Une première application paradoxale mais ambitieuse du régime de protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte

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  • Une première application paradoxale mais ambitieuse du régime de protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte
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    Si, comme l’écrivait de belle manière l’écrivain Albert Camus, « les chemins familiers tracés dans les ciels d’étés [peuvent] mener aussi bien aux prisons qu’aux sommeils innocents » (Albert Camus, « L’étranger », partie II, chap. III, p. 147), la lecture de l’arrêt du Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise ne saura évoquer ni prison (intellectuelle), ni sommeil (dogmatique). Bien au contraire, celui-ci semble démontrer avec éclat que l’habituelle et attendue torpeur estivale ne fait obstacle ni aux innovations juridiques, ni à la créativité juridictionnelle.

    1 L’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale – décliné dans d’autres codes en diverses disposi (...)
    2En l’espèce, la requérante, directrice d’un Office Public d’Habitat, avait dénoncé, en application de l’article 40 du code de procédure pénale1, les manquements aux règles de passation des marchés publics commis l’un de ses subordonnés, et par le président de l’office. Cette dénonciation avait notamment conduit le Tribunal correctionnel de Nanterre à déclarer ce dernier coupable des délits d’atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics et de prise illégale d’intérêts. Ayant été révoquée de ses fonctions pour motif disciplinaire, la requérante avait contesté la décision de révocation prise par sa hiérarchie devant le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise puis devant la Cour Administrative d’Appel de Versailles qui avait annulé la décision litigieuse et enjoint à l’office de la réintégrer.

    3En réponse à sa demande de réintégration sur le poste de directeur général qu’elle occupait auparavant, le président de l’établissement public avait invité la requérante à présenter sa candidature à ce poste afin de la faire examiner, par le conseil d’administration de l’office. Le président de l’office avait alors présenté la candidature de la requérante de manière sciemment inexacte en indiquant notamment aux membres du conseil d’administration que la Cour administrative d’appel de Versailles avait reconnu que cette dernière avait commis des fautes graves dans la gestion de l’office. Par suite, le conseil d’administration de l’office avait alors rejeté la demande de réintégration formulée par la requérante, ce que celle-ci a par la suite contesté devant le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise.

    4Faisant droit à l’argumentation de la requérante, le tribunal apporte, par sa décision, une pierre supplémentaire à l’édifice chancelant que constitue le statut protecteur des lanceurs d’alerte de la fonction publique.

    5Qualifiant de détournement de pouvoir une mesure fondée en apparence sur les qualités professionnelles d’un fonctionnaire mais visant en réalité à sanctionner celui-ci en raison de la qualité de « lanceur d’alerte », le jugement démontre ainsi de manière exemplaire comment certains mécanismes traditionnels du droit administratif peuvent potentiellement venir au secours des lanceurs d’alerte de la fonction publique (1°).

    6Mais, surtout, les juges du Tribunal font application, de manière prétorienne et (presque)superfétatoire mais également de manière plus ambitieuse, une application par anticipation du régime protecteur prévu par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 en consacrant un « principe général » du droit interdisant les mesures prises à l’égard d’un fonctionnaire pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (2°). Toutefois, la décision révèle également, malgré elle, une insuffisance et une incertitude quand à la portée du nouveau régime de protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte (3°).

    #fonction-publique #discrimination #lanceurs-d'alerte