondiale et il eût été bien étrange qu’il disparaisse sans laisser de trace à la suite des réformes néolibérales ; en réalité, il a connu un certain regain, précisément en réaction au processus de néolibéralisation. L’essor de partis fascistes d’extrême droite, qui traduit un fort sentiment anti-immigration en Europe, en est un bon exemple. Plus affligeant encore est le nationalisme ethnique qui a surgi à la suite de l’effondrement économique de l’Indonésie et qui a abouti à une agression brutale contre la minorité chinoise.

    Mais, comme nous l’avons vu, l’État néolibéral a besoin pour survivre d’un certain type de nationalisme. Contraint de devenir un acteur compétitif sur le marché mondial, cherchant à établir le climat le plus favorable aux affaires, il mobilise le nationalisme pour parvenir à ses fins. La concurrence produit d’éphémères gagnants et perdants dans la lutte globale pour conquérir la meilleure position, ce qui peut être pour un pays une source de fierté ou d’examen de conscience. Le nationalisme dans les compétitions sportives internationales en est un signe. En Chine, l’appel au sentiment national pour procurer à l’État une bonne position (sinon une hégémonie) dans l’économie mondiale est clairement assumé. Le nationalisme est également répandu en Corée du Sud et au Japon, deux pays où il constitue sans doute un antidote à la dissolution des anciens liens de solidarité sociale sous l’impact du néolibéralisme. De puissants courants de nationalisme culturel s’agitent dans les vieux États-nations (comme la France) aujourd’hui réunis dans l’Union Européenne. La religion et le nationalisme culturel ont fourni au Parti nationaliste hindou l’assise morale qui lui a permis de développer des politiques néolibérales en Inde ces dernières années. L’invocation des vertus morales dans la révolution iranienne et le tournant autoritaire qui s’en est suivi n’ont pas conduit à un abandon total des pratiques de marché dans le pays, alors même que la révolution s’était attaquée à la décadence de l’individualisme débridé du marché. C’est une impulsion similaire qui sous-tend le vieux sentiment de supériorité morale qui imprègne des pays comme Singapour ou le Japon, par rapport à ce qu’ils considèrent comme l’individualisme « décadent » et le multiculturalisme invertébré des États-Unis. Le cas de Singapour est particulièrement instructif. Singapour a combiné le néolibéralisme en matière de marché avec un pouvoir d’État coercitif et autoritaire draconien, tout en invoquant des formes de solidarité morale fondées sur les idéaux nationalistes d’une île assiégée (après son exclusion de la fédération de Malaisie), les valeurs confucéennes et, plus récemment, une éthique cosmopolite très particulière, adaptée à sa position actuelle dans le commerce international. Le cas britannique est lui aussi particulièrement intéressant. Margaret Thatcher, avec la guerre des Malouines et la posture d’opposition qu’elle a maintenu face à l’Europe, invoquait le sentiment nationaliste à l’appui de son projet néolibéral – mais elle défendait en réalité l’Angleterre et Saint George, non le Royaume-Uni, ce qui lui valut l’hostilité de l’Écosse et du Pays de Galles.

    Clairement, si le flirt du néolibéralisme avec un certain type de nationalisme constitue un danger, les noces sauvages du néo-conservatisme avec une mission morale nationale représentent une menace bien plus grande. La perspective de voir de nombreux États, tous prêts à recourir à des pratiques coercitives draconiennes, et chacun adhérant à des valeurs morales supposées supérieures, se livrer une concurrence féroce sur la scène mondiale, n’a rien de rassurant. Ce qui apparaît comme une solution aux contradictions du néolibéralisme pourrait bien devenir un problème. La dissémination d’un pouvoir néo-conservateur, voire carrément autoritaire (du type de celui qu’exerce Vladimir Poutine en Russie, et que le Parti Communiste exerce en Chine), même enraciné dans des formations sociales très différentes, souligne les risques de basculement dans des nationalismes rivaux qui pourraient entraîner des guerres. Si une quelconque nécessité est ici à l’oeuvre, elle relève davantage du tournant néo-conservateur que d’une quelconque « vérité éternelle » des différences nationales. Pour éviter les catastrophes, il faut donc rejeter la solution apportée par le néo-conservatisme aux contradictions du néolibéralisme. "

    David Harvey

    http://www.contretemps.eu/lectures/lire-extrait-br%C3%A8ve-histoire-n%C3%A9olib%C3%A9ralisme-david-harvey

  • La force géologique du capitalisme | Contretemps
    http://www.contretemps.eu/lectures/force-g%C3%A9ologique-capitalisme-0#footnote15_tpnlo7g

    À propos de l’ouvrage de Christophe Bonneuil & Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Éditions du Seuil, collection « Anthropocène Seuil », octobre 2013, 304 pages.

    L’objectif des auteurs via cet ouvrage est double. Il s’agit tout d’abord de tirer un bilan de ce que nous dit l’entrée dans l’Anthropocène. Il y a en premier lieu le constat écologique inquiétant que nous connaissons, et que les auteurs prennent le temps de développer dans leur premier chapitre. Il y a ensuite les remises en cause que cela implique dans nos cadres de pensée : la notion d’Anthropocène bouleverse en effet la conception classique (ou « moderne » au sens de Bruno Latour3) des rapports entre société et nature. Ceux-ci passent d’un rapport d’externalité à une conception inclusive : « l’idée d’Anthropocène annule la coupure entre nature et culture, entre histoire humaine et histoire de la vie et de la Terre » (p. 36).

    Mais au delà du constat alarmant et des réflexions philosophiques, ce livre propose avant tout une lecture critique du récit qui est fait de l’Anthropocène par ses principaux penseurs. Pour les auteurs, « la question est tout sauf théorique car chaque récit d’un ’’ comment en sommes-nous arrivés là ? ’’ constitue bien sûr la lorgnette par laquelle s’envisage le ’’ que faire maintenant ? ’’ » (p. 11). Bonneuil et Fressoz estiment que le récit officiel de l’Anthropocène – l’humanité aurait inconsciemment dégradé son environnement pendant près de deux siècles, et serait enfin entrée, depuis les années 2000 et grâce aux sciences du système Terre, dans une phase de réflexivité environnementale – est ni plus ni moins qu’« une fable » (p. 11). Cette fable est par ailleurs dépolitisante, car elle déresponsabilise les acteurs clés des dégradations environnementales (les remplaçant par le « nous » inclusif de l’humanité) ; et elle est de plus fortement démobilisatrice, car elle abandonne la question des politiques environnementales aux mains des experts scientifiques du climat et de la Terre, seuls à même de nous éclairer sur notre condition et notre propre émancipation...

    Il s’agit donc de remettre en cause ce récit officiel et prétendument apolitique de l’Anthropocène, et de répondre à la question : « quels récits historiques [alternatifs] pouvons-nous donner du dernier quart de millénaire qui puissent nous aider à vivre l’Anthropocène lucidement, respectueusement et équitablement ? » (p. 13). Après une critique de la lecture historique actuelle de ceux qu’ils dénomment « anthropocénologues », les auteurs, eux-mêmes anthropocénologues avertis, proposent donc cinq récits alternatifs et de ce que pourrait être une histoire repolitisée de l’Anthropocène. Ce faisant, Bonneuil et Fressoz souhaitent « invite[r] à reprendre politiquement la main sur des institutions, des élites sociales, des systèmes symboliques et matériels puissants qui nous ont fait basculer dans l’Anthropocène : les appareils militaires, le système de désir consumériste et son infrastructure, les écarts de revenus et de richesses, les majors énergétiques et les intérêts financiers de la mondialisation, les appareils technoscientifiques lorsqu’ils travaillent dans des logiques marchandes ou qu’ils font taire les critiques alternatives » (p. 271-272).

    #Anthropocène

  • À lire : Introduction à « La #réification. Histoire et actualité d’un concept critique » | Contretemps
    http://www.contretemps.eu/lectures/à-lire-introduction-réification-histoire-actualité-concept-critique

    la réification désigne d’une manière générale « le fait qu’un rapport, une relation entre personnes prend le caractère d’une chose ».1 Cette image d’un devenir ou d’un apparaître « chose » de relations humaines ne doit cependant pas être comprise en un sens littéral : elle renvoie à l’analyse de la réduction des individus et des rapports sociaux à de simples fonctions de la reproduction sociale et de l’exploitation dans les sociétés capitalistes, ainsi qu’à la domination qu’y exercent la marchandise, la division du travail, le droit formel, l’État administré et bureaucratique, sur l’activité sociale et les formes de vie. Le concept de réification – qu’on l’interprète en termes de chosification, d’instrumentalisation ou de rationalisation – peut dès lors servir à critiquer les formes contemporaines de la marchandisation et de la déshumanisation des rapports sociaux et de la fétichisation du rapport aux produits du travail, de la pensée et de la culture.

  • Stuart Hall : Entretien avec Mark Alizart - Centre Pompidou

    http://www.centrepompidou.fr/cpv/ressource.action?param.id=FR_R-1db2521ad1fd8b35be4a6339bdf2f82e&param

    « Stuart Hall, parangon la nouvelle gauche britannique, vient de nous quitter à l’âge de 82 ans. Longtemps inconnu en France, ses travaux ont gagné en audience notamment à la suite de l’effort de traduction réalisé par les éditions Amsterdam à partir de 2007. Hall a pourtant joué un rôle pionnier, tant d’un point de vue théorique que politique, dans l’histoire du marxisme anglophone.
    Dès la fin des années 1950, il se lance dans le projet qui verra naître, en 1960, la New Left Review. Il contribue ainsi à l’élaboration d’un espace de débat et de confrontation théorique marxiste, dont la résilience et la richesse n’ont jamais fait défaut jusqu’à aujourd’hui. En 1968, Stuart Hall prend la direction du Center for Contemporary Cultural Studies de Birmingham. Son programme de recherche propulse alors une génération de jeunes marxistes autour d’une problématique neuve et originale, associant la sociologie des médias et de la culture, l’analyse politique néo-gramscienne et une méthodologie inspirée des meilleures productions de l’althussérisme français (Louis Althusser et Nicos Poulantzas en particulier).

    Loin de toute affiliation dogmatique, Hall développe un cadre théorique nouveau pour aborder la question raciale et le racisme des années 1970, afin de saisir les nouveaux phénomènes à l’œuvre dans la progression des droites radicales et des mouvements anti-immigration en Grande-Bretagne. Il propose une théorisation inédite de l’idéologie, saisie à la fois comme expérience pratique, modalité à travers laquelle la classe est habitée, co-construite, investie par les agents sociaux, mais aussi comme ciment des rapports sociaux, reflétant ces derniers tout en les légitimant, leur donnant une apparence d’éternité.

    Fidèle à un héritage néo-gramscien, Hall a toujours été travaillé par la question politique et stratégique. Au début des années 1980, armé des concepts et des outils théoriques qu’il a lui-même forgés dans la décennie précédente, il produit une intervention décisive dans les colonnes de Marxism Today, à l’époque revue du Parti communiste de Grande-Bretagne, dans laquelle ont écrits d’autres figures comme Eric Hobsbawm. Dans des textes qui feront date, il élabore la notion de thatchérisme, enjoignant la gauche radicale à comprendre la nouveauté du phénomène Thatcher, son originalité par delà les stratégies classiques du parti conservateur et des classes dominantes. Par là, il assumait une rupture avec la gauche du parti travailliste, à laquelle il reprochait de demeurer impuissante face à l’ampleur du thatchérisme et à l’incapacité du mouvement ouvrier à apporter une réponse syndicale classique aux offensives néolibérales. Cette prise de distance polémique lui a été beaucoup reprochée, parfois pour le meilleur quand elle a suscité des débats stratégiques sur les perspectives du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne, et pour le pire quand les commentateurs ont voulu faire injustement de Hall un précurseur du New Labour et du blairisme.

    Si Stuart Hall a pu développer un cadre d’analyse théorique en dissonance avec le marxisme, introduisant une méthodologie pluraliste que d’aucuns qualifieront de postmarxiste, son travail laissera surtout la trace d’une recherche menée sur le long terme autour d’objets délaissés par le marxisme classique : la communication médiatique dans sa matérialité et son économie, la culture populaire comme terrain de la luttes d’hégémonies, la race et l’ethnicité en tant que formations sociales semi-autonomes et historiquement spécifiées. »

    http://www.contretemps.eu/lectures/stuart-hall-%C2%AB%C2%A0pour-ceux-qui-en-ont-d%C3%A9sir-tout-reste-accom

    #Stuart_Hall

  • Stuart Hall : « Pour ceux qui en ont le désir, tout reste à accomplir »
    http://www.contretemps.eu/lectures/stuart-hall-%C2%AB%C2%A0pour-ceux-qui-en-ont-d%C3%A9sir-tout-reste-accom

    Stuart Hall, parangon la nouvelle gauche britannique, vient de nous quitter à l’âge de 82 ans. Longtemps inconnu en France, ses travaux ont gagné en audience notamment à la suite de l’effort de traduction réalisé par les éditions Amsterdam à partir de 2007. Hall a pourtant joué un rôle pionnier, tant d’un point de vue théorique que politique, dans l’histoire du marxisme anglophone. Dès la fin des années 1950, il se lance dans le projet qui verra naître, en 1960, la New Left Review. Il contribue ainsi à l’élaboration d’un espace de débat et de confrontation théorique marxiste, dont la résilience et la richesse n’ont jamais fait défaut jusqu’à aujourd’hui. En 1968, Stuart Hall prend la direction du Center for Contemporary Cultural Studies de Birmingham. Son programme de recherche propulse alors une (...)

  • Racisme et articulation

    « Peut-être est-il effectivement impossible d’expliquer la race dans les seuls termes des rapports économiques, mais il est aussi fallacieux d’expliquer les structures raciales sans prendre en compte le cadre spécifique des rapports économiques dans lesquels ces structures prennent place. À moins d’attribuer à la race un caractère unique, unifié et transhistorique - de telle sorte que, quels que soient le lieu ou l’époque, elle manifeste toujours les mêmes caractéristiques autonome ce que l’on pourrait peut-être expliquer par une sorte de théorie générale des préjugés dans la nature humaine (argument essentialiste extrêmement classique) -, il faut accepter d’affronter la spécificité historique de la race dans le monde moderne. Nous sommes alors bien obliger d’admettre que les rapports de race sont directement liés aux processus économiques : difficile d’oublier que sont passées par là la conquête, la colonisation et la domination commerciale, ou bien que se déploient aujourd’hui les « échanges inégaux » qui caractérisent dans l’économie mondiale les relations qu’entretiennent les régions métropolitaines développées et les régions satellites « sous-développées ». Le problème ici, n’est donc pas de savoir si la prise en compte des structures économiques est pertinente pour la compréhension des divisions raciales, mais de comprendre la manière dont ces deux réalités sont théoriquement connectées. »

    « Principe de spécificité historique : il ne nous faut pas traiter le racisme comme une caractéristique générale des sociétés humaines, mais le considérer à chaque fois dans sa spécificité historique. Il nous faut partir de l’hypothèse de la différence et de la spécificité plutôt que de celle d’une «  structure  » unique, transhistorique et universelle du racisme. »

    « La question n’est pas de savoir si l’homme-en-général perçoit distinctement les groupes dotés de caractéristiques raciales ou ethniques différentes, mais bien plutôt de comprendre quelles sont les conditions spécifiques qui rendent cette forme de distinction socialement pertinente et historiquement active. Qu’est-ce qui confère son effectivité, en tant que force matérielle concrète, à cette potentialité humaine abstraite  ? »

    « Il faut comprendre le racisme comme un ensemble de pratiques économiques, politiques et idéologiques d’un genre particulier et concrètement articulé à d’autres pratiques au sein d’une formation sociale donnée. Ces pratiques attribuent une position aux différents groupes sociaux conformément aux structures élémentaires de la société  ; elles fixent et attribuent ces positions via des pratiques sociales  ; et, enfin, elles légitiment les positions qu’elles ont ainsi attribuées. En un mot, ce sont des pratiques qui garantissent l’hégémonie d’un groupe dominant sur une série de groupes subordonnés, mais de manière à ce qu’il domine l’ensemble de la formation sociale sous une forme favorable au développement de sa base économique productive sur le long terme. »

    « Au niveau économique, il est clair que l’on doit accorder à la race sa propre effectivité, une effectivité «  relativement autonome  ». Cela ne signifie pas que le niveau économique serait suffisant pour fonder une explication de la manière dont ces relations fonctionnent concrètement. Il est nécessaire de comprendre la manière dont les différents groupes raciaux et ethniques ont été politiquement insérés, ainsi que les relations entre ces différents groupes qui ont eu tendance à transformer, éroder, ou au contraire préserver ces distinctions à travers le temps – non seulement comme des traces ou des résidus des modes précédents, mais également comme des principes actifs et structurants de l’organisation actuelle de la société. Les catégories raciales sont incapables à elles seules de rendre compte de ce phénomène. »

    « Le racisme n’est pas seulement un problème pour les Noirs qui en font les frais, ni ne concerne seulement les sections de la classe ouvrière blanche et les organisations souillées par son empreinte. Il ne peut pas non plus être surmonté tel un virus qui infecterait le corps social, en lui injectant une dose massive de libéralisme politique. Le capital reproduit la classe comme un tout, y compris ses contradictions internes – comme un tout structuré par la race. Il domine en partie ces classes divisées grâce à ces divisions internes dont le racisme est l’un des effets. Il contient et désamorce les institutions de représentation des classes, en les neutralisant, c’est-à-dire en les confinant à des stratégies et à des luttes axées sur la race et en les rendant incapables de surmonter les barrières raciales. Le racisme rend le capital capable de briser toute tentative de construire des moyens alternatifs de représentation qui pourraient être capables de représenter plus adéquatement la classe en tant que tout – contre le capitalisme, et contre le racisme. Les luttes sectorielles articulées par la race continuent au contraire d’apparaître comme les seules luttes défensives possibles pour une classe divisée en elle-même, dans son face-à-face avec le capital. Ces luttes sont donc également le terrain à partir duquel se déploie l’hégémonie du capital. Je précise qu’il ne s’agit absolument pas de dire que le racisme serait simplement le produit d’un tour de passe-passe idéologique. »

    «   Nous devons commencer à enquêter sur les diverses manières dont les idéologies racistes ont été construites et rendues opératoires dans différentes conditions historiques  : les racismes du capitalisme marchand et de l’esclavage dans lequel les esclaves sont des marchandises  ; celui des conquêtes et du colonialisme  ; celui du commerce et du «  haut impérialisme  », de l’«  impérialisme populaire  » et du prétendu «  post-impérialisme  ». Dans chaque cas, et pour chaque formation sociale spécifique, le racisme en tant que configuration idéologique a été reconstitué par les relations de la classe dominante et profondément retravaillé. »

    « Si le racisme se révèle particulièrement puissant et son inscription dans la conscience populaire particulièrement profonde, c’est que, grâce aux caractéristiques comme la couleur de peau, les origines ethniques ou les origines géographiques, il a «  découvert  » ce que les autres idéologies ont été obligées de construire  : un fondement en apparence «  naturel  » et universel, inscrit dans la nature même. Mais, il a beau être apparemment fondé sur un donné biologique, le racisme a des effets sur les autres formations idéologiques d’une société, et son développement entraîne la transformation de l’ensemble du champ idéologique sur lequel il opère. »

    « Les racismes déshistoricisent, c’est-à-dire traduisent des structures historiquement spécifiques dans la langue intemporelle de la «  nature  »  ; ils décomposent la classe en individus pour les recomposer en ces nouveaux «  sujets  » idéologiques d’une grande cohérence  : traduisent les «  classes  » en «  Noirs  » et «  Blancs  », les groupes économiques en «  peuples  », et les forces matérielles en «  races  ». Ce processus constitue de nouveaux «  sujets historiques  » des discours idéologiques – c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà vu, crée de nouvelles structures d’interpellation. Ce processus produit les «  sujets racistes  » naturalisés, en tant qu’ils sont les «  auteurs  » d’une forme spontanée de perception raciale. »

    « Pourtant les processus (de racialisation ) ne sont eux-mêmes jamais indemnes de la lutte des classes idéologique. En effet, les interpellations racistes peuvent elles-mêmes devenir les sites et les enjeux de la lutte idéologique, elles peuvent être occupées et redéfinies pour devenir les formes élémentaires d’une formation d’opposition – là où, par exemple, les inversions symboliques du «  black power  » contestent violemment le «  racisme blanc  ». Les idéologies du racisme restent donc des structures contradictoires qui peuvent à la fois fonctionner comme les véhicules de l’imposition des idéologies dominantes et comme les formes élémentaires de cultures de la résistance. Toute tentative de circonscrire les politiques et les idéologies du racisme qui omettrait ces luttes et ces contradictions est condamnée, si elle veut donner l’illusion de son adéquation, à embrasser un réductionnisme destructeur. »

    [Stuart Hall, "Race, articulation et sociétés structurées ’à dominante’"]

    http://www.contretemps.eu/lectures/lire-stuart-hall-race-articulation-soci%C3%A9t%C3%A9s-structur%C3%A9es-d

    #Stuart_Hall
    #Racisme
    #Race
    #Capitalisme
    #Marxisme

  • A propos de « Zomia. Ou l’art de ne pas être gouverné » de James C. Scott | Contretemps
    http://www.contretemps.eu/lectures/propos-zomia-lart-ne-pas-%C3%AAtre-gouvern%C3%A9-james-c-scott

    Finalement, pour éviter de présenter ces peuples comme les simples rebuts de l’histoire étatique, Scott reprend à son compte une idée bien enracinée dans la pensée anarchiste et libertaire et dans la philosophie politique qui va de Spinoza à Deleuze et au mouvements intellectuels actuels de la Multitude : il invite à interpréter l’autonomie des zomiens comme un choix ou une affirmation, active et délibérée, de refus de l’État. Ce refus trouverait son expression culturelle dans leurs rituels et sa manifestation politique dans les rébellions insurrectionnelles qui prennent la forme – classique pour les sociétés rurales – du prophétisme religieux (Chapitre 8. Prophètes du renouveau, p. 373 et ss.).

    #anthropologie_politique #lartdenepasetregouverne

  • « L’émancipation des travailleurs - une histoire de la Première Internationale » de Mathieu Léonard - La Fabrique Editions

    Plusieurs critiques et recensions à lire :
    Critique http://rh19.revues.org/4278

    Critique sur le site Contretemps http://www.contretemps.eu/lectures/recension-l%C3%A9mancipation-travailleurs-histoire-premi%C3%A8re-interna

    Entretien sur Article11 http://www.article11.info/?Mathieu-Leonard-la-Premiere

    #leonard #internationale #marx #bakounine #émancipation #travailleur #ouvrier #histoire #france

  • La fin du pacifisme, la seule issue est la violence : Günther Anders
    http://raumgegenzement.blogsport.de/2013/06/21/la-fin-du-pacifisme

    "Il n’est pas possible d’exercer une résistance efficace avec des méthodes gentilles, en offrant des myosotis aux policiers qui ne peuvent les accepter parce qu’ils ont les mains prises par leurs matraques. Il est tout aussi insuffisant, non : absurde, de jeûner pour obtenir la paix nucléaire. On n’obtient qu’un seul effet en jeûnant : on a faim. Peu importe à Reagan et au lobby nucléaire que nous ne mangions qu’un sandwich au jambon. Ce ne sont que des “happenings”. Aujourd’hui, nos prétendues actions politiques ressemblent d’une façon vraiment effrayante à ces apparences d’actions qui ont fait leur apparition dans les années 1960 […]. Avec ces actions, nous croyions avoir franchi la frontière de la simple théorie, mais nous n’étions en fait que des “acteurs” au sens théâtral. Nous faisions du théâtre par peur d’agir vraiment […]. Le théâtre et la non-violence sont des parents très proches."

    • #Günther-Anders #pacifisme #non-violence #violence #écologie #nucléaire #Gandhi

      « Ce que Gandhi a fait se résume-t-il à des happenings ? »

      « Du point de vue de l’histoire du monde, je crains bien que oui. Considérez-vous que Gandhi nu en train de tisser avec un métier manuel — une scène qui a été photographiée des millions de fois — soit autre chose qu’un happening comparable à ceux des briseurs de machines ? Il n’a réussi ni à empêcher le développement de l’industrie textile en Inde ni à toucher au terrible système des castes. Sérieusement, si Gandhi a appelé à résister sans violence, c’est “faute de mieux” […]. Voilà ce qu’il voulait dire : “Nous pouvons peut-être opposer quelque résistance même si ce faisant nous n’obtenons pas le pouvoir et, avec ce dernier, la puissance d’agir.” C’est dire que l’important pour lui, ce n’était pas la non-violence en tant que telle (comme seule méthode, seul principe ou seule fin moralement autorisés), mais l’éventualité très faible de pouvoir aussi opposer une résistance même si l’on n’a pas d’armes. Ce qui est fondamental chez lui, ce n’est pas le “sans” (“sans armes”) mais le “même si” (“même si l’on n’a pas d’armes”) »

    • En allemand, un même mot dit le pouvoir et la violence : #Gewalt.

      Anders se présente lui-même comme un « philosophe de la barbarie » (GJN, 17), de la barbarie du monde actuel : Auschwitz, Hiroshima et Tchernobyl

      Avec les mass media a vu le jour la figure de l’“ermite de masse” (OH, 121). Il est assis, isolé face à sa radio ou à son téléviseur et reçoit la même nourriture auditive ou visuelle que les autres. Il ne se rend pas compte que ce qu’il mange solitairement est l’aliment de millions d’autres personnes en même temps » (GJN, 31).

      #technocratie #déprimant #voiture #pollution #après_le_mur

    • Le réalisateur Hark Bohm, qui habitait à l’époque à trente cinq kilomètres de la centrale nucléaire de Stade, la première centrale nucléaire de la République Fédérale, a réagi ainsi aux propos d’Anders : « La légitime défense est nécessaire. Mais dois-je tuer le président du Land de Basse-Saxe ? Le plus haut magistrat de la ville de Stade ? Après Kennedy, il y a eu Johnson ; après Johnson, il y a eu Nixon. Je tiens le conseil de Monsieur Anders pour extrêmement dangereux […]. Avec sa recommandation, il fait le jeu de ce qu’il combat. Il légitime la terreur d’État » (GJN, 38).

      Je crains que ce soit Bohm qui ait raison. La question de la violence ne peut pas se poser comme ça, de manière artificielle, ce qui détermine sa possibilité c’est un véritable rapport de force. Sinon ce ne sont au mieux que gesticulations ridicules ou pires, comme le dit Bohm, parfaitement dangereuses.

    • Ouais enfin Anders n’a pas dit ça au hasard dans le vide, genre « jeune chien fou idéaliste ». Il a dit ça après avoir vu et étudié justement les rapports de forces écolo et socio des 50 années précédentes. Et il n’a pas dit ça pour le plaisir, lui-même ayant toujours été plutôt non-violent. Je soupçonne que ça lui ait même fait du mal de devoir faire ce constat... Faire de l’agit-prop, des « happenings », sittings, festif-machin-chose, ça ne change juste rien.

      Dans les années 70, un gros chantier de centrale nucléaire a démarré au Pays Basque. ETA s’est prononcé contre le nucléaire est a lancé des menaces. On ne cède pas au chantage. Début des années 80, ils ont enlevé l’ingénieur en chef du projet, et demandé le démontage de ce qui avait commencé. On ne cède pas au chantage. Ils ont exécuté leur otage et quelques autres. Le chantier a été annulé, est toujours en ruine aujourd’hui, et il n’a plus jamais été question de nucléaire dans cette région (pour l’instant). C’est triste, mais c’est un rapport de force.

      On trouvera certains articles rappelant l’histoire de la critique nucléaire en Europe dans les années 70 sur le site de PMO, par exemple celui là (le premier du site ! :D) : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1

    • Le pays basque était alors en guerre contre l’Etat franquiste, le peuple soutenait, c’était un vrai rapport de force. Une « perspective militante anticapitaliste », pour remployer ce terme en bois, ce n’est pas la même situation, ce n’est qu’une idée pour mobiliser, il me semble...

  • Vasant Kaiwar, « L’orient postcolonial »
    #livre (par @pguilli) | Contretemps
    http://www.contretemps.eu/lectures/propos-vasant-kaiwar-lorient-postcolonial-par-paul-guilibert

    La remarque vise à circonscrire ce que l’auteur nomme « #théorie_postcoloniale ». Le champ des études subalternes et postcoloniales recouvre des pratiques, des objets et des méthodes variés et hétérogènes. Cependant, comme il le précise lui-même, l’auteur « parle de postcolonial en référence aux programmes de développement et de justice distributive au cœur des préoccupations des deux premières générations de penseurs progressistes et de personnalités publiques à l’époque où prenait fin la colonisation formelle de ce qu’on avait coutume d’appeler le Tiers-monde ». Mais, aussi en référenceà une « manière de penser qui se détourne de l’économisme pour se concentrer sur l’eurocentrisme, la résistance à son universalisme prétentieux et vide, la différence ancrée dans l’autonomie culturelle et renvoyant à l’idée selon laquelle, lorsque la modernité arrive dans le Tiers-monde, elle prend des formes alternatives qui ne se limitent pas à répliquer ou imiter l’original. Cette insistance sur la question de la différence est au centre du projet de « provincialisation de l’Europe ». Il s’agit donc d’une manière de penser et de parler attentive aux pratiques et aux discours des colonisés et à leurs effets sur les catégories du savoir. La thèse centrale des théories postcoloniales est que les catégories de pensée élaborées en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles ne sont pas a priori valables dans des contextes culturels et historiques différents.

    #philosophie

  • A lire : Stuart Hall, « Race, articulation et sociétés structurées ’à dominante’ »(extrait)
    http://www.contretemps.eu/lectures/lire-stuart-hall-race-articulation-sociétés-structurées-dominanteextrait

    "Par conséquent, nous devons partir du travail historique concret qu’opère le racisme dans des conditions historiques spécifiques – c’est-à-dire qu’il faut comprendre le racisme comme un ensemble de pratiques économiques, politiques et idéologiques d’un genre particulier et concrètement articulé à d’autres pratiques au sein d’une formation sociale donnée. Ces pratiques attribuent une position aux différents groupes sociaux conformément aux structures élémentaires de la société  ; elles fixent et attribuent ces positions via des pratiques sociales  ; et, enfin, elles légitiment les positions qu’elles ont ainsi attribuées. En un mot, ce sont des pratiques qui garantissent l’hégémonie d’un groupe dominant sur une série de groupes subordonnés, mais de manière à ce qu’il domine l’ensemble de la formation sociale sous une forme favorable au développement de sa base économique productive sur le long terme. Bien que les aspects économiques soient évidemment cruciaux, cette forme d’hégémonie ne peut être comprise comme un simple processus de coercition économique. Le racisme, si actif à ce niveau – le «  noyau économique  » – que Gramsci considérait comme le premier à devoir être sécurisé, possède également des relations avec les autres instances – politiques, culturelles et idéologiques. Toujours est-il que, même formulé ainsi (c’est-à-dire d’une manière tout à fait juste), cette affirmation reste trop a priori. De quelle manière, précisément, ces mécanismes opèrent-ils  ? De quelles autres déterminations avons-nous besoin  ? En effet, il est clair que le racisme n’est pas présent dans toutes les formations capitalistes sous la même forme et au même degré. Il est clair aussi qu’il n’est pas nécessaire au fonctionnement concret de tous les capitalismes. Il s’agit donc de montrer pourquoi et comment le racisme s’est vu surdéterminé par – et articulé à – certains capitalismes à différents stades de leur développement. Nous ne pouvons définitivement pas admettre pour hypothèse que le racisme adopterait une seule et unique forme ou devrait nécessairement suivre une logique ou un chemin pavé de différentes étapes nécessaires.

    #Marxisme #Racisme #Esclavage # #travail #Capitalisme #Economie #Histoire

  • Appel à contribution : Colloque “Penser l’émancipation” | Théories, pratiques et conflits autour de l’#émancipation humaine

    Deuxième édition, Paris-Ouest, 19-22 février 2014 |
    http://sophiapol.hypotheses.org/12053

    Le site : http://www.penserlemancipation.net

    cc @shaber33 @prac_6 @pguilli @mona

    Chaque dimension du monde social, et des luttes qui le traversent, fait ainsi l’objet d’analyses renouvelées. A l’asservissement croissant du travail par le #capitalisme répondent des tentatives de réappropriation collective de l’activité et un retour de la #critique du salariat. La généralisation de la précarité, qui conduit au délitement des solidarités « traditionnelles », suppose ainsi de repenser la centralité du #travail, de l’#aliénation qu’il génère, mais aussi la place des acteurs-actrices qui luttent pour s’en émanciper. Face aux politiques racistes et à l’#islamophobie, de nouvelles dynamiques émergent dans les mouvements de l’immigration et des quartiers populaires, ainsi que dans le champ des études postcoloniales et décoloniales. Les transformations de l’exploitation du travail féminin à l’échelle mondiale, les formes renouvelées d’oppressions sexuelles, et toutes les expressions recomposées du #patriarcat, posent la question d’un agenda féministe, queer et LGBT pour le 21e siècle. L’urgence écologique suscite une réflexion globale pour comprendre les désordres systémiques et penser un métabolisme durable entre les sociétés humaines et la nature. La généralisation de politiques inégalitaires et autoritaires appelle la construction d’alliances radicalement démocratiques travaillant ensemble à redessiner les contours d’un horizon post-capitaliste.

    A cette fin, le retour en force de questions liées aux #communs – dans leurs dimensions historiques, environnementales, sociales, économiques, politiques, juridiques, culturelles, etc. – demande une attention particulière.

    Le site de la première édition avec les vidéos des interventions :
    http://www3.unil.ch/wpmu/ple/call-for-paper

    • #livre « Emancipation, les métamorphoses de la critique sociale » (introduction)
      http://www.contretemps.eu/lectures/lire-emancipation-m%C3%A9tamorphoses-critique-sociale-introduction

      Tjs le crew de Nanterre

      L’émancipation demeure au centre des préoccupations des citoyens et des luttes sociales actuelles, que ce soit dans les processus révolutionnaires récents dans le monde arabe, les mouvements Occupy ou Indignés, l’émergence de fronts syndicaux et politiques contre les politiques d’austérité de l’Union européenne, mais aussi dans les résistances locales et expériences alternatives dans l’espace public ou les quartiers. La diversité de ces luttes en multiplie les usages et la signification, ce dont témoigne également son réinvestissement comme référent majeur de la critique sociale. À la fois discours académiques et contestations citoyennes et militantes, les critiques sociales connaissent depuis une quinzaine d’années des transformations décisives et renouvellent leurs approches de l’exploitation, de la précarité, de la domination de genre, de classe, de race. Ces discours et pratiques multiples contribuent à redéfinir le contenu et l’horizon de l’émancipation. Cet ouvrage propose d’interroger ces métamorphoses de la critique sociale contemporaine, et leur portée pour les luttes politiques, les théories de la société et la question de l’émancipation sociale.

  • Un livre inestimable. A propos de J-M. Harribey, « La richesse, la valeur et l’inestimable » | Contretemps
    http://www.contretemps.eu/lectures/livre-inestimable-propos-j-m-harribey-richesse-valeur-linestimable

    La première contribution porte sur les rapports entre croissance et développement et s’articule avec les notions de valeur et de richesse « entrelacées » (p.363) : c’est un plaidoyer logiquement argumenté en faveur d’un calcul économique en valeurs d’usage.

    La deuxième contribution est un nouveau plaidoyer, cette fois en faveur de la reconnaissance du travail productif dans la sphère marchande. Il propose une réflexion approfondie sur la fonction de validation de la monnaie et sur la distinction entre sphère monétaire et sphère marchande. Il y a là un dépassement de l’analyse marxiste traditionnelle selon laquelle le salaire des travailleurs improductifs serait payé par une ponction sur la plus-value produite par les travailleurs productifs : « contrairement à l’opinion dominante, les services publics ne sont donc pas fournis à partir d’un prélèvement sur quelque chose de préexistant. Leur valeur monétaire, mais non marchande, n’est pas ponctionnée et détournée ; elle est produite (...) L’impôt n’est donc pas un prélèvement sur de la richesse déjà existante, c’est le prix socialisé d’une richesse supplémentaire » (p.389).

    La troisième contribution porte sur les biens publics, les biens collectifs et les biens communs. Cette terminologie variable montre le besoin d’une typologie rigoureuse qui est proposée à partir de trois dimensions : rivalité/non rivalité ; exclusion/non exclusion ; privé public6. Elle débouche sur une quatrième contribution qui examine les liens entre justice, gratuité et temps libre. Certains biens doivent rester gratuits, comme « la lumière du soleil et l’air ». D’autres ont un coût, comme « la santé, l’éducation et l’eau, quand il faut la purifier et l’acheminer » mais leur caractère non marchand doit être préservé, ce qui suppose une maîtrise collective sur les priorités sociales : « la cotisation versée par chacun lui donne droit à sa part de bien ou service dont la production est collectivement décidée et organisée, cette part étant déconnectée du montant de sa cotisation personnelle » (p.43

    #harribey #économie_néoclassique #économie_marxiste #critique_du_capitalisme

  • Un #livre inestimable. A propos de J-M. Harribey, « La richesse, la valeur et l’inestimable » | Contretemps
    http://www.contretemps.eu/lectures/livre-inestimable-propos-j-m-harribey-richesse-valeur-linestimable

    JMH montre que derrière la référence à la théorie de la #valeur, on trouve une question beaucoup plus concrète et légitime : d’où vient le #profit ? C’est d’ailleurs la question que se posaient les pères fondateurs de l’#économie_politique classique et qu’ils n’ont pas réussi à résoudre vraiment. Adam Smith, avec sa référence au « #travail commandé » ne sort pas de cette impasse : la valeur d’une #marchandise dépend du travail dépensé pour la produire, mais permet d’acheter une quantité de travail supérieure à sa valeur. David Ricardo n’a pas quant à lui réussi à sortir de cette autre contradiction : si la valeur d’une marchandise est proportionnelle au travail qu’elle contient, comment son #prix peut-il incorporer un profit proportionnel à l’ensemble du #capital engagé ?

  • Bonnes feuilles de « L’Etat, le pouvoir et le socialisme », de Nicos Poulantzas
    http://www.contretemps.eu/lectures/bonnes-feuilles-letat-pouvoir-socialisme-nicos-poulantzas

    On ne saurait imaginer condescendance de la postérité plus immense, plus injuste aussi, que dans le cas de Nicos Poulantzas. Encore faut-il s’empresser d’ajouter que cette condescendance ne concerne que la France. A l’étranger, dans le monde anglo-saxon, en Amérique latine, ou en Allemagne par exemple, Poulantzas est couramment considéré comme l’un des principaux théoriciens de l’État de la période récente1. De fait, on importe aujourd’hui en France des courants de pensée critique étrangers (...)