Constance de Polignac ou les aventures d’une princesse écolo

/Constance-de-Polignac-ou-les-aventures-

  • Contre Pierre Rabhi (et qu’Althusser repose en paix.)
    http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/120714/contre-pierre-rabhi-et-qualthusser-repose-en-paix

    Il a été déjà question de Pierre Rabhi plusieurs fois sur ce blog. Pour l’essentiel, à l’occasion d’une visite à sa ferme expérimentale pas loin de chez nous en Ardèche, au cours de laquelle on avait pu constater avec quelques copains de l’AFIS à quel point les méthodes agronomiques du bonhomme sont une sorte d’arnaque qui repose sur l’exploitation de main d’œuvre gratuite et de dons divers et variés, pour aboutir au final à un résultat absolument minable en termes de production, dont auraient honte même les plus incompétents des jardiniers amateurs (dans mon style)

    http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/280912/agroecologie-quand-bastamag-voit-ce-quil-croit

    http://afis-ardeche.blogspot.fr/2012/09/humanisme-notre-visite-chez-des.html#mor

    Je ne vais pas en rajouter ici sur la question proprement agronomique, que l’on peut considérer comme réglée : si on généralisait les illusions et l’incompétence qui règnent à la ferme du Mas de Beaulieu, il y aurait encore plus de sous-nutrition sur la planète que le capitalisme ne réussit déjà à en provoquer.

    Quand la journaliste l’interroge sur la question des inégalités, Rabhi brasse encore du vide avec des trucs du genre : « Contre les inégalités, il faut inventer de nouvelles politiques, inventives, locales. ». Oui, inventons des inventions, c’est ça qu’il faut faire, mais c’est bien sûr ! Qui pourrait ne pas être d’accord avec des solutions inventives, surtout si elles sont au niveau local, en plus ? Parce que le niveau local, c’est le bon niveau, c’est sûr, à l’heure où l’ensemble de la production est désormais mondialisée... A part ça, que nous dit Rabhi ? Qu’« il faut des règles éthiques et morales », que « Si une société est généreuse et vraiment préoccupée d’équité, elle résoudra le problème. », que « la société civile est un immense laboratoire d’utopies et d’expérimentations d’intérêt général. », que « nous appelons à l’insurrection des consciences », et que « L’écologie devrait être transversale. Elle concerne tout le monde, les arbres, les créatures, tout. ». Et bla bla bli et bla bla bla. Ça doit pas demander beaucoup d’efforts, d’aligner comme ça de telles platitude creuses [car oui, Rabhi arrive à rendre creux ce qui est pourtant plat, c’est en cela que c’est un être d’exception à mes yeux]

    Et surtout, en termes de critique du capitalisme et de perspectives politiques pour les exploités et les opprimés, le discours de Rabhi ne pisse pas plus loin que ce que n’importe quel pape moyen peut raconter dans un sermon qui ferait titrer aux journalistes des choses du genre « L’Eglise se place résolument aux côtés des pauvres ».

    Dans cette interview avec Jade Lingaard, jamais Rabhi ne prononce des mots comme « bourgeoisie », « classes sociales » ni même tout simplement « capitalisme ». Tout cela n’existe pas pour lui, il faut juste que chacun se serre un peu la ceinture et tout ira bien.

    D’ailleurs, en fait, pour être honnête, je crois à la réflexion que le Pape se préoccupe plus des inégalités sociales et des réalités du capitalisme que ne le fait Pierre Rabhi.

    Ce qui n’est pas très surprenant, parce qu’en fait Rabhi s’accommode très bien du capitalisme et du pouvoir de la bourgeoisie, ce qui doit expliquer pourquoi il est le « penseur » « radical » préféré des bourgeois et du show-bizz.

    Dans l’interview à Médipart, Rabhi nous dit :
    « L’argent, je ne le diabolise pas. On en a tous besoin, moi le premier. »
    Effectivement, on l’a vu dans la reportage de l’AFIS 07 à la ferme expérimentale des disciples de Rabhi : ils en ont besoin, d’argent, vu qu’ils ne produisent que très peu par eux-mêmes, malgré toute la main d’œuvre gratuite à leur disposition. Alors ils font payer les « stagiaires » qui viennent travailleur pour eux, et ils font appel aux dons. Et ce à une échelle semble-t-il très large. Parce que la sobriété heureuse de Rabhi, pour qu’elle puisse se répandre, il faut quand même que de riches mécènes plus heureux que sobres viennent lui donner un petit coup de pouce. Ainsi, comme les ventes des livres et des DVDs du gourou ne suffisent pas encore à mettre assez de beurre dans les épinards, il s’est créé une « fondation Pierre Rabhi » dont voici la liste des membres fondateurs ainsi que le comité exécutif :
    http://www.fondationpierrerabhi.org/fondateurs-et-structures-historiques.php

    Aux côté des éditions Actes Sud, on trouve donc d’abord Point Afriques Voyages et son PDG Maurice Freund. Oui oui, une agence de voyages qui organise des transports en avion [quelle horreur !!!!! Et le réchauffement climatique ? Et le repli sur le local ?] pour entre autres aller faire en Afrique des circuits en 4X4 [oh mon Dieu, pas le 4X4, non, pas ça !!!]

    Il y a aussi parmi les fondateurs Charles Kloboukoff, dont la « petite » entreprise résiste très bien à la crise, puisque Léa Nature surfe sur le créneau porteur des produits bio et qu’il est à la pointe du très classique processus de concentration du capital qui est actuellement à l’œuvre dans ce secteur florissant :
    http://www.agriculture-environnement.fr/dossiers,1/agriculture-biologique,54/la-concentration-dans-le-bio,940.html

    « Le 20 mai dernier, le géant du bio Léa nature a pris le contrôle total d’Ekibio, dont il détenait jusqu’alors 40% du capital. Désormais, le groupe de Charles Kloboukoff pèse donc plus de 200 millions d’euros et emploie près de 1000 personnes. Il devient ainsi l’un des leaders incontestés de la transformation des produits bio en France. (…). À l’horizon 2020, son futur holding, baptisé Groupe Léa Biodiversité (et qui réunira Léa Nature et Ekibio) devrait atteindre les 350 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une part à l’international de près de 10 %, notamment vers l’Asie et le continent américain. »

    Le local, on vous dit, le local.

    La sobriété heureuse, qu’on vous dit, visez petit pour être épanouis, qu’on vous dit.

    Mais il y a de aspects du message de Rabhi que son bailleur de fonds a bien enregistrés, il faut arrêter de faire du mauvais esprit :

    « Avec une croissance continue oscillant entre 10 et 30% par an depuis dix ans, le groupe affiche une augmentation de son chiffre d’affaires de 11 % pour 2013.

    Bref, Charles Kloboukoff n’est pas vraiment un adepte de la décroissance ! En tout cas, en ce qui concerne ses propres affaires. Car le discours n’est plus du tout le même lorsqu’il s’agit, par exemple, de l’Afrique. Selon lui, ce continent ne doit pas profiter du développement que l’on connaît en Occident. « Le monde occidental qui a colonisé ce continent porte une grande responsabilité dans les dérives modernistes que rencontrent les peuples africains. Nous avons tout fait pour les couper de leurs racines et les éloigner d’une vie simple et authentique. Nous avons introduit des méthodes du soi-disant développement qui ne sont pas les leurs, et ainsi suscité des tentations destructrices. L’Afrique aurait très bien pu se passer du consumérisme occidental ! », estime le businessman, qui souligne qu’« heureusement, beaucoup d’Africains vivent encore dans le détachement et la simplicité matérielle ». Autrement dit, dans la pauvreté et la misère.

    « Je suis convaincu que les produits vivants, qui se développent par eux-mêmes en puisant dans la nature les nutriments dont ils ont besoin, sont plus profitables à l’Homme que les produits sous perfusion d’intrants chimiques », déclare l’homme d’affaires. Pour lui, « ce qui nous manque le plus, c’est cette capacité à écouter la part d’irrationnel en nous. ».

    Eloge du naturel et de l’irrationnel et apologie de la pauvreté (pour les autres surtout), la pensée Rabhi n’est pas trahie par la croissance du chiffre d’affaire et l’absence de diabolisation de l’argent dont on a évidemment tous besoin, et soi-même le premier.

    Ensuite, parmi les piliers de la Fondation Pierre Rabhi, il y a fort logiquement François Lemarchand, le fondateur de la chaîne de magasins bobos Nature et Découvertes – qui a aussi par ailleurs sa propre Fondation à son nom, évidemment. Si Bill Gates en a une, il n’y a pas de raison qu’il n’en ait pas. La fortune personnelle de François Lemarchand était estimée à 45 millions d’euros en 2009 [Source : Wikipédia, article sur le bonhomme]. Sans doute François Lemarchand ne fait-il que s’efforcer d’appliquer le bon conseil que donne Rabhi dans son interview à Médiapart :

    « Souvent je rencontre des jeunes qui me demandent comment vivre dans la simplicité, avec un simple lopin de terre. Je leur réponds : « Commencez par devenir millionnaires ! » La terre est devenue tellement chère. Le foncier fait partie des sujets à repenser. »

    En attendant de « repenser le foncier » [encore une formule creuse] et de cultiver son petit lopin de terre, François Lemarchand est déjà devenu multimillionnaire. On verra après pour la suite du projet....

    A ses côtés pour soutenir l’ « insurrection des consciences » du prophète Rabhi, on trouve également Jacques Rocher, héritier du groupe de cosmétiques Yves Rocher, rien que ça. Mais attention, Jacques Rocher est un écolo, et donc il utilise le profit de l’exploitation de ses employés et de la vente de ses produits très au-dessus de leur valeur réelle pour faire planter des arbres. C’est pas pareil.

    Enfin, le tableau des mécènes Fondateurs ne serait pas complet sans une authentique princesse héritière apparentée à la famille des Grimaldi du Rocher, la ci-devant « Constance de Polignac ». Lisez dans La Croix le récit merveilleux de la rencontre fructueuse entre la « princesse écolo » et le pauvre agriculteur algérien, c’est digne des meilleurs papiers de Gala ou des plus belles histoires de la collection Harlequin :

    http://www.la-croix.com/Actualite/France/Constance-de-Polignac-ou-les-aventures-d-une-princesse-ecolo-2013-06-19-97

    Après, c’est sûr, dans le registre « La bourgeoise et le jardinier », on a le droit de préférer « L’amant de Lady Chatterley », quand même... Pour leur part, Rabhi et Constance de Polignac ont ensemble développé un projet de rénovation d’un domaine de la famille en Bretagne. Il faut préciser toutefois, par rapport au récit de La Croix, que, comme toujours, quand il est écrit des choses comme « Ils ont rénové », il faut comprendre qu’ils ont apporté le pognon et/ou leurs envies, et que concrètement ce sont les travailleurs employés qui ont vraiment rénové le domaine et créé la valeur liée à son exploitation.

    Celle-ci se présente ainsi :
    « Outre son activité hôtelière familiale de haut niveau, Kerbastic est aussi une exploitation agricole et forestière où la préservation de la biodiversité et la production biologique sont une priorité absolue. On y a même fait l’acquisition d’une jument de trait »

    On peut-être sûr qu’avec l’application des méthodes agricoles de Rabhi, le pognon qui rendra l’ensemble viable ne viendra pas de la production agricole qu’on y fait mais des dépenses luxueuses de bien être et de divertissement de bourgeois qui se sont enrichis avec le travail des autres, ce qui est appelé par La Croix une « activité hôtelière familiale de haut niveau » [sobre et heureuse]

    Bref, avec tous ses bourgeois pleins aux as dans la Fondation Pierre Rabhi, il est probable que les membres fondateurs arrivent à donner les 325 000 euros sur les 5 premières années auxquels ils se sont engagés, afin de financer l’activité de Rabhi en synergie avec ses autres structures - comme il est indiqué dans la présentation de la Fondation.

    Tout le monde l’aura donc compris : le réseau de Pierre Rabhi est une des meilleures opportunités de Greenwashing pour des capitalistes qui aiment la nature. D’ailleurs, dans le Comité Exécutif de la Fondation Pierre Rabhi, aux côtés des habituels charlatans naturopathes et écomédecins, il y a l’incontournable Serge Orru, ancien dirigeant du W.W.F. France, qui a dû quitter ses fonctions dans l’ONG sous pression interne parce que ses méthodes faisaient quand même trop mauvais genre. Il avait notamment été publiquement enfoncé dans un entretien avec Elise Lucet pour l’émission Cash Investigation, spectacle réjouissant qui n’est malheureusement plus disponible en ligne depuis la suppression du lien sur Youtube.

    Mais soyons fair-play, et reconnaissons pour finir que Rabhi ne fait pas que récolter la charité de millionnaires pour financer les activités de son réseau de jardiniers incompétents. Il sait aussi donner de sa personne, et les supports de sa parole de type livres ou DVD se vendent sans doute bien et viennent compenser ce que l’activité (très peu) productive ne parvient pas à assurer. D’ailleurs, d’une certaine manière, la parole de Rabhi elle-même est d’or, au sens propre du terme. En effet, Rabhi peut aussi avoir des caprices de diva et sait monnayer ses prêches publics à leur juste valeur (à ses yeux). Par exemple, quand la mairie de Privas en Ardèche l’a sollicité en 2012 pour participer à la semaine du développement durable, il a dû décliner l’offre. Bien qu’il se sentait alors « dans l’optimum de [ses] compétences spécifiques » [= parler pendant des heures pour brasser du vide], il était appelé en d’autres lieux, notamment à l’international – le local, on vous dit, le local- , parce que, on s’en doute, il est très demandé. Ce qui est par contre plus surprenant dans la réponse faite par une collaboratrice de Rabhi aux solliciteurs privadois, c’est leur choix de ne faire participer Rabhi qu’à un événement « en mesure d’accueillir au minimum 600 personnes et qui soit bien relayée dans les médias. », avec comme conditions (toutefois négociables) de rembourser les frais de déplacement, hôtel et nourriture pour deux personnes [normal] en plus d’un cachet de.... 1000 euros ! [Source de l’information protégée, mais bon, la ville a été gérée par la gauche, alors....]

    Pour prendre la mesure de la chose, je précise que j’organise depuis des années dans la même ville des conférences avec des intervenants universitaires dont certains sont des pointures dans leur domaine, et avec tous infiniment plus de compétences spécifiques à leur optimum que n’en a jamais eues Pierre Rabhi. Et tous l’ont fait gratuitement, sans rechigner à causer dans un café devant 20 personnes, en étant quasiment toujours logé chez l’habitant, et alors que certains refusaient même [à mon grand désarroi] de se faire simplement prendre en charge leur repas.

    Rabhi, lui, en voisin ardéchois qu’il est, n’avait en gros qu’à franchir le col de l’Escrinet pour venir délivrer son préchi-précha vide de toute information concrète et qui ne demande donc aucun travail de préparation. Pour 1000 euros et devant 600 personnes minimum...

    Conclusion : L’interview de Médiapart avec Pierre Rabhi était titrée selon ses mots : « Le développement durable est une mystification ».

    Le développement durable, je sais pas.

    Mais ce dont je suis sûr, c’est que Pierre Rabhi est une mystification.

    #les_points_sur_les_i #appeler_un_chat_un_chat