Voici une observation intéressante de Thierry Noir :
Plus que les grepos finalement, ce sont les gens de Berlin-Ouest qui « le dérangent » lorsqu’il peint sur le mur. « Tous les gens qui passaient me mitraillaient de questions : ‘qui vous paye ? Le FBI, la CDU, la CIA ?’ » On l’accuse de vouloir faire du mur quelque chose de beau, d’acceptable. « Parfois, je passais plus de temps à parler qu’à peindre », s’amuse-t-il, tout en admettant qu’« il fallait être un étranger pour oser faire ça. Pour les artistes allemands, le tabou était trop grand. »
Je ne sais pas si cette interprétation décrit suffisamment la situation. Il y en avait bien d’autres artistes que lui, mais ils trouvaient simplement assez d’espaces pour créer et esposer leur art pour qu’ils se décident de faire du mur de Berlin leur toile de fond principale. Le mur entre les arrondissements à l’est et à l’ouest n’était qu’un mur parmi d’autres et il n’était pas urgent de se l’appropier. A l’époque il y avait des centaines de maisons squattées (un nombre décroissan de puis 1981) qu’il fallait décorer avec les symboles du mouvement et l’imaginaire de leurs habitants. Donc à mon avis il n’y avait pas de tabou mais simplement un manque de nécessité.
Il est vrai que le mur constituait une sorte de protection pour le micrososme des squats. Ses habitants profitaient de la volonté de maintenir l’image du monde le l’Ouest libre et de l’état de droit : On ne les expulsait qu’après de longues négotiations et après avoir fait appel à toutes les instances juridiques possibles. Souvent ils pouvaient garder leurs habitations même après avoir perdu le dernier recours juridique. Le gouvernement ne voulait pas ternir l’image de la vitrine de la liberté et les politiciens berlinois suivaient cette ligne avec l’accord du gouvernement militaire de Berlin, c’est à dire du commandant de la Berlin Brigade américaine. Le maire de Berlin-Ouest est ses proches collaborateurs se rendaient au moins une fois par mois chez le commandant pour recevoir des ordres et pour lui communiquer les souhaîts du gouvernement municipal. Le général était une sorte de petit roi tolérant qui - depuis le pont aerien et la visite de JFK - entretenait une relation d’appréciation et de tendresse réciproque avec ses sujets. Les squatteurs n’en étaient pas exempts malgré les attaques violentes des médias et des habitants les plus réactionnaires de la ville.
Les jeunes artistes allemands et leurs copains squatteurs savaient très bien que le mur les protégeait eux aussi contre les exactions du capitalisme et l’ état de droit fait pour défendre la propriété privée, même si leurs idées souvent anarchistes n’avaient pas grand chose en commun avec les pratiques du « socialisme de la réalité » ( der real existierende Sozialismus ). Ils avaient bien raison : En 1988 les troupes frontalières de la République démocratique allemande défendaient ouvertement les squatteurs contre la police de Berlin-Ouest.
▻https://de.wikipedia.org/wiki/Lenn%C3%A9-Dreieck#Besetzung
Mit Wirksamkeit der Übergabe am 1. Juli 1988 wurde das Lenné-Dreieck von mehreren Hundertschaften der West-Berliner Polizei geräumt. 182 der Besetzer kletterten als sogenannte „Mauerspringer“ über selbstgebastelte Leitern und entwendete Gitter aus der Umzäunung durch die Berliner Polizei über Barrikaden an der Mauer nach Ost-Berlin. Im Todesstreifen standen Lastwagen bereit, die die flüchtigen Besetzer aufnahmen. Die Besetzer wurden in eine Betriebskantine in Ost-Berlin gebracht, wo ihnen ein Frühstück serviert wurde. Anschließend verließen sie in kleineren Gruppen die DDR über reguläre Grenzübergänge. Im Vorfeld der „Fluchtaktion“ hatten einige Besetzer Kontakt zur DDR aufgenommen.
Quand Thierry Lenoir parle d’un tabou il relate une vision extérieure. A mon avis ce tabou n’existait pas, les opposants et les artistes berlinois les plus enclin vers la transgression d’interdits officiels s’intéressaient simplement davantage au système politique dont ils étaient issu et aux objets qui le représentaient.