Une décision qui confirme la légitimité d’une restriction du droit de propriété au Liban
Si le CC a rejeté la plupart des arguments du recours concernant le manque de clarté et les contradictions internes du texte, le motif évoqué par le juge pour rejeter le dernier point risque de faire couler beaucoup d’encre dans la mesure où il constitue un tournant jurisprudentiel en la matière.
Dans sa décision, le CC a affirmé que « l’ordre public économique et financier peut, dans des circonstances exceptionnelles, primer sur le droit à la propriété privée garanti par l’article 15 de la Constitution ». « C’est la première fois que le juge constitutionnel a recours à cette notion, introduite par certains de ses pairs européens dans la foulée de la crise financière de 2008, en vertu de laquelle le droit de propriété protégé par l’article 15 de la Constitution peut être restreint eu égard à l’intérêt général », commente l’avocat fiscaliste Karim Daher.
« En effet, ce principe établit un classement des différents créanciers, en partant des actionnaires vers les déposants, pour les mettre à contribution, catégorie après catégorie, jusqu’à ce que le passif soit assaini », poursuit-il. « Les autorités administratives de résolution disposeront ainsi de pouvoirs considérables et les instruments utilisés ou qui seront prévus dans la future loi sur « le trou financier » pourront ainsi restreindre certains droits de propriété, puisque les grands et moyens déposants ne seront pas remboursés intégralement ni immédiatement, mais par le biais d’instruments à long terme – sur 15 à 20 ans, voire plus – d’une valeur inférieure », dit-il encore. Et de conclure : « Cette nouvelle notion permettra de même de justifier l’atteinte éventuelle et très probable à un autre principe constitutionnel, la liberté contractuelle, quand il s’agira de restreindre les pouvoirs des actionnaires et dirigeants de banques ou de les remplacer. »
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Le Conseil a supprimé de l’article 31 la phrase selon laquelle « le recours devant le tribunal compétent ne suspend pas l’exécution de la décision contestée ni n’invalide les décisions précédemment prises par la HAB – deuxième chambre, et les jugements rendus par le tribunal spécial à cet égard se limitent à la détermination d’une compensation financière ».
« Ce changement a des implications majeures », souligne Me Daher. « Auparavant, un recours ne suspendait pas les décisions de l’Autorité. Désormais, il peut en bloquer l’exécution – et c’est très grave. Cela risque de ralentir, voire de paralyser, tout le processus de restructuration », comme l’avait souligné le Fonds monétaire international (FMI). « Cela pourrait compliquer les négociations avec le fonds, qui y verrait une non-conformité avec le cadre réglementaire requis. » Lors de sa dernière mission au Liban, le FMI avait déjà exprimé son insatisfaction vis-à-vis de la version finale de la loi sur la résolution bancaire, estimant que plusieurs amendements introduits par le Parlement s’éloignaient des meilleures pratiques internationales.