Redécouvrir « Jaurès » à travers une bande-dessinée

/redecouvrir-jaures-a-travers-une-bande-

  • 1914, le naufrage de l’internationalisme
    http://cqfd-journal.org/1914-le-naufrage-de-l

    On commémore le centenaire de la mort de Jaurès. Une occasion pour les politiciens de tout bord de cannibaliser la mémoire du tribun du Tarn. Comparés à cet « athlète de l’idée », on se dit alors que Valls – qui s’inspire plus volontiers du briseur de grève Clemenceau –, ou Sarkozy qui se sentait l’« héritier de Jaurès » en 2007, ou encore Marine Le Pen, qui ose affirmer que « Jaurès aurait voté Front national », font figures de cloportes de la gamelle. Pourtant, la récupération de Jaurès n’est pas chose nouvelle : dès le 1er août 1914, au lendemain de son assassinat par un puceau nationaliste dénommé Villain, Jaurès faisait l’unanimité autour de son cadavre. Tandis que L’Humanité célébrait le « martyr sublime de la paix », Le Temps ne faisait aucun doute sur le fait que « son éloquence allait devenir instrument de défense nationale » et qu’il allait incarner « le clairon de la patrie ». Le communiqué de la présidence du conseil saluait même « celui qui a soutenu de son autorité l’action patriotique du gouvernement ».

    #histoire

    • Ils n’ont pas fini de tuer Jaurès

      Jeudi 31 juillet à 21 h. 40, il y aura cent ans que Jean Jaurès a été assassiné. Et si vous l’ignoriez, c’est que vous passez vos vacances dans une dimension quantique inconnue des réseaux sociaux. Car Jaurès est vachement tendance aujourd’hui. Personne ne l’a lu. Mais tout le monde en cause. Sa belle barbe et ses yeux doux s’affichent sur toutes les « une » en France.

      http://www.lacite.info/ils-nont-pas-fini-de-tuer-jaures

    • Le sujet est passionnant mais il ne suffit pas de hurler à la social-trahison du haut de ce siècle qui surplombe 1914. On a du mal à imaginer le déferlement de passions que constitue une entrée en guerre mondiale et le fait que ce contexte a de quoi dissoudre bien des lucidités.

      La vraie question est pourquoi un tel revirement ? Pourquoi l’énergie révolutionnaire du début du XXe siècle s’est transformée en énergie guerrière en 1914 ? Sur quoi s’appuie le supposé enthousiasme populaire anti-germanique de début 14 ? Qu’en est-il d’ailleurs de cet élan patriotique ?

      En fait, ça pose la question cruciale des relations entre patriotisme et révolution (sociale). On lit parfois par exemple que la Commune fut en partie une réaction patriotique contre les Prussiens. Quelle était la part du patriotisme et de la volonté révolutionnaire lorsque le peuple de Paris voulut conserver les canons qui défendaient la ville ? Comment s’opère la (con)fusion entre patriotisme, nationalisme et révolution ? Quelle est le rôle de la question de la violence ?

      Ces interrogations sont primordiales car elles traversent l’histoire révolutionnaire. Ce sont les liens entre guerres et révolutions qui sont à questionner en particulier du point de vue libertaire qui est le mien. En gros, je pense avec certain-es autres, qu’une révolution libertaire menée comme une guerre par une élite militarisée ne peut conduire qu’à la reconstitution de ce qu’elle combat : un État, une armée, un capital, un salariat.

      Pour revenir à 1914, il y a le cas d’Émile Pouget qui me semble assez emblématique. Le Maitron se borne à indiquer dans sa bio :

      À partir du 14 mai 1915, il publia dans L’Humanité un premier roman-feuilleton patriotique, Vieille Alsace puis, à partir du 14 août 1916, un second, L’Emmuré.

      Sur le site Pelloutier.net on trouve une recension d’une bio de Pouget parue aux Éditions libertaires. L’auteur précise :

      Enfin, last but not least, nous sommes au regret d’informer l’auteur que Pouget a bien donné des feuilletons patriotiques à l’Humanité, et que cette conversion patriotique date non pas de 1916 mais des premiers jours de la mobilisation. Même s’il est « difficilement compréhensible de voir un tel personnage farouchement anti-guerre prendre parti » (p. 319), Pouget, c’est bien connu, n’est pourtant pas un cas isolé, c’est l’inverse qui est vrai. C’est à un historien anglais, Jeremy Jennings[3], que l’on doit d’avoir exhumé ce volte-face méconnu de cette grande figure de l’anarchisme et du syndicalisme révolutionnaire. Et c’est dans les colonnes du journal animé par le plus farouche antipatriote que la France ait connue, la Guerre sociale de Gustave Hervé, que Pouget a commis ses premières prises de positions. Du 7 août au 6 septembre 1914, Pouget tient une rubrique intitulée « La Rue » dans laquelle il se propose de rapporter l’humeur de la classe ouvrière. Donnons ici quelques morceaux choisis : « Il y a de l’héroïsme dans l’air. L’atmosphère en est saturée. » Comparant l’année 1914 à 1792, Pouget affirme que le peuple se bat pour défendre la liberté et la civilisation contre la barbarie allemande. Après tout, le manifeste des 16 signé par les plus éminents anarchistes dont Kropotkine et Jean Grave ne dira rien de bien différent. Concernant le feuilleton de l’Humanité, celui-ci parut du 14 mai au 16 octobre 1915, sous le titre « Vieille Alsace ». Il s’agit d’une sorte de roman moral et patriotique évoquant l’occupation allemande depuis 1870.

      http://www.pelloutier.net/livres/livres.php?ref=25#_ftnref2

      Voir aussi cette recension du même livre dans À Contretemps :

      http://acontretemps.org/spip.php?article121

      D’aucuns lecteurs regretteront sans doute que le biographe n’ait pas poussé plus loin son questionnement - notamment pour ce qui concerne le Pouget dernière manière, celui qui se rapprocha du déliquescent Gustave Hervé, commit quelques mauvais romans-feuilletons dans L’Humanité de Jaurès, puis de Renaudel et se prit d’une assez étrange passion patriotique pour la « Vieille Alsace ». C’est qu’Ulla Quiben se veut magnanime : « Toutes ces zones d’ombre, écrit-il, comme notamment son silence pendant la Première Guerre mondiale, contribuent aussi à faire d’Émile Pouget un personnage humain, fragile, émouvant et proche de nous. » Soit, mais on aurait aussi pu voir dans ces bévues, et l’explication est sans doute suffisante, un pur effet de l’âge, comme le pointa, en juin 1914, La Voix du Peuple, hebdomadaire dont Pouget fut longtemps le talentueux responsable : « Émile Pouget, peut-on y lire, était jadis un Père Peinard épatant qui épatait ses lecteurs. Aujourd’hui, il hospitalise son tire-pied dans La Guerre sociale devenue un vague organe radical. Contre cela rien à dire, tout le monde vieillit. » S’il se ressaisit quelque peu par la suite, sous l’influence de Paul Delesalle, entre autres, il n’en demeure pas moins que le Père Peinard rata lamentablement le rendez-vous de 1914, où rares furent ceux qui gardèrent la flamme et, ce faisant, sauvèrent l’honneur du mouvement ouvrier. Y compris contre l’illustre Pouget.

      #patriotisme #guerre_de_14-18 #syndicalisme_révolutionnaire #internationalisme #Émile_Pouget