Le dieu pétrole dévore le Canada, par Nancy Huston
►http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/06/14/le-dieu-petrole-devore-le-canada-par-nancy-huston_4438049_3232.html
L’omniprésence de mots positifs souligne cette absence grave de communauté. Be Unique (« soyez unique ») ! hurlent des panneaux d’affichage. Moineaux ! Aurores boréales ! Les mots bucoliques compensent la destruction massive de la nature. Sommet ! Quête ! Eden pur ! Les noms de marque exaltants démentent la bassesse irréparable de ce qui se passe ici, un viol de la terre qui empoisonne l’eau et l’air de manière irréversible. La nourriture est grasse et sucrée, indigérable… et coûteuse. Atmosphère ! Feeling ! La malbaise est à l’image de la malbouffe, ce que reflète le taux record de syphilis à Fort McMurray. Comme partout où les hommes se trouvent en surnombre et seuls, les femmes économiquement désavantagées viennent à la rescousse : l’annuaire propose dix pages de services d’escorte ; un site Internet contient deux mille petites annonces d’hommes, précisant brutalement les prestations sexuelles recherchées ; les couloirs de l’université sont vides, les librairies aussi ; en revanche, la boîte de nuit où les « girls » se succèdent comme strip-teaseuses, avant de s’éclipser avec les clients pour une brève étreinte tarifée, est le seul lieu où, chaque soir, il y a foule.