Implications philosophiques » Les mystères de David Lynch (I) : « Moving pictures »

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  • Implications philosophiques » Les mystères de David Lynch (I) : « Moving pictures »
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    C’est un fait connu que Lynch refuse avec obstination d’expliquer ses films, de donner cette clé du mystère, et que c’est précisément cette décision qui a donné naissance au sentiment ambivalent du public envers Lynch. Car, ce qui se passe est très similaire à un phénomène décrit par Freud dans son texte sur l’Unheimlich à propos de certains écrivains :

    L’écrivain peut aussi intensifier et multiplier l’étrangement inquiétant bien au-delà de la mesure du vécu possible, en faisant survenir des événements qui, dans la réalité, ne seraient pas présentés du tout, ou seulement très rarement. Il nous livre alors pour ainsi dire par traîtrise à notre superstition, que nous croyions dépassée ; il nous trompe en nous promettant la réalité commune et en allant nonobstant au-delà d’elle. Nous réagissons à des fictions de la même manière que nous aurions réagi à des expériences vécues personnelles ; quand nous nous apercevons de la supercherie, il est trop tard, l’écrivain a déjà atteint son objectif ; mais je dois affirmer qu’il n’a pas obtenu un effet pur. Il reste en nous un sentiment d’insatisfaction, une sorte de mauvaise humeur du fait de cette tentative de tromperie. […] Alors l’écrivain a encore un moyen à sa disposition, par lequel il peut esquiver notre protestation et en même temps améliorer les conditions de mise en œuvre de ses desseins. Il consiste à ne pas nous laisser deviner pensant longtemps sur quels présupposés précis il a choisi d’établir son monde, ou bien à se dérober avec ingéniosité et malice, jusqu’à la fin du récit, à un tel éclaircissement décisif. [9]

    Nous sentons avec Lynch cette traitrise de l’auteur, qui nous entraîne sur une voie où nous le suivons, pour ensuite nous montrer que c’était dès le départ une illusion. Sauf qu’avec Lynch nous tombons d’un niveau de l’illusion à l’autre sans jamais réussir à émerger au niveau de la conscience et de la logique avec laquelle nous sommes habitués. C’est la résistance contre cette montagne russe de l’inconscient qui donne place à la frustration que chacun d’entre nous a ressenti en regardant pour la première fois un film de Lynch.