Voyage de classes - Nicolas JOUNIN

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  • Sur le terrain des riches - La Vie des idées
    http://www.laviedesidees.fr/Sur-le-terrain-des-riches.html

    [Nicolas Jounin] défend notamment l’idée que l’une des qualités essentielles de tout sociologue repose dans sa capacité à situer son objet d’étude dans un espace social plus vaste et dans sa capacité à saisir combien les subjectivités des acteurs sont variées et produites par la spécificité de leurs conditions d’existence. Dès lors, l’expérience du décentrement est fondatrice pour le sociologue : elle lui permet de comprendre à quel point sa propre expérience du monde social est particulière et contingente du milieu dans lequel il évolue ou a évolué. En amenant dans les beaux quartiers du 8ème arrondissement des étudiants originaires en très grande majorité des classes populaires et résidant pour la plupart en Seine-Saint-Denis, Nicolas Jounin leur offre ainsi l’occasion de développer ce regard réflexif indispensable à tout raisonnement sociologique.

    Bien que séparés par seulement quelques stations de métro, le choc culturel est puissant et le sentiment de dépaysement radical entre la Seine Saint Denis et le 8e arrondissement. Le moindre détail, de la rareté des toilettes publiques au prix du café, surprend les étudiants et l’un d’eux va jusqu’à se convaincre (à tort ou à raison) que là-bas même les pigeons sont différents de ceux de Seine-Saint-Denis.
    (…)
    Si, par-delà la richesse des réflexions méthodologiques évoquées, les tribulations des étudiants de Paris 8 dans certains des quartiers les plus exclusifs de France parviennent à produire du savoir, ce n’est donc pas par leur capacité à gagner la confiance de leurs enquêtés. Les étudiants de Nicolas Jounin ne parviennent que rarement à franchir les barrières de l’entre-soi et s’ils y parviennent c’est généralement dans le cadre d’une interaction très courte n’offrant aucune possibilité de prolonger davantage l’expérience. Tout au plus arrivent-ils à réaliser quelques coups de sonde très brefs en n’offrant qu’un abord superficiel de la grande bourgeoisie parisienne.

    Ce n’est donc pas un hasard si l’essentiel des analyses proposées dans cet ouvrage concerne les mécanismes d’imposition ou d’intériorisation de la domination symbolique, comme par exemple le rôle de l’espace vide dans les boutiques de luxe, les techniques mobilisées pour faire sortir les indésirables des magasins les plus exclusifs, le placement différencié des nourrices et des parents à la sortie des écoles, le rôle des contrôles policiers dans le maintien à distance des « étrangers », la réticence à servir un café aux clients détonnant avec la clientèle traditionnelle, etc. L’accumulation des petites vignettes proposées par les étudiants à leur enseignant donne à voir la puissance du traçage de frontières symboliques par les habitants de ce quartier. C’est en effet la transgression qui permet ici la production de savoir. Les étudiants enchaînent malgré eux les expériences de déstabilisation (breaching experiments) et le retour réflexif sur ces violations des normes parvient à produire du savoir.

    Chez l’éditeur :

    Voyage de classes - Nicolas JOUNIN - Éditions La Découverte
    http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Voyage_de_classes-9782707183217.html

    Une demi-heure de métro sépare les quartiers parmi les plus pauvres de France de ses zones les plus riches. Partis de Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, une centaine d’étudiants ont enquêté sur trois quartiers bourgeois du VIIIe arrondissement de la capitale. Pour s’initier à la démarche sociologique, ils ont dû se familiariser avec un monde nouveau et étrange, dont les indigènes présentent des coutumes et préoccupations insolites.
    Boire un café dans un palace pour observer ce qui s’y passe (et être traité comme un client illégitime), stationner dans les boutiques de luxe pour décrire leur organisation (et se faire mettre dehors), apprendre à manger un mille-feuilles à 14 euros avec des « bourgeoises », approcher des institutions prestigieuses où les femmes n’ont pas le droit de vote, se faire expliquer le Bottin mondain et l’arrangement des mariages, interviewer dans son hôtel particulier un grand dirigeant qui « fait partie de ces familles qui ont des châteaux un peu partout » : ce sont quelques-unes des expériences que ces étudiants du 93 ont vécues. En même temps qu’il leur a fallu dompter l’exotisme pour bien comprendre le milieu dans lequel ils pénétraient, ils ont dû encaisser l’humiliation des multiples rappels à l’ordre social que suscitait leur démarche.
    Des premières incursions anonymes et timides jusqu’aux face-à face sans échappatoire, ce livre raconte de manière crue et joyeuse les batailles livrées pour mieux connaître un monde social dominant. L’enjeu : renverser l’habitude qui veut que ce soit « ceux d’en haut » qui inspectent l’existence de « ceux d’en bas ».