• La forme de vie (ou de synthèse sociale) que constitue le capitalisme a rencontré un obstacle mortel, il y a déjà près de quarante ans. Cet obstacle, c’est le capitalisme lui-même qui l’a constitué. Du fait de la nécessaire augmentation de productivité sur laquelle repose son auto-mouvement, il n’y a plus assez de travail productif (au sens du capital) à exploiter pour assurer sa reproduction. Depuis, le mort vivant maintient son élan en s’appuyant sur le gonflement de l’industrie financière qui a pris le relais d’une économie « réelle » en panne. Mais les paris sur le futur que la finance doit produire à un rythme de plus en plus effréné pour simuler la valorisation du capital, s’avèrent eux-mêmes de plus en plus intenables, particulièrement à partir de 2007-2008, et voués à s’effondrer sous leur propre poids.
    Se faire exploiter en tant que travailleur devient donc, en plus d’une contrainte inhérente à la société capitaliste globalisée, un privilège accordé à un nombre de plus en plus réduit (y compris en Chine où les grandes usines investissent dans des robots pour s’aligner sur le taux de productivité « étalon » requis par des capitaux en concurrence). Pour accéder à ce privilège, les situations sont cependant fort différentes et sont elles-mêmes le produit d’une histoire.
    Ainsi, lorsque cette forme de vie se décompose globalement, ceux qui étaient « à la traine » dans la course à la productivité vont subir en premier les effets de cette décomposition. Il n’est structurellement plus possible pour une immense part (quand ce n’est pas la grande majorité) de la population de subvenir à ses besoins dans une société qui leur a ôté par ailleurs tout moyen autonome, hors économie. Les soulèvements de 2010-2011 dans le monde arabo-musulman ont là leur principal ressort. Dans l’idéologie de crise que représentent les fondamentalismes, il va y avoir une adhésion selon deux dimensions : l’une subjective qui est l’identification à une forme de vie pré-capitaliste et donc religieuse (même si par ailleurs il n’est pas possible de faire cohabiter deux formes de synthèse sociale et que, pour l’instant, la forme capitaliste bien que défaillante reste déterminante), l’autre objective en prenant les armes qui vont permettre d’être du bon coté du manche dans l’économie de pillage qui se substitue progressivement à une économie « normale » mais en panne définitive.
    Du coté des pays du « centre » capitaliste, la décomposition, quoiqu’en cours, n’est pas aussi avancée. Par contre, une ségrégation s’est opérée qui met à l’écart les populations qui n’ont pas eu le temps de totalement s’intégrer dans la synthèse sociale capitaliste avant que celle-ci ne présente ses premiers signes de défaillances au tournant des années 1970. C’est clairement le cas pour les dernières vagues d’immigration en Europe (maghrébine en France, turque en Allemagne...) pour lesquelles la deuxième ou troisième génération ne trouve pas de place à leur tour. Le marqueur culturel apparent de cette intégration avortée devient alors le prétexte d’une idéologie raciste pour les sujets pleinement intégré dans la synthèse capitaliste au moment où ceux-ci voient se déployer les signes de sa décomposition sans pouvoir en comprendre le ressort. Une communauté illusoire est alors fantasmée par des jeunes en rupture à la fois avec une tradition familiale qui reste suspendue entre deux mondes et une forme de vie dont ils sont les surnuméraires et qui les stigmatise.
    Ainsi, le lien entre le désordre au Moyen-Orient et la volonté d’en découdre qui se manifeste en occident n’a à voir que superficiellement avec la religion. Les allers-retours des apprentis combattants ne se traduisent pas par un renforcement de la communauté religieuse mais plutôt par des instrumentalisations ou des déceptions. Souvent entamé entre 15 et 20 ans — l’age auquel nos sociétés impose brusquement une injonction à « construire » les premiers jalons d’une pseudo-autonomie, c’est-à-dire la seule perspective de devenir un producteur/contributeur de la synthèse sociale capitaliste — la radicalisation fournit un temps une paix intérieure face au chaos extérieur. Mais la perspective ne s’efface pas pour autant et au moment où elle rattrape le jeune adulte, il n’y a plus que le passage à l’acte pour s’en défaire.

  • « J’ai commis l’erreur de collaborer avec les services de l’antiterrorisme français »
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/09/17/pierre-torres-j-ai-commis-l-erreur-de-collaborer-avec-les-services-de-l-anti
    #terrorisme #PJLTerrorisme #Nemmouche

    « Nemmouche n’est pas un monstre. C’est un sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire. Ses raisons d’aller en Syrie se rapprochaient probablement plus de celles qui, à un certain degré, mènent des adolescents américains à abattre toute leur classe ou certains de nos contemporains à participer à une émission de télé-réalité, qu’à une quelconque lecture du Coran. Ce qu’il incarne, c’est une forme particulièrement triviale de nihilisme. Il est, à cet égard, un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites humiliations, stigmatisations et injustices. L’empilement sans fin de nouvelles lois antiterroristes en est l’une des facettes »

  • Pierre Torres : « J’ai commis l’erreur de collaborer avec les services de l’antiterrorisme français »

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/09/17/pierre-torres-j-ai-commis-l-erreur-de-collaborer-avec-les-services-de-l-anti

    OPÉRATION DE PROMOTION

    Cela relève évidemment de l’opération de promotion. Promotion de quoi ? Nous ne le savons pas encore – promouvoir la nouvelle loi antiterroriste en discussion au Parlement, démontrer que « les services » servent à autre chose qu’à mettre en examen des adolescentes de 14 ans « pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » –, nous verrons bien. Ce qui est certain, c’est que la seule chose qui puisse justifier la mise en danger des autres otages, c’est que quelqu’un ou quelque institution policière a vu là la possibilité de se faire mousser.

    Du point de vue des organisateurs de cette fuite, l’opération a bien fonctionné. « Jeune-délinquant-Arabe-Syrie-attentat-France-terrorisme-antiterrorisme », toute l’artillerie sémantique est déballée afin de finir de nous convaincre que nous avons toutes les raisons d’avoir peur.

    Nemmouche n’est pas un monstre. C’est un sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire. Ses raisons d’aller en Syrie se rapprochaient probablement plus de celles qui, à un certain degré, mènent des adolescents américains à abattre toute leur classe ou certains de nos contemporains à participer à une émission de télé-réalité, qu’à une quelconque lecture du Coran.

    Ce qu’il incarne, c’est une forme particulièrement triviale de nihilisme. Il est, à cet égard, un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites humiliations, stigmatisations et injustices. L’empilement sans fin de nouvelles lois antiterroristes en est l’une des facettes.

    In fine, tout le discours antiterroriste est ce qui auréole un Nemmouche de gloire. Sans cela, il aurait été considéré pour ce qu’il est, un pauvre type qui assassine des gens pour passer à la télé. En retour, on peut donner toujours plus de pouvoirs aux policiers et aux juges de l’antiterrorisme. Pouvoirs qui ne permettront évidemment pas d’arrêter plus de Nemmouche mais qui, en revanche, resserrent encore un peu plus le maillage policier et le contrôle de la population.