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  • « 1984 » à l’indicatif présent Frédérick Lavoie - 2 juin 2018 - Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/lire/529253/entrevue-1984-a-l-indicatif-present

    C’est l’un des romans les plus traduits et retraduits de la littérature anglo-saxonne, avec plus de 65 langues au compteur. Depuis la parution originale de 1984 il y a près de sept décennies, des millions de lecteurs ont frémi en suivant la descente aux enfers de Winston Smith, fonctionnaire au ministère de la Vérité (ou « Miniver » en #novlangue) qui, par une journée froide et claire d’avril, entame l’écriture d’un journal intime dans lequel il confie sa haine de #Big_Brother, le guide suprême et omniscient du Parti.

    En Océania totalitaire, Winston le sait bien, son « crimepensée » lui vaudra tôt ou tard d’être arrêté par la Police de la pensée afin d’être rééduqué ou « vaporisé ».

    Jusqu’à maintenant, les lecteurs francophones n’avaient pu découvrir le monde #dystopique imaginé par George Orwell qu’à travers une seule traduction, parue chez Gallimard en 1950 et sans cesse rééditée. Pour une raison qui demeure inconnue, la traductrice Amélie Audiberti avait choisi de conserver en anglais le Big Brother de la version originale, pourtant devenu Gran Hermano, Großer Bruder, Wielki Brat et Büyük Birader dans d’autres langues.

    La force du propos d’Orwell et son actualité sans cesse renouvelée, du stalinisme aux « faits alternatifs » de Trump et sa bande, ont fait en sorte qu’on s’est peu attardé à la qualité littéraire de la traduction d’Audiberti. Or, en y regardant de plus près, elle apparaît plutôt bancale et truffée d’inexactitudes et d’approximations.


    Alors que l’oeuvre d’Orwell s’apprête à entrer dans le domaine public en France en 2020 (elle l’est déjà au Canada depuis 2001, mais aucun éditeur québécois n’a semble-t-il saisi l’occasion pour la rééditer), #Gallimard a voulu prendre de l’avance sur ses concurrents en offrant une nouvelle traduction.

    Dans son appartement lumineux du XVIIIe arrondissement de Paris, la traductrice Josée Kamoun, à qui a incombé la tâche de revisiter le classique, raconte s’être résignée très tôt à conserver le Big Brother de sa prédecesseure. Le personnage était trop ancré dans l’imaginaire collectif pour soudainement se transformer en Grand Frère. « Je savais que ça ne passerait plus. »

    Big Brother est toutefois demeuré le seul intouchable d’une traduction à l’autre. Dans le 1984 de Kamoun, Winston Smith travaille désormais au « Minivrai » et habite en « Océanie », où son « mentocrime » risque d’être puni par la « Mentopolice », dont la tâche est de s’assurer que les membres du Parti respectent les principes du « Sociang » (et non de l’« #Angsoc »).

    De la novlangue au néoparler
    Quant à la novlangue d’#Audiberti, Josée Kamoun s’est permis de la rebaptiser « néoparler ». Le souci d’exactitude a primé l’usage devenu courant du terme, principalement pour parler de la langue de bois des politiciens et autres décideurs. « Si Orwell avait voulu créer la Newlang , il l’aurait fait. Mais il a créé le Newspeak , qui n’est pas une langue mais une anti-langue. Il savait ce qu’il faisait, » justifie celle qui a plus d’une cinquantaine de #traductions à son actif, dont plusieurs romans de Philip Roth, de John Irving et de Virginia Woolf.

    Autre choix audacieux de Josée Kamoun : celui de narrer l’action au présent, un temps qui, selon elle, reproduit mieux l’effet de la version originale anglaise, pourtant écrite au passé. « Le traducteur est là pour traduire un effet, et non pas simplement des mots, explique l’enseignante de littérature et de traduction à la retraite. En anglais, le prétérit n’est pas un temps pompeux, contrairement au passé simple en français. C’est un temps ordinaire qu’on peut emprunter dans la langue parlée. »

    Dans la traduction de Josée Kamoun, les membres du Parti ne se vouvoient plus mais se tutoient, comme il était de mise entre camarades communistes à l’époque. Et Big Brother interpelle maintenant les citoyens d’Océanie à la deuxième personne du singulier. « Tu as beaucoup plus peur s’il TE regarde que s’il VOUS regarde », souligne la traductrice.

    Le corps dans tous ses états
    Lorsque Josée Kamoun a lu pour la première fois #1984 au début de la vingtaine, la #dystopie d’Orwell l’a « envoyée au tapis », se souvient-elle. « Ce livre va chercher nos angoisses les plus primaires, comme celles d’être kidnappé ou torturé. » En s’appropriant le texte pour mieux le traduire, elle dit avoir décelé une « colonne vertébrale » rarement ou jamais abordée dans les analyses qui ont été faites du roman : le thème du corps.

    « Winston représente cette conscience vulnérable, cette fragilité humaine qui passe par le corps. Il n’a que 39 ans, mais déjà, il est cuit. Il a un ulcère à la cheville, il ne peut plus toucher le bout de ses orteils. Tout est moche, tout pue autour de lui. Et voilà que par son geste de résistance [l’écriture de son journal], il enclenche un nouveau rapport au corps.

    Avec [son amante] Julia, il connaît l’explosion des sens. Tout d’un coup, le corps existe. Non seulement on fait l’amour, mais on mange du vrai chocolat, on boit du vrai café, et ça sent tellement bon qu’il faut fermer la fenêtre pour ne pas attirer l’attention. Après son arrestation, il subit toutes sortes de coups et d’électrochocs. Il n’habite plus du tout son corps. Puis, on le remplume afin de le rééduquer. Mais tout ce qui était désiré et désirable chez lui a disparu, comme l’appétit de vivre. C’est le corps de la trahison. »

    En exposant les joies et les souffrances physiques qui résultent des choix politiques d’un citoyen dans un système totalitaire, George Orwell rappelle qu’au-delà de notre volonté et de nos convictions les plus fortes, « l’homme, c’est d’abord un corps ».

    Traductions comparées
    L’incipit
    1949 : It was a bright cold day in April, and the clocks were striking thirteen.
    1950  : C’était une journée d’avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures.
    2018  : C’est un jour d’avril froid et lumineux et les pendules sonnent 13 :00.

    Le slogan
    1949  : War is peace. Freedom is slavery. Ignorance is strength.
    1950  : La guerre c’est la paix. La liberté c’est l’esclavage. L’ignorance c’est la force.
    2018  : Guerre est paix. Liberté est servitude. Ignorance est puissance.

    La mentopolice
    1949  : How often, or on what system, the Thought Police plugged in on any individual wire was guesswork.
    1950  : Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir.
    2018  : À quelle fréquence et selon quel système la Mentopolice se branche sur un individu donné relève de la spéculation.

    Le néoparler
    1949  : “You haven’t a real appreciation of Newspeak, Winston”, he said almost sadly. “Even when you write it you’re still thinking in Oldspeak.”
    1950  : — Vous n’appréciez pas réellement le novlangue, Winston, dit-il presque tristement. Même quand vous écrivez, vous pensez en ancilangue.
    2018  : — Tu n’apprécies pas le néoparler à sa juste valeur, commente-t-il avec un air de tristesse. Même quand tu écris, tu continues à penser en obsoparler.

    Journaliste, Frédérick Lavoie est aussi l’auteur d’Avant l’après : voyages à Cuba avec George Orwell (La Peuplade), qui scrute les transformations cubaines par le prisme de 1984.

    #ministère_de_la_vérité #propagande #george-orwell #capitalisme

  • Les mots se cachent-ils pour mourir ? - Livres - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/livre/supprime-t-on-des-vieux-mots-du-dictionnaire-pour-en-faire-entrer-des-nouve

    Le sujet est sensible pour les éditeurs. Faire disparaître un mot du dictionnaire est une sentence lourde : à défaut de le tuer, c’est au moins en produire l’acte de décès. « Nous nous refusons à retirer des mots de notre dictionnaire, promet Marie-Hélène Drivaud, directrice éditoriale du Robert. Les mots laissent une trace : désuet et moderne doivent coexister, “java” comme “teuf”. Nous annotons d’une mention “vieilli” ceux qui peuvent être dits par des gens de 80 ans et d’un “vieux” ceux qui ne sont plus dits du tout. Pour s’en assurer, on fait tout simplement des enquêtes dans nos entourages ou auprès des plus jeunes. Ma fille est la première à me le dire lorsque j’utilise un mot inconnu. »

    De « cossard » (« fainéant ») à « cibiche » (« cigarette »), Le Petit Robert se veut historique et conserve ainsi les termes du vieux français : « Cela permet de comprendre l’étymologie et l’évolution du langage, justifie Marie-Hélène Drivaud. Et puis certains mots disparaissent et reviennent, comme “thune”, qui est à l’origine l’aumône puis la pièce de cinq francs au XIXe siècle, avant d’être oublié. Il a ressuscité il y a une vingtaine d’années sous un sens différent, désignant l’argent en argot. »

  • Eric Dupin : “Au bout du raisonnement des #identitaires, il y a la #guerre civile” - Livres - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/livre/eric-dupin-au-bout-du-raisonnement-des-identitaires-il-y-a-la-guerre-civile

    Plongée libre dans les profondeurs de la France identitaire : pendant plusieurs mois, le journaliste et essayiste Eric Dupin est allé à la rencontre de militants et de responsables des mouvements identitaires, s’est entretenu avec les principales figures intellectuelles qui inspirent et relaient ces nouveaux croisés de la France blanche traditionnelle. Qui sont-ils ? Combien de divisions ? Archi minoritaires, ils ont pourtant réussi à mettre le « problème » identitaire au centre du débat #politique. Aujourd’hui, tous les partis sont traversés et divisés par cette question. Et si la gauche, s’interroge Eric Dupin, avait intérêt à regarder en face les difficultés que soulève la mutation en cours de la population française et la crise du « vivre ensemble » ?

    • Groupusculaire et ouvertement raciste, la frange identitaire de l’extrême-droite française a réussi à imposer ses idées au cœur du débat politique. Le journaliste Eric Dupin a enquêté sur ses origines, ses réseaux et ses perspectives.

      Plongée libre dans les profondeurs de la France identitaire : pendant plusieurs mois, le journaliste et essayiste Eric Dupin est allé à la rencontre de militants et de responsables des mouvements identitaires, s’est entretenu avec les principales figures intellectuelles qui inspirent et relaient ces nouveaux croisés de la France blanche traditionnelle. Qui sont-ils ? Combien de divisions ? Archi minoritaires, ils ont pourtant réussi à mettre le « problème » identitaire au centre du débat politique. Aujourd’hui, tous les partis sont traversés et divisés par cette question. Et si la gauche, s’interroge Eric Dupin, avait intérêt à regarder en face les difficultés que soulève la mutation en cours de la population française et la crise du « vivre ensemble » ?

      Comment définir les « identitaires » ?
      En France, cette étiquette est revendiquée par des groupes militants dont l’importance numérique est heureusement faible. C’est d’abord le Bloc identitaire, créé en 2003, transformé en parti politique en 2009, pour redevenir, en juillet 2016, un mouvement associatif dénommé « Les Identitaires ». C’est aussi Génération identitaire, qui a succédé, en 2012, aux Jeunesses identitaires. Evidemment situés à l’extrême droite, racialistes, pour ne pas dire racistes, ces groupes ont préempté l’inquiétude de certaines franges de la population bousculées par la crise et les mutations de notre société, et qui deviennent obsédées par la question de l’identité. Très minoritaires, les identitaires trouvent ainsi un écho qui dépasse largement leurs effectifs militants.

      Quels sont ces effectifs ?
      Quelques milliers, pas plus. Quand ils organisent des manifestations, ils ont l’art de les filmer pour donner l’impression qu’ils sont très nombreux. En réalité, ils sont à peine 200, venus d’un peu partout en France. On est loin d’un mouvement de masse. Mais les militants identitaires sont très déterminés, souvent bien formés politiquement, et leur influence est grandissante au sein du Front national. Mais surtout ils bénéficient de relais dans certains milieux culturels et intellectuels. Chez les journalistes, Eric Zemmour en est l’illustration la plus caricaturale, son absence de scrupules et son côté provocateur lui assurent de vrais succès de librairie. Chez les intellectuels, l’écrivain Renaud Camus, ancienne figure de la scène culturelle des années 1970, bénéficie également d’un certain écho. Il est devenu, dans son château du Gers, une sorte de croisé de la France blanche qui lui semble menacée par ce qu’il nomme « le grand remplacement » : la substitution supposée du peuple français par les populations d’origine immigrée. On pourrait également citer Jean-Yves Le Gallou, une autre figure majeure de la mouvance identitaire. Fondateur du Club de l’Horloge, ancien dirigeant du Front national, il a théorisé la fameuse « préférence nationale », un concept devenu central dans la propagande du parti d’extrême droite, désormais rebaptisé « priorité nationale ». Alain Finkielkraut, d’une toute autre manière et qu’on ne saurait mettre dans le même sac, exprime une inquiétude identitaire teintée de nostalgie. Le philosophe, qui finit par consacrer aujourd’hui plus d’énergie à lutter contre les excès de l’antiracisme que contre le racisme lui-même, peint de manière effrayante les mutations en cours. Beaucoup de ses mise en garde sont hélas parfaitement fondées mais il en tire, à mon sens, des conclusions alarmistes.
      “Il est impératif de se demander pourquoi ces gens dangereux et minoritaires ont un tel écho.”

      A la lecture de votre livre, il semble que les identitaires soient surtout des hommes, obsédés par l’idée de décadence...
      C’est vrai que tous les militants et responsables de Génération identitaire que j’ai rencontrés étaient des hommes. Même si dans leurs vidéos ils s’attachent à mettre en avant des filles, sans doute pour donner à leurs manifestations un visage plus avenant. Plus sérieusement, vous pointez un trait commun à tous ceux qui sont hantés par les questions identitaires : la crainte d’une décadence, d’une perte de valeurs traditionnelles, de références, de repères, de hiérarchies, que la modernité aurait abîmés. J’ai d’ailleurs sous titré mon livre « Enquête sur la réaction qui vient » pour cette raison. Selon la terminologie politique, les réactionnaires sont ceux qui veulent revenir à un passé révolu, à l’instar de ceux qui refusaient la Révolution et rêvaient d’une restauration de la royauté. Cela dit, il faut admettre que les sociétés comme les individus ont besoin de repères, d’appartenances collectives. Il est important, quand on analyse ces phénomènes identitaires, de ne pas s’en tenir à leur dénonciation, de ne pas se contenter de dire « ce n’est pas bien », « c’est l’extrême droite », « ce sont des gens dangereux ». Tout cela est exact. Mais il est impératif aussi de se demander pourquoi ces gens dangereux et minoritaires ont un tel écho. N’est-ce pas en effet parce que nos appartenances collectives, qu’il s’agisse de la famille ou de la nation, sont en crise ?

      Comment la question identitaire a-t-elle peu à peu envahi le débat politique ?
      Cette question percute l’ensemble de l’échiquier politique. Elle fait l’objet de débats internes très vifs au sein du Front national. L’égérie du courant identitaire, Marion Maréchal-Le Pen, assume la vision, très classique à l’extrême droite, d’une identité charnelle : le peuple, les ancêtres, la terre, quand sa tante hésite et se contredit sur l’assimilation ou la référence au « grand remplacement ». A droite, la campagne pour la primaire a mis en évidence un gouffre entre Alain Juppé, parfois surnommé Ali Juppé en raison de sa position favorable à des accommodements raisonnables avec l’islam, et Nicolas Sarkozy, qui n’hésitait pas à reprendre un discours identitaire parfois plus violent encore que celui de Marine Le Pen. Quant à François Fillon, qui a finalement tiré les marrons du feu de cette primaire, il est sans aucun doute plus proche sur le fond de cette question de Nicolas Sarkozy que d’Alain Juppé, même si son discours est au diapason de son tempérament, porté par une expression plus retenue et mesurée. La gauche enfin, est également très divisée. Manuel Valls, qui avait été en pointe dans le débat sur l’interdiction du « burkini », a tenté, durant la primaire, de réactiver ses préoccupations identitaires en mettant en avant la République et la laïcité. Alors que Vincent Peillon et Benoît Hamon se sont montrés beaucoup plus proches de la gauche « multiculturaliste ». L’ennui, c’est que le débat à gauche est souvent caricatural. D’un côté ceux qui craignent de tomber dans un piège en évoquant ces questions et choisissent de les éviter en ne les posant qu’en termes moraux. Ils les balaient d’un revers de la main au nom de l’antiracisme. Et de l’autre côté ceux qui les exagèrent en disant que l’islam pose un problème considérable et brandissent la laïcité de façon excessivement agressive. A mon sens, la gauche aurait tout à gagner à ne pas se voiler la face mais à regarder calmement les choses.

      C’est-à-dire ?
      La négation des problèmes et l’euphémisation des difficultés offrent un boulevard aux extrêmistes. La France vit un changement majeur de la composition ethnique de sa population. Et c’est un phénomène nouveau. Contrairement à ce qu’on dit souvent, notre pays n’a pas toujours été une terre d’immigration. Celle-ci n’est devenue un phénomène massif qu’à partir du XIX° siècle et l’immigration d’origine extra-européenne est encore plus récente puisqu’elle date du milieu du XX° siècle. L’immigration de masse, en France et en quelques décennies, de populations culturellement plus éloignées de la majorité de ses habitants que ne l’étaient les précédentes est un phénomène nouveau. Est-ce un drame ? Bien sûr que non. La question ne se pose pas en termes raciaux, comme le font les tenants du « grand remplacement » qui présupposent que les populations extra-européennes, d’une autre culture, d’une autre religion, ne pourront jamais s’intégrer. En revanche on ne peut se contenter d’un postulat, certes optimiste, mais quelque peu naïf, selon lequel cette intégration finira bien par se faire toute seule, naturellement. Car aujourd’hui, les vagues d’immigration les plus récentes ont d’autant plus de mal à s’intégrer dans la société française, qu’elles se constituent souvent en diasporas dans des espaces où elles vivent entre elles.

      N’y sont elles pas souvent contraintes ?
      Bien sûr. Les « ghettos » que l’on fait mine de déplorer sont des lieux où se concentrent les derniers arrivés en France et ceux qui cumulent le plus grand nombre de handicaps sociaux. Ceux qui s’en sortent s’en vont. Il faut absolument en tirer les conséquences en termes de politiques publiques. Les questions identitaires doivent être traitées dans leurs dimensions économiques et sociales. Pour cela il est nécessaire de disposer d’informations objectives sur la réalité démographique de notre pays, développer les études sociologiques et sans doute cesser d’interdire les fameuses statistiques ethniques. Je m’inquiète en effet d’une situation où, du fait des discriminations et des handicaps, les positions sociales finissent par être indexées sur les appartenances ethniques. Où les emplois les moins qualifiés sont en grande majorité effectués par des gens d’origine étrangère, alors qu’à l’inverse plus on monte dans la hiérarchie, plus ça se blanchit. Cela donne une connotation néo-coloniale lourde de dangers, car lorsque vous avez une superposition entre hiérachies sociales et raciales, comme c’est le cas aux Etats-Unis, l’exercice de la solidarité est beaucoup plus difficile. Tout simplement parce que les pauvres n’ont plus la même couleur que les riches.
      “L’horreur d’une guerre civile n’est pas la seule perspective dramatique.”

      Face à ces diasporas, vous insistez aussi sur le risque « d’enfermements communautaires » et la nécessité d’un « socle commun » de valeurs...
      La société française est aujourd’hui, incontestablement, multiculturelle et nous appartenons tous plus ou moins à des communautés différentes. Celles-ci ne sont pas mauvaises en soi, elles sont des médiations entre l’individu et la nation. Le problème surgit quand elles deviennent au contraire des écrans entre les deux, quand elles affirment des différences culturelles qui prétendent s’imposer à la société. Cette conception du multiculturalisme se heurte alors de plein fouet à la tradition républicaine française qui veille à la cohésion d’un Etat-nation cimenté par des valeurs communes. Je pense à la liberté d’expression, par exemple. En France, on a le droit au blasphème, on peut se moquer des dieux. Je pense à l’égalité hommes/femmes. Je pense à la laïcité pour laquelle les républicains ont dû se battre au XIXe siècle, contre une puissante Eglise catholique. La fermeté sur ce socle de valeurs me semble la condition du vivre ensemble et de l’acceptation de la diversité culturelle et religieuse qui est désormais celle de la société française.

      Comment peut s’exercer cette fermeté ?
      Par des interdits, comme la fameuse loi sur le voile intégral. Mais l’essentiel n’est pas là. Le principal est le combat culturel, en particulier au sein de la communauté musulmane. On parle toujours des musulmans les plus vindicatifs, de ceux qui brandissent leur religion comme un étendard identitaire. Il en existe, mais l’immense majorité des musulmans souhaitent simplement pratiquer leur religion en restant partie prenante de la communauté française. Il faut les y aider en n’hésitant pas à combattre la minorité des ultra conservateurs qui se sentent en rupture avec les valeurs de notre société.
      Votre livre insiste sur l’urgence d’agir...
      Quand j’ai rencontré ces militants et intellectuels identitaires, j’ai constaté qu’au bout de leur raisonnement il y avait la guerre civile. Ils prétendent bien sûr sonner l’alerte pour éviter cette issue, mais n’envisagent comme solution que ce qu’ils nomment la « remigration », c’est-à-dire le retour de millions de personnes dans leur pays d’origine, quitté parfois depuis plusieurs générations. C’est évidemment une hypothèse absurde, fantasmagorique. Sans le dire, les identitaires se préparent ainsi à l’affrontement. Mais l’horreur d’une guerre civile n’est pas la seule perspective dramatique. Si on prolonge les tendances à l’oeuvre aujourd’hui, c’est aussi l’avènement d’une société française de plus en plus fracturée, chacun restant replié dans ses zones ou ses quartiers. Des France parallèles en quelque sorte, où les immigrés seraient, à l’exception d’une petite bourgeoisie, relégués au second plan. A ce moment là, les grands discours républicains deviendraient totalement abstraits.

      A lire
      La France identitaire. Enquête sur la réaction qui vient , d’Eric Dupin, éd. La Découverte, 206 p., 17 €.

  • L’école des loisirs et les mystères de la vie…
    https://lesvendredisintellos.com/2016/11/08/lecole-des-loisirs-et-les-mysteres-de-la-vie

    « Chère École des Loisirs, Je commence par vous dire que je suis usuellement fan de vos livres et publications qui représentent l’essentiel des lectures de mon fils, qui est « abonné » (à la réception d’un livre par mois) et à qui nous achetons en plus d’autres livres de cette édition. Ayant reçu dans notre dernier envoi le catalogue, je l’ouvre avec plaisir. Un livret central attire mon attention. C’est un extrait au format réduit d’un livre « Le mystère de la vie » de Jan Paul Schutten et Floor Rieder (traduit du Neerlandais). Ce livre prétend présenter, avec humour et illustrations le mystère de la vie depuis les premières cellules jusqu’aux gènes que nous transmettons en passant par l’évolution. Excellente idée ! Comme il y a des extraits sous forme de ce petit livret, je lis…et je n’en reviens pas… (...)

  • “La consommation de viande augmente, et la sixième extinction massive des espèces se poursuit” - Idées - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/livre/la-consommation-de-viande-augmente-et-la-sixieme-extinction-massive-des-esp

    Avec “Défaite des maîtres et possesseurs”, l’écrivain Vincent Message nous ramène aux images chocs d’abattoirs et d’élevages industriels dévoilées par L214. Cette fable glaçante nous a donné envie de questionner l’auteur sur son roman et sur le rapport de l’humain aux animaux.

    (Pas encore lu)

    #antispécisme #littérature

  • Récemment, se relayait ici, je crois, un entretien pathétique de Benoit Mouchard, monsieur Casterman, qui voulait nous convaincre de son audace et de son ingéniosité avec l’éditorial de son nouveau torchon, « Pandora », la molleburne éditoriale la plus dégonflée qu’on ait vu depuis un brin.

    c’était là :
    http://www.telerama.fr/livre/benoit-mouchart-la-bd-n-est-pas-tenue-d-etre-serieuse-ni-d-adopter-des-post

    un début de réponse publique à cette supercherie avait commencé sur Bulledair ( http://www.bulledair.com/index.php?rubrique=sujet&sujet=115 ) à la publication de l’entretien.
    Peu à peu, c’est devenu cette lettre ouverte, publiée par Alexandre
    Balcaen sur du9 :

    http://www.du9.org/humeur/lettre-ouverte-a-benoit-mouchart

    les commentairesde du9 sont ouverts à vos propres interprétations de l’éditorial de Mouchart.

  • “Maîtres de balais”, ou le Paris de Robert McLiam Wilson - Livres - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/livre/maitres-de-balais-ou-le-paris-de-robert-mcliam-wilson,43274.php

    Je ne peux m’empêcher de remarquer la façon dont les gens nous regardent (le port du gilet jaune est obligatoire, du coup, la photographe et moi passons pour des membres de l’équipe). Etrange combien nous sommes invisibles aux yeux des citoyens de Paris quand les gars travaillent. Mais dès qu’ils s’arrêtent, après quatre heures de labeur épuisant sous la pluie, le dos cassé et les guibolles en compote, on dirait que tout le monde nous remarque. Certains sourient à la vue du petit groupe réuni pour la pause clope-sandwich. D’autres, à l’évidence, désapprouvent.

    Nabil Anouar, 34 ans, dit que c’est souvent comme ça, qu’on s’habitue. « Sur une dure journée, tu prends ta pause casse-croûte et y aura toujours quelqu’un pour te dire : "Allez, au boulot. Je paie mes impôts, moi !" Il rit (tous rient). Mais moi aussi je paie mes impôts. On dirait que les gens veulent qu’on travaille 24 heures sur 24. Et surtout, que ça se voie. Très bien, d’accord. Mais quand ils nous voient en pause, c’est comme s’ils pensaient qu’on y passe la journée. Qu’est-ce que tu veux y faire ? On n’a pas le droit de manger, nous ? » Toute l’équipe se bidonne. « Mais attention, il y a aussi régulièrement des gens qui nous estiment, et même, qui nous remercient. Un jour, une femme m’a glissé 40 euros. Nous étions arrivés dans sa rue juste après une manif. C’était Beyrouth. Nous l’avons laissée nickel. Elle a bien vu qu’on bossait dur. »

    Dominique Carfantan, Breton énergique de 40 ans, est le philosophe de la bande. Un homme si bien informé que c’en est presque grotesque. Il a réfléchi à ce travail en profondeur. Il est remonté contre l’apparition de certaines nouveautés sur la scène du déchet. « Exemple : désormais, les téléphones portables sont balancés pour un oui pour un non. Ils contiennent du cadmium (1), un vrai cauchemar. Les gens jettent aussi des ordinateurs, unités centrales ou portables avec batterie et tout. Pas simple, tout ça. » Il m’explique que les services de nettoiement de la Ville de Paris ont la responsabilité de la quasi-totalité des déchets d’une capitale du XXIe siècle : récipients et bouteilles sous haute pression, acides et produits chimiques variés d’usage assez quotidien, mais bien plus compliqués à éliminer. Au dépôt, avant de partir, il m’a montré ce qu’ils appellent le « caisson boum-boum », qui leur sert à isoler tout matériel susceptible d’exploser. Dominique est critique, mais admet que c’est le chemin de la modernité capitaliste. « Les gens s’arrêtent de penser aux objets dès que vient le temps de s’en débarrasser. De plus, de nos jours, on fabrique pour jeter. C’est pas nous qui allons convaincre les gens de changer d’état d’esprit. Restons humbles. Si ça ne les gêne pas d’acheter des biens de consommation définis par leur propre obsolescence... Ça relève d’un changement politique et culturel. Vous voyez un balayeur prendre la tête de ce genre de combat ? » A vrai dire, si Dominique s’y collait, je vois très bien, oui.

    #éboueur #éboueuse et #éboueure

  • Terreur graphique - Bande dessinée : nom féminin* - Libération.fr
    http://terreur-graphique.blogs.liberation.fr/2016/01/06/bande-dessinee-nom-feminin

    « Une fois n’est pas coutume, je parle métier. En effet,Une première liste pour élire le futur Grand Prix du Festival Internationale de la Bande Dessinée d’Angoulême a été publiée pour le Grand Prix du Festival de BD. 30 hommes et 0 femmes. Riad Sattouf, Joann Sfar et Daniel Clowes ont annoncé se retirer de la liste des nommés. »

    #Festival_Angoulême #BD #no_woman

  • “Le terme colonial d’‘assimilation’ est extrêmement agressif envers les migrants”, Didier Daeninckx - Idées - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/livre/le-terme-colonial-d-assimilation-est-extremement-agressif-envers-les-migran

    Qu’enseignait-on dans les écoles des colonies, en Algérie, en Afrique sub-saharienne, en Asie, aux Antilles, quand l’empire français pesait 11 millions de kilomètres carrés et 48 millions d’habitants ? Quel était le pourcentage d’enfants indigènes scolarisés ? Que cherchait-on à former : des citoyens, une élite, de bons et loyaux serviteurs ?

    #colonies #empire

  • Robert Paxton, historien : “La cicatrice de l’Occupation a du mal à se refermer” - Livres - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/livre/robert-paxton-historien-la-cicatrice-de-l-occupation-a-du-mal-a-se-refermer

    Bien sûr. C’est comme l’esclavage ou le sort des Indiens aux États-Unis. C’est là, ça fait partie du passé, et dès qu’on cherche à enseigner une histoire du pays, on doit faire face à la question : va-t-on expliquer aux enfants qu’on a eu des périodes sombres dans notre histoire ou doit-on privilégier une image édulcorée de cette histoire ? Dans les périodes de crise, on est plutôt à la recherche d’une histoire positive, mais la cicatrice de l’Occupation a du mal à se refermer.

    #histoire #collaboration #péda

  • Quelles sont nos utopies aujourd’hui ? Nous avons besoin de penser ensemble pour avancer dans ce monde, d’imaginer une idéologie – un mot qu’il ne faut plus employer ! – pour imaginer nos lendemains. Je suis, et veux rester ce vigneron – de Bordeaux, par exemple, parce que j’aime ce vin-là ! – qui plante des vignes en pensant simplement à ses enfants, à l’avenir.

    http://www.telerama.fr/livre/rafael-chirbes-si-je-n-ecris-pas-je-ne-vois-rien-je-suis-vide,41777.php #heritage #litterature #vigne #paysan

  • “Communardes !”, de Lucy Mazel et Wilfrid Lupano - Livres - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/livre/decouvrez-les-premieres-planches-des-communardes-de-lucy-mazel-et-wilfrid-l

    Paris, hiver 1870. L’armée prussienne assiège la capitale, les habitants ont faim mais résistent bec et ongles. La Commune se profile… Dans cette ambiance insurrectionnelle, deux portraits de femmes : une petite fille qui s’occupe des éléphants du Jardin des Plantes et d’Elisabeth Dmitrieff, la pasionaria russe des barricades… Ces deux premiers volumes, “Les Eléphants rouges” et “L’Aristocrate fantôme” marquent la rencontre du scénariste Wilfrid Lupano et de la dessinatrice Lucy Mazel. Chaque semaine, nous vous faisons découvrir avant publication un album qui a piqué notre curiosité, mais que nous n’avons pas encore forcément lu.

    Moi non plus mais je référence :) #la_commune #communardes #femmes #bd

  • LE LECTEUR UNE ESPÈCE MENACÉE ?
    Michel Abescat et Erwan Desplanques

    Pas le temps... L’esprit ailleurs... Les amateurs de #livres sont en petite forme. Seuls les best-sellers trouvent voix au chapitre. La lecture passe-temps a-t-elle supplanté la lecture passion ? L’âge d’or de la littérature est-il révolu ? Enquête.

    L’amateur de littérature serait-il devenu une espèce menacée ? Tous les signes sont là. Son habitat se raréfie : à Paris, par exemple, 83 librairies ont disparu entre 2011 et 2014. Et sa population ne cesse de décliner. Selon une enquête Ipsos/Livres Hebdo de mars 2014, le nombre de lecteurs avait encore baissé de 5 % en trois ans. En 2014, trois Français sur dix confiaient ainsi n’avoir lu aucun livre dans l’année et quatre sur dix déclaraient lire moins qu’avant. Quant à la diversité des lectures, elle s’appauvrit également dangereusement, l’essentiel des ventes se concentrant de plus en plus sur quelques best-sellers. Guillaume Musso ou Harlan Coben occupent l’espace quand nombre d’écrivains reconnus survivent à 500 exemplaires.

    Fleuron contemporain de la biodiversité littéraire, l’Américain Philip Roth confiait récemment son pessimisme au journal Le Monde : « Je peux vous prédire que dans les trente ans il y aura autant de lecteurs de vraie littérature qu’il y a aujourd’hui de lecteurs de poésie en latin. » Faut-il préciser que dans son pays, selon une étude pour le National Endowment for the Arts, un Américain sur deux n’avait pas ouvert un seul livre en 2014 ? En début d’année, dans Télérama, l’Anglais Will Self y allait lui aussi de son pronostic : « Dans vingt-cinq ans, la littérature n’existera plus. » Faut-il croire ces oiseaux de mauvais augure ? Le lecteur serait-il carrément en voie de disparition ? Et le roman destiné au plaisir d’une petite coterie de lettrés ? Mauvaise passe ou chronique d’une mort annoncée ?

    La baisse de la lecture régulière de livres est constante depuis trente-cinq ans, comme l’attestent les enquêtes sur les pratiques culturelles menées depuis le début des années 1970 par le ministère de la Culture. En 1973, 28 % des Français lisaient plus de vingt livres par an. En 2008, ils n’étaient plus que 16 %. Et ce désengagement touche toutes les catégories, sans exception : sur la même période, les « bac et plus » ont perdu plus de la moitié de leurs forts lecteurs (26 % en 2008 contre 60 % en 1973). Si l’on observe les chiffres concernant les plus jeunes (15-29 ans), cette baisse devrait encore s’aggraver puisque la part des dévoreurs de pages a été divisée par trois entre 1988 et 2008 (de 10 % à 3 %).

    La lecture de livres devient minoritaire, chaque nouvelle génération comptant moins de grands liseurs que la précédente. Contrairement aux idées reçues, ce phénomène est une tendance de fond, antérieure à l’arrivée du numérique. « Internet n’a fait qu’accélérer le processus », constate le sociologue Olivier Donnat, un des principaux artisans de ces enquêtes sur les pratiques culturelles. Pour lui, « nous vivons un basculement de civilisation, du même ordre que celui qui avait été induit par l’invention de l’imprimerie. Notre rapport au livre est en train de changer, il n’occupe plus la place centrale que nous lui accordions, la littérature se désacralise, les élites s’en éloignent. C’est une histoire qui s’achève ».

    La lecture de romans devient une activité épisodique. En cause, le manque de temps ou la concurrence d’autres loisirs.

    La population des lecteurs réguliers vieillit et se féminise. Il suffit d’observer le public des rencontres littéraires en librairie. « La tranche d’âge est de 45-65 ans, note Pascal Thuot, de la librairie Millepages à Vincennes. Et les soirs où les hommes sont le plus nombreux, c’est 20 % maximum. » Les statistiques le confirment : chez les femmes, la baisse de la pratique de la lecture s’est en effet moins traduite par des abandons que par des glissements vers le statut de moyen ou faible lecteur. Dans les autres catégories, la lecture de romans devient une activité épisodique, un passe-temps pour l’été ou les dimanches de pluie. En cause, le « manque de temps » (63 %) ou la « concurrence d’autres loisirs » (45 %), comme le montre l’enquête Ipsos/Livres ­Hebdo. La multiplication des écrans, les sollicitations de Facebook, la séduction de YouTube, l’engouement pour des jeux comme Call of duty ou Candy Crush, le multitâche (écouter de la musique en surfant sur Internet) ne font pas bon ménage avec la littérature, qui nécessite une attention soutenue et du temps.

    Du côté des éditeurs, ce sont d’autres chiffres qui servent de baromètre. Ceux des ventes, qui illustrent à leur manière le même phénomène de désengagement des lecteurs. Certes les best-sellers sont toujours présents au rendez-vous. Ils résistent. Et les Marc Levy, David Foenkinos ou Katherine Pancol font figure de citadelles. Si massives qu’elles occultent le reste du paysage, qui s’effrite inexorablement : celui de la littérature dite du « milieu », c’est-à-dire l’immense majorité des romans, entre têtes de gondole et textes destinés à quelques amateurs pointus. Pascal Quignard peine ainsi à dépasser les 10 000 exemplaires, le dernier livre de Jean Echenoz s’est vendu à 16 000, Jean Rouaud séduit 2 000 à 3 000 lecteurs, à l’instar d’Antoine Volodine. Providence, le dernier livre d’Olivier Cadiot, s’est vendu à 1 400 exemplaires et le dernier Linda Lê, à 1 600 (chiffres GfK).

    Quant aux primo-romanciers, leurs ventes atteignent rarement le millier d’exemplaires en comptant les achats de leur mère et de leurs amis. « Oui, les auteurs qui vendaient 5 000 livres il y a quelques années n’en vendent plus que 1 000 ou 2 000 aujourd’hui. Et le vivent très mal », résume Yves Pagès, le patron des éditions Verticales. D’autant plus qu’à la baisse des ventes les éditeurs ont réagi en multipliant les titres pro­posés. De moins en moins de lecteurs, de plus en plus de livres ! Entre 2006 et 2013, la production de nouveaux titres a ainsi progressé de 33 %, selon une étude du Syndicat national de l’édition. Comment s’étonner alors que le tirage moyen des nouveautés soit en baisse, sur la même période, de 35 % ?

    “L’auteur est le Lumpenproletariat d’une industrie culturelle qui est devenue une industrie du nombre.” – Sylvie Octobre, sociologue

    La multiplication des écrivains est un autre effet mécanique de cette surproduction. Le ministère de la Culture recense aujourd’hui 9 500 « auteurs de littérature » qui doivent se partager un gâteau de plus en plus petit. Paupérisés, jetés dans l’arène de « rentrées littéraires » de plus en plus concurrentielles — cette année, 589 romans français et étrangers —, confrontés à l’indifférence quasi générale, les écrivains font grise mine. Ou s’en amusent, bravaches, à l’instar de François Bégaudeau, qui met en scène dans La Politesse (éd. Verticales), son irrésistible dernier roman, un auteur en butte aux questions de journalistes qui ne l’ont pas lu, aux chaises vides des rencontres en librairie, à la vacuité de salons de littérature où le jeu consiste à attendre des heures, derrière sa pile de livres, d’improbables lecteurs fantômes.

    Désarroi, humiliation, découragement : « L’auteur est le Lumpenproletariat d’une industrie culturelle qui est devenue une industrie du nombre », tranche la sociologue ­Sylvie Octobre. Editeur, Yves Pagès nuance évidemment : « Heureusement, il y a des contre-exemples qui soulignent l’intérêt de défendre un auteur sur la durée : Maylis de Kerangal, qui vendait moins de 1 000 exemplaires, a vendu Réparer les vivants à 160 000 exemplaires en grand format. » Pour éviter la catastrophe, les auteurs doivent ainsi, selon lui, faire attention à ne pas devenir des « machines néolibérales concurrentielles, s’enfumant les uns les autres sur de faux chiffres de vente ». Et surtout être lucides, et « sortir du syndrome Beckett-Lady Gaga. Il faut choisir son camp : on ne peut pas écrire comme Beckett et vendre autant que Lady Gaga ».

    De tout temps, les écrivains se sont plaints de ne pas vendre suffisamment. « A la sortie de La Naissance de la tragédie, Nietzsche n’en a vendu que 200 exemplaires et Flaubert n’avait pas une plus grande notoriété que celle de Pascal Quignard aujourd’hui, remarque la sémiologue Mariette Darrigrand, spécialiste des métiers du livre. Nos comparaisons sont simplement faussées quand on prend le XXe siècle comme référent, qui était, de fait, une période bénie pour le livre. » A croire selon elle que nous assisterions moins à une crise du livre qu’à un simple retour à la normale, après un certain âge d’or de la littérature, une parenthèse ouverte au XIXe siècle avec la démocratisation de la lecture et le succès des romans-feuilletons d’Alexandre Dumas, de Balzac ou d’Eugène Sue. Elle se serait refermée dans les années 1970-1980, avec la disparition de grandes figures comme Sartre ou Beckett et la concurrence de nouvelles pratiques culturelles (télévision, cinéma, Internet...).

    « La génération des baby-boomers entretenait encore un rapport à la littérature extrêmement révérencieux, confirme la sociologue Sylvie Octobre. Le parcours social était imprégné de méritocratie, dont le livre était l’instrument principal. Cette génération considérait comme normal de s’astreindre à franchir cent pages difficiles pour entrer dans un livre de Julien Gracq. Aujourd’hui, les jeunes font davantage d’études mais n’envisagent plus le livre de la même façon : ils sont plus réceptifs au plaisir que procure un texte qu’à son excellence formelle et ne hissent plus la littérature au-dessus des autres formes d’art. »

    Aujourd’hui, en France, trois films sur dix sont des adaptations littéraires.

    La majorité des auteurs d’aujourd’hui, comme Stendhal en son temps, devraient ainsi se résoudre à écrire pour leurs « happy few » — constat qui n’a rien de dramatique en soi : « Est-ce qu’il y a plus de cinq mille personnes en France qui peuvent vraiment se régaler à la lecture d’un livre de Quignard ? J’en doute, mais c’est vrai de tout temps : une oeuvre importante, traversée par la question du langage et de la métaphysique, n’a pas à avoir beaucoup plus de lecteurs, estime Mariette Darrigrand. Certains livres continuent de toucher le grand public, comme les derniers romans d’Emmanuel Carrère ou de Michel Houellebecq, mais pour des raisons qui tiennent souvent davantage au sujet traité qu’aux strictes qualités littéraires. »

    L’appétit pour le récit, la fiction est toujours là, lui, qui se déplace, évolue, s’entiche de nouvelles formes d’expression plus spectaculaires ou faciles d’accès. Aujourd’hui, en France, trois films sur dix sont des adaptations littéraires. « La génération née avec les écrans perd peu à peu la faculté de faire fonctionner son imaginaire à partir d’un simple texte, sans images ni musique, constate Olivier Donnat. On peut le regretter, mais elle trouve aussi le romanesque ailleurs, notamment dans les séries télé. » Dans la lignée de feuilletons littéraires du xixe siècle, Homeland ou The Wire fédèrent de nos jours plus que n’importe quel ou­vrage de librairie. De l’avis gé­néral, la série télé serait devenue « le roman populaire d’aujourd’hui » (Mariette Darrigrand), la forme « qui s’adresse le mieux à l’époque » (Xabi Molia), parlant de front à toutes les générations, à tous les milieux sociaux ou culturels, avec parfois d’heureuses conséquences (inattendues) sur la lecture (voir le succès des tomes originels de Game of thrones, de George R.R. Martin, après la diffusion de leur adaptation sur HBO).

    En cinquante ans, l’environnement culturel s’est élargi, étoffé, diversifié, au risque de marginaliser la littérature et l’expérience poétique. « Ma génération a grandi sur les ruines d’une période particulièrement favorable au livre, dit François Bégaudeau. Ce n’est pas une raison pour pleurer. Moi je viens de la marge, d’abord avec le punk-rock puis avec l’extrême gauche, j’ai appris à savourer la puissance du mineur : assumons-nous comme petits et minoritaires, serrons-nous les coudes entre passionnés de littérature, écrivons de bons livres et renversons l’aigreur en passion joyeuse. » Car la créativité est toujours là : l’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens dit recevoir chaque année des manuscrits meilleurs que les années précédentes. Et le libraire Pascal Thuot s’étonne moins du nombre de titres qu’il déballe chaque année des cartons (environ dix mille) que de leur qualité. « Il ne faut pas sombrer dans le catastrophisme : si les ventes baissent, la littérature française reste en excellente santé, assure Yves Pagès. Sa diversité a rarement été aussi forte et reconnue à l’étranger. »

    Tous espèrent simplement que ce bouillonnement créatif ne tournera pas en vase clos, à destination d’un public confidentiel de dix mille lecteurs résistants, mais trouvera de nouveaux relais et un accueil plus large chez les jeunes. Mais comment séduire les vingtenaires avec des romans à 15 euros quand le reste de la production culturelle est quasiment gratuite sur Internet ? « A la différence des séries télé, les romans sont difficiles à pirater, c’est ce qui les sauve et en même temps les tue », note Xabi Molia. Pour survivre, le roman doit faire sa mue à l’écran, s’ouvrir aux nouveaux usages, chercher à être plus abordable (sans céder sur l’exigence), notamment sur Internet où les prix restent prohibitifs. Peut-être alors ne sera-t-il pas condamné au sort de la poésie en latin...