Le procureur de Dunkerque ne rigole pas tous les jours

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  • Le procureur de Dunkerque désavoué avait vu juste

    LEMONDE | 05.08.11 | 15h20
    Assimiler la politique pénale du gouvernement exige une intense concentration et un redoutable esprit de synthèse. Ainsi le procureur de Dunkerque, qui avait cru agir avec bon sens en suspendant, en août, les incarcérations pour les délits les moins graves, était, sans le savoir, parfaitement en phase avec la chancellerie.

    Philippe Muller, « en raison du surencombrement de la maison d’arrêt de Dunkerque », avait ordonné, le 25 juillet, de suspendre les écrous jusqu’au 5 septembre, sauf pour les violences sexuelles ou sur mineurs. Le ministère, qui ne savait apparemment pas non plus que le magistrat appliquait ses propres consignes, l’a sommé de rapporter ses instructions et de manger son chapeau.

    Or, la chancellerie avait signé le 21 juillet, soit quatre jours avant l’initiative du procureur, une roborative circulaire sur « la synthèse nationale annuelle des conférences régionales semestrielles sur les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération tenues en 2010 » que les magistrats dévorent toujours avec délice et qui n’a pas échappé au Syndicat de la magistrature (gauche). Le ministère s’y félicitait de « la richesse des comptes rendus » et de « la pertinence et de l’intérêt de ces lieux d’échange ».

    Un paragraphe noyé au milieu de la note était effectivement pertinent : « Grâce à une collaboration renforcée entre l’administration pénitentiaire et le parquet, des protocoles ont été élaborés, fixant un nombre d’écrous au-dessus duquel, compte tenu des capacités d’accueil des établissements pénitentiaires, les mises à exécution des peines d’emprisonnement étaient reportées. »

    Soit exactement ce qu’a décidé le parquet de Dunkerque. Vendredi 29 juillet, le jour même où il a été désavoué, la prison de Dunkerque comptait 157 détenus pour 95 places - record historique pour la maison d’arrêt. Mais pendant que la chancellerie rabrouait son procureur, elle faisait discrètement le ménage et répartissait les effectifs dans les prisons voisines : lundi 1er août, les détenus n’étaient plus que 136, le lendemain 130. Soit un niveau sinon normal, du moins habituel de surpopulation carcérale locale.

    « Episode atterrant »

    Tous les procureurs agissent d’ailleurs comme à Dunkerque - sans se risquer à signer comme lui une circulaire -, et négocient discrètement avec la pénitentiaire pour éviter la surchauffe. Au tribunal de Valence, le vice-procureur chargé de l’application des peines a même défini avec la maison d’arrêt un « taux d’occupation humainement acceptable », sorte de numerus clausus informel : à 134 % d’occupation de la prison, on recherche des solutions d’aménagement de peine.

    Le Syndicat de la magistrature - dont le procureur de Dunkerque n’est pas membre - a envoyé, jeudi, au garde des sceaux l’un des courriers un peu vifs dont il a le secret, pour lui signaler qu’il avait fait « un faux pas magistral ». Le Syndicat se désole que le ministre ait « manqué à ce point du courage politique qui aurait consisté à expliquer à l’opinion publique que la situation carcérale rendait nécessaire les aménagements du type de ceux qu’(il vient) de récuser officiellement après les avoir officieusement encouragés ».

    La lettre se termine sur une note aussi chaleureuse que peut l’être le syndicat : « L’épisode est d’autant plus atterrant que la saillie vient d’un ministre qui, comparé à ses prédécesseurs, s’était jusqu’à alors comporté de façon plutôt respectueuse à l’endroit des magistrats. »
    Franck Johannès