Des conditions matérielles de production de la « philo »

/des-conditions-materielles-de-productio

  • Des conditions matérielles de production de la « philo »
    http://lemonde.fr/idees/article/2014/08/27/des-conditions-materielles-de-production-de-la-philo_4477534_3232.html

    Ensuite, sous couvert de proposer des reformulations simplifiées de Platon, Derrida, Heidegger, Spinoza, Descartes, la « #philo » amène celui qui l’écoute à entendre un langage traduisant systématiquement les démonstrations en formules assertives rehaussées d’exemples tirés du quotidien ou bien illustrées par tel film.

    La « philo » est un dédoublement linguistique qui conserve de la philosophie sa puissance et ses références, tout en affichant qu’elle est un discours commun. Sous couvert d’explicitation, le discours philosophique est traduit dans une autre langue qui, une fois énoncée, dénie l’existence d’une langue « originale ». Grande traductrice omnivore capable d’ingérer toutes les philosophies, la « philo » transforme des thèses consistantes en un jeu réglé d’opinions. Heidegger pense que… Mais Derrida affirme que… Tandis que Kant assure que… En mettant en avant ses intentions, la « philo » tente de faire croire qu’elle est transparente, que sa médiation est pure transmission et non modification.

    Le but, à ce stade, n’est plus de reprendre un raisonnement, mais de montrer que la « philo » (et elle seule) est partout, et que chacun en faisait sans le savoir. L’opération magique de dissolution du concept dans un langage quotidien tend à montrer qu’il est possible de dompter les grands fauves de la philosophie. D’un coup de fouet, les grognements sauvages du Dasein ou du Transcendantal se changent en doux miaulements domestiques. La philosophie cesse de résonner comme une langue étrangère, se plie à l’exercice de synthèse contraint et se transforme en contenu diffusable massivement.

    Or, sa politique est d’arasement : sa traduction sauvage uniformise des pensées énoncées dans des langages et des conditions d’énonciations spécifiques. En 2004, paraissait sous la direction de Barbara Cassin le Vocabulaire européen des philosophies, sous-titré Dictionnaire des intraduisibles (Seuil). En marge du globish, ce volumineux ouvrage propose de considérer le champ philosophique comme un lieu de différenciation qui ne vise à aucune unification. Face à ce projet, conçu comme une arme de combat contre le tout-communiquant, les officiants de la « philo » peuvent saisir la limite linguistique du leur, qui marche par une série de réductions probablement dommageables aux philosophies.

    pour @opironet.