« Le Canard enchaîné », bon gré, magret

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    Attablé devant un expresso fumant, Michel Gaillard, le patron du Canard enchaîné, est un peu bougon. « Personne ne parle de nous quand nos ventes sont en croissance, par contre, quand on baisse un peu, c’est un ravissement pour tout le monde », raille-t-il, installé dans le café qui fait face aux locaux du Canard, rue Saint-Honoré. Louis-Marie Horeau, le rédacteur en chef de l’hebdo satirique, lui emboîte le pas : « C’est comme si d’un coup, on devenait intéressant, les yeux s’allument ! » En mars 2012, ce dernier a pris la suite de l’inépuisable Claude Angeli, aux manettes du titre emblématique pendant trente ans.

    A bientôt 100 ans, le journal, 65 salariés dont une quarantaine de journalistes, a longtemps eu une santé de fer. Mais il montre ces derniers temps des signes de faiblesse. Le 3 septembre, comme à chaque rentrée, le Canard enchaîné a publié ses comptes pour 2013. « La crise de la presse n’épargne pas, cette fois-ci, Le Canard », écrit alors Michel Gaillard. Les ventes ont en effet chuté de 16% en 2013 par rapport à 2012, avec une diffusion totale payée de 399 567 exemplaires en moyenne par semaine, dont près de 70 000 abonnés. Le résultat d’exploitation (les recettes de la vente et des abonnements du journal), lui, a presque été divisé par quatre en un an (1,2 million d’euros en 2013, contre 4,15 millions en 2012). L’an dernier, le Canard avait déjà publié des comptes 2012 à la baisse : l’érosion des ventes était de 5,7% (à 475 859 exemplaires). Son bénéfice est passé de 4,8 millions d’euros en 2011 à 2,9 millions en 2012, puis à 2 millions en 2013.

    Et le journal de comparer cette désaffection sous la présidence de Hollande au début du mandat de François Mitterrand : en 1982, le Palmipède avait vu ses ventes dégringoler de 25%. Aujourd’hui, cette baisse des ventes, précise Horeau, « n’est pas le signe d’un désamour, mais d’un manque d’appétit. Plus la vie politique est animée, meilleur est le journal. L’inverse est vrai aussi. »

    Le Canard enchaîné se distingue par sa constance. Son prix, 1,20 euro, n’a pas évolué depuis vingt-trois ans. Il ne se hasarde pas à lancer des nouvelles formules, mais conserve cette éternelle maquette vintage, avec sa pagination invariable, sa bichromie en noir et rouge, ses nombreux dessins de presse, l’absence totale de photos, son refus de la publicité, ses calembours dans les titres, et ses rendez-vous attendus comme « La mare au Canard », rubrique nourrie aux potins des politiques de tous bords.

    « Esclaves ». Mais l’hebdo se singularise surtout par son absence délibérée d’Internet. A part un petit site, qui lui permet de mettre en ligne ses unes (et de réserver le nom de domaine, plusieurs fois usurpé), et un compte Twitter pour poster les gros titres le mardi, veille de parution. « Le Canard a un lien très particulier à ses lecteurs, et Twitter participe de cette interaction », justifie Louis-Marie Horeau, qui tient lui-même le compte du journal. Mais point de site web reprenant les contenus de l’hebdo satirique : « On ne veut pas d’une opération perdant-perdant, pour paraphraser Madame Royal, sourit le rédacteur en chef. Perdre de l’argent en investissant des sommes colossales sur un site, et perdre des lecteurs du papier tout en affaiblissant les kiosquiers. » Mais la direction de l’hebdo n’est pas « fermée » pour autant : « Bien sûr qu’on y pense, on n’est pas butés, Internet, c’est sûrement l’avenir, concède Michel Gaillard, qui réfléchit notamment à une édition sur tablettes pour les lecteurs à l’étranger. Simplement, on ne veut pas tuer notre propre diffusion. Et puis, sur Internet, il y a une forte demande de réactivité, ça devient un deuxième journal. On ne veut pas que nos journalistes soient esclaves de ça. »

    Sur Internet, l’hebdo satirique s’est trouvé un adversaire tout fringant : Mediapart. Le site d’Edwy Plenel, sur le même créneau de l’investigation, revendique aujourd’hui près de 99 000 abonnés. Il s’est illustré en révélant des affaires retentissantes (Bettencourt, Karachi, Cahuzac…), et pourrait bien lui avoir chipé des lecteurs. « C’est une saine émulation », rétorque Louis-Marie Horeau. Le Canard n’a pourtant pas du tout embrayé sur l’affaire Cahuzac après les premières révélations de Mediapart. « On est vachement frileux, on est sans doute moins aventuriers qu’eux », ironise Michel Gaillard.

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