Hezbollah : les raisons d’un effondrement - L’Orient-Le Jour
▻https://www.lorientlejour.com/article/1434809/hezbollah-les-raisons-dun-effondrement.html
Joseph Maïla, professeur de relations internationales proche de feu le 14 mars, voit dans l’affaiblissement actuel du Hezbollah une conséquence de son idéologie qui l’aurait aveuglé sur la réalité de la puissance israélienne. Mais l’effondrement ne semble pas total : même sur la défensive, le Hezbollah semble encore capable d’opposer une résistance à l’avancée terrestre de l’armée israélienne.
Ce ne sont ni la technologie ni la puissance d’Israël qui ont défait le Hezbollah ; c’est l’idéologie propre à la milice chiite qui l’a perdue. À force de défigurer la réalité, le Hezbollah a créé une image alternative fantasmée d’Israël qui a affaibli sa perception et renforcé en lui la conviction d’un ennemi sur le point de s’effondrer. Toute une rhétorique s’était mise en place pour dépeindre la fragilité de l’État hébreu et la possibilité de le vaincre.
Dé-réalisation
De fait, les prises de parole régulières du secrétaire général du Hezbollah portées par une stratégie d’emprise avaient fini par faire croire à l’invincibilité d’une force militaire aguerrie par son implication dans la guerre de Syrie dans les années 2010. En face, toujours pour ce discours triomphaliste, Israël n’apparaissait plus, lui, invincible, mais éminemment faible et comme sur le point de tomber.
Le premier effet du discours de Hassan Nasrallah fut de « débaptiser » Israël. Ce dernier n’était pas un État avec lequel le Liban avait pourtant conclu une convention d’armistice et une autre de délimitation des frontières maritimes, mais une « entité », terme on ne peut plus vague et comme évanescent. Ses nationaux n’étaient pas des citoyens mais des « colons ». Ses militaires, des conscrits titulaires de « nationalités étrangères » qui auraient tôt fait de déserter le champ de bataille. En outre, cette entité était « précaire » (hash), plus « fragile qu’une toile d’araignée », « se tenant sur une jambe et demie », destructible en « quelques minutes », « en pressant sur un bouton ». Politiquement, pour le Hezbollah, Israël n’existait pas : il n’était que « la Palestine occupée », en somme, pour le parti, une situation politique figée en 1948 que le temps n’avait fait que prolonger. L’entreprise rhétorique du chef du Hezbollah aura, en définitive, contribué à totalement faire ignorer la réalité d’Israël, à évider ce dernier de sa substance, en quelque sorte, à « dé-réaliser » l’État hébreu. À la fin, ne subsistait plus dans la représentation d’Israël que le parti cherchait à imposer qu’une baudruche à laquelle pouvaient désormais s’en prendre, sans peur, les valeureux combattants du parti de Dieu galvanisés par le discours de leur chef et leur foi dans les victoires dispensées par la divine providence.
Le Hezbollah a créé une image alternative fantasmée d’Israël
Le projet militaire du Hezbollah est mort non pas du fait des attaques d’Israël contre le parti, mais d’abord des illusions du parti lui-même sur un ennemi dont il a sous-estimé le poids et la consistance, d’abord par et dans le langage qu’il tenait sur lui. Son surarmement joint à une perception erronée du rapport de force stratégique l’a emporté dans l’esprit de la milice chiite sur la dissymétrie fondamentale qui caractérisait la relation avec Israël. Sur cette inflation linguistique s’est bâtie une théorie de la dissuasion qui s’est avérée un leurre et la source d’une déconvenue tragique. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Albert Camus.