Explique-moi comment Maxime Hauchard, « 22 ans, originaire d’un petit village normand » :

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  • Entretien avec François Burgat - Jean-François Daguzan
    20 novembre 2014, 00:52

    A propos du terrorisme islamique

    Maghreb Machreq « Figures de l’islamisme », (188) Eté 2006, Choiseul,Paris,p.11-20 (Entretien avec Jean-François Daguzan)

    Résumé : La notion de « terrorisme islamique » est sans doute la moins bonne possible pour désigner, si réelles soient-elles, les déchirures les plus graves du tissu politique mondial. Le label« terrorisme » sert trop souvent à disqualifier unilatéralement la violence « de l’autre ».L’appellation « islamique » nourrit une propension naturelle à« théologiser », et donc occulter la matrice profane des résistances et des oppositions internes, régionales ou internationales qui se manifestent dans le monde musulman.

    Abstract : The concept of “Islamic terrorism” isprobably the worst possible to explain themost severe but also the most poorly analyzed tensions in world politics. The label “terrorism” is itself too often mobilisedto disqualify the “violence of the other”.Categorising such violence as “Islamic” fuels a tendency to “theologise” (and thus to occult the profane origins of) oppositionsand resistances which develop in the Muslim world at a local, regional orinternational level.


    Jean François Daguzan : François Burgat vous avez publié à La Découverte, en 2005, un stimulant ouvrage « L’islamisme à l’heure d’Al Qaida » qui s’attache à une lecture critique de la question de l’islamisme et du terrorisme islamisme radical à l’aune de votre démarche scientifique personnelle et de votre connaissance de terrain du monde arabo-musulman. Que représente pour vous la notion de « terrorisme islamique » ?

    F.B. Cette dénomination est sans doute la moins bonne possible pour désigner, si réelles soient-elles, les déchirures les plus graves mais également les plus mal analysées du tissu politique mondial. Chacun de ses deux termes a en effet une portée potentiellement mystificatrice. Il est superflu d’énumérer toutes les dérives de l’usage du mot terrorisme dès lors qu’il est employé – loin de sa définition restrictive - pour disqualifier la violence de l’Autre, de celui qui résiste ou qui s’oppose. A l’échelle de l’histoire récente de la France, les résistants français aux nazis, labellisés « terroristes » par ces derniers,n’ont pas hésité, une fois au pouvoir, à faire de même à l’égard de la première génération des nationalistes algériens du FLN ; et ces derniers, dès lorsque leur propre hégémonie a été mise en cause, n’ont pas hésité à en faire autant vis-à-vis de ceux qu’ils venaient, en annulant le scrutin législatif de décembre 1991, de priver de leur victoire électorale.
    L’appellation« islamique » est une autre invitation à …y voir le moins clair possible : elle nourrit la propension naturelle à« théologiser » plus que nécessaire l’origine des tensions politiques au Proche Orient et dans le monde. La désignation de l’autre par sa seule appartenance ‘islamique’ conduit ici à sur déterminer, très unilatéralement, la variable religieuse supposée expliquer l’origine des résistances qui se développent dans le monde. Elle fait de cette variable religieuse une exclusivité du monde musulman ce qui est loin d’être le cas. Elle masque ensuite et surtout l’importance des variables trivialement profanes. Pour analyser les violences au Proche Orient, on éprouve quasi automatiquement le besoin de faire appel à un « islamologue ». Sachant la centralité que la référence religieuse continue à avoir dans la politique étrangère de l’Etat hébreu, si laïque sedise t-il ou dans celle des EU, dont on sait que le président à évoqué l’ « ordre divin » d’attaquer l’Irak, pourquoi ne mobilise t-on donc pas les services d’un « judéologue » ou d’un« christianologue »… !

    J-F D. : Je vois bien vos réserves sémantiques. Elles procèdent de l’éternel débat autour de la définition du terrorisme qui a bloqué et bloque encore les travaux des Nations Unies et tout récemment l’adoption solennelle d’une déclaration officielle euroméditerranéenne à l’occasion de la conférence des dix ans du Processus de Barcelone en novembre 2005. Je rappellerai par ailleurs qu’un chercheur est allé à la recherche des définitions du terrorisme (il en a trouvé plus de cent…). Ceci étant, Si l’on se réfère à ce que l’on appellera par facilité de langage « le terrorisme islamique », ne trouve t-on pas un appareil théorique (chez Qubt, Choukir Moustapha ou Farag) qui, par la manipulation de certaines notions ( le « grand » jihad (l’obligation absente), leTakfir, etc.), autorise ou facilite une violence extrême à l’égard de tout cequi n’est pas de son obédience (les autres Musulmans y compris). N’est-on pas dans la perspective de Michel Wievorka qui voit dans le terrorisme un« anti-mouvement social » qui se coupe des mouvements politiques et sociaux qui les ont engendré ab initio ou une « inversion » qui fait que le mouvement terroriste se retourne contre son propre camp ? et dans ce cas peu importe que les revendications soient satisfaites ou non.

    F.B. Votre question permet d’aller à l’essentiel : un acteur politique a-t-il plus de risque de recourir à la violence sectaire lorsqu’il puise ses références dans la culture islamique ?Je pense pour ma part que cultures, religions et autres « dogmes » (y compris les plus matérialistes) ont en matière de fabrication des idéologies d’exclusion des performances tout à fait comparables. Vous avez bien sûr raison de rappeler les différentes déclinaisons de ce que je nomme la« théologie de guerre » de l’égyptien dissident des Frères musulmans Sayyed Qutb. La notion de takfîr permet effectivement de priver celui que l’on déclare « mécréant » des droits et des garanties inhérents à son appartenance à la collectivité (ici, celle des croyants) et de le livrer ainsi à la violence « légitime » du groupe. Après avoir rappelé le rôle central de la répression nassérienne dans la radicalisation de cette génération islamiste des années soixante, la question qu’il faut poser est celle de savoir si cette rhétorique sectaire a ou non des équivalents dans d’autres univers de référence, qu’ils soient religieux ou profanes ou si nous sommes vraiment en présence d’une caractéristique propre à la pensée politique« islamique » . Dans ce domaine, les « capacités »anciennes de la religion chrétienne (lors des épisodes de l’inquisition ou de l’évangélisation de l’Amérique du sud), ou celles du nazisme et du stalinisme sont avérées. Mais, plus près de nous, l’actualité est tout aussi riche :interrogé sur le comportement à avoir avec la famille politique qui a remporté le scrutin législatif palestinien de janvier 2006, l’un des idéologues du très puissant et très populaire courant des évangélistes sionistes américains, le RvJohn C Hagee, a cité un verset de la bible (20-10) que je résume ainsi :« Proposez leur la paix. S’ils refusent de se soumettre (et de devenir vos esclaves),passez les hommes par le fil de l’épée et faites de leurs femmes, leurs enfants et leurs biens les vôtres » [1].Est-on très loin de la violence dite « islamique » ? Comment définir ensuite le dispositif rhétorique par lequel l’administration américaine a justifié la suspension de tous les droits applicables aux combattants de guerre emprisonnés à Guantanamo ? Ne s’agit-il pas d’une sorte d’« excommunication »qui rappelle curieusement les raccourcis du terrible « takfîr »islamique ?
    La problématique des terroristes « qui se retourneraient contre leur camp » appelle en revanche une toute autre investigation : celle de la validité de l’information que nous consommons(ou celle de l’efficacité de la désinformation que nous subissons) à propos des conflits mettant en scène des « terroristes ». L’avenir proche du conflit irakien aujourd’hui débarrassé de l’omni présent Abu Mus’ab Zarqawi,qui nous disait on, à en croire des courriers recueillis et diffusés par l’administration américaine, prônait précisément de donner à la lutte contre la majorité chiite irakienne le primat sur le combat contre la présence militaire américaine, va sans doute permettre de mesurer la crédibilité des informations qui se sont imposées dans les media à ce sujet.

    J-F D. : je vois bien vos arguments mais est-ce que vous ne vous placez pas trop du côté de « l’excuse absolutoire » ?Vous victimisez le monde musulman ; vous rappelez humiliations et atteintes à la dignité (o combien réelles) ; vous invoquez la générale Massu en référence au combat contre le voile qui serait une poursuite de la colonisation par d’autres moyens (je dois dire que j’ai été épaté par la référence à la générale – qui s’en souvient à part vous et moi ? – laquelle avait d’ailleurs adopté une jeune « musulmane ») ; vous invoquez, les régimes pourris, la Palestine, l’Irak et Guantanamo… Mais, n’est-ce pas tropfacile et complaisant que de renvoyer la responsabilité à d’autres, à un mal forcément venu d’ailleurs, comme s’il y avait un avant, le paradis perdu : le monde arabo-musulman jusqu’au XIX° siècle et un après,le monde colonial et post-colonial. Je n’ai pas le sentiment, traînant un peu mes guêtres dans ce monde là de la Mauritanie à l’Asie centrale, que le retour à un islam rigoriste soit absolument l’aspiration d’une majorité (encore faudrait-il qu’elle puisse s’exprimer, me direz-vous) et que nous soyons totalement dans le temps de la jahilliya ? On a plutôt le sentiment d’une population qui veut s’en sortir par le travail, le droit et la dignité etnon par la violence à tous prix. Enfin, le terrorisme « islamiste »tue plus de musulmans que de « croisés et de juifs ». Le problèm en’est-il pas, au fond, plus dans la fitna intermusulmane (au sens de Kepel) que dans la confrontation colonialiste ? C’est-à-dire une confrontation(au sein de chaque société) sur les voies et les moyens de sortir de la crise.

    F.B. Qui se souvient de madame Massu en dehors de vous et moi ? Des millions de gens ! Pour autant que vous considériez l’épouse du général qui a fait régner l’ordre en Algérie pour ce qu’elle est :un symbole (parmi d’autres) de la dimension idéologique et culturelle de la domination coloniale. Un symbole de ce que je considère comme une forme de« tribalisation de l’universel » : le détournement d’une cause universelle (l’émancipation des femmes) au service d’un objectif catégoriel beaucoup moins noble (la perpétuation dans ce cas, de la présence coloniale).Tout porte à croire que la page coloniale, trop partiellement écrite, n’a pas encore été tournée et qu’elle demeure au cœur de l’imaginaire politique d’une large majorité des acteurs de tout le monde musulman. Dans le contexte de la« recolonisation » américaine du moment et des offensives culturalistes qui tentent de la justifier, (l’idée que si nous apportons la culture démocratique à l’autre il cessera de nous résister …) cette référence me parait donc plus que jamais fonctionnelle, toutes générations confondues. Un homme de lettres et universitaire yéménite, résumait ainsi, en janvier 2006, l’air politique du temps : « Le cœur du problème n’est rien d’autre que la colonisation, cet ennemi juré. Sortie par la porte (…), elle est aujourd’hui rentrée par la fenêtre » [1].L’ingérence du dominant au cœur de l’intimité culturelle et religieuse du dominé a été identifiée très tôt en tant que telle. Malek Bennabi, l’un des pères spirituels du courant islamiste algérien, avait assimilé les manipulations par les autorités coloniales des institutions représentatives du culte musulman, à une façon de dire au dominé : « Ôte ta conscience de là que j’y mettre la mienne ! » [2].De l’Arabie saoudite ou de l’Iran à qui l’on réclame de « changer de culture » jusqu’à notre hexagone où la tentation de stigmatiser lesmarqueurs de la culture musulmane est loin d’avoir disparue, la référence àcette logistique culturelle de la vieille domination impériale reste biend’actualité.
    Est-ce que je cède à l’unilatéralisme –ou à l’auto flagellation - lorsque j’évoque le coût éthique et politique du soutienaveugle que l’Europe ou les Etats-Unis apportent à ces inamovibles leaders queje nomme les « Pinochets arabes » ou encore la géométrie variable del’humanisme qui tolère les atteintes répétées au droit international desbâtisseurs israélien du « mur de sécurité » ? Il faudrait parvenir àle démontrer à tous ceux qui subissent cette violence là, qui n’est ni verbaleni terminologique. Je me refuse ensuite à définir le phénomène islamiste commela volonté de retour à « un islam rigoriste » ou la caution à plus de« violence » et moins de « dignité ». Ce serait plutôt lecontraire. J’ai écrit de longue date que l’islam politique n’était pasréductible à l’émergence d’une nouvelle idéologie politique (qu’ellesoit radicale et conservatrice ou au contraire modérée et modernisatrice). J’aitenté de montrer que les acteurs qui « parlent musulman » emploientune telle variété de modes d’actions qu’il est plus exact d’évoquer unprocessus de reconnection entre le référentiel de la culture islamique etl’entier terroir de production de toutes les idéologies politiques.
    Que souhaitent les populationsmusulmanes concernées ? Admettons tous deux que nous n’en savons rien.Mais accordons nous sur un principe : que les choix exprimés par cespopulations dans des scrutins crédibles, dument surveillés par toute lacommunauté internationale, soient respectés. Malheureusement, l’empressementeuropéen à souscrire au diktat américano israélien montre que cela est loind’être le cas.
    Qu’explique ton vraiment enfin enrecourant au concept de « fitnah ». J’ai la plus grande peine àsaisir la portée explicative d’une aussi vieille invitation à l’essentialisme.Veut-on rappeler que le monde musulman évolue selon des dynamiques quiproduisent des divisions idéologiques et politiques ? Pour décrire etexpliquer ces tensions, le vocabulaire "endogène" (djihad,fitna) n’apporte alors qu’un renfort métaphorique voire seulement folklorique :quelle partie du monde, quellecommunauté humaine n’en connaît pas en effet de semblables ? Veut-onsérieusement affirmer en revanche que l’histoire du monde musulman est commecontenue en germe dans la doctrine islamique et qu’elle oscille depuisquatorze siècles entre le "djihad" (la guerre contre lesnon-musulmans) et la "fitna" (la discorde entre musulmans) ?J’ai quelque difficulté à m’accommoder d’un tel raccourci historique.

    J-F D. : Jepartage assez votre vision d’une bonne conscience bêlante venue d’occident quivient asséner sous couvert de compassion ou de dialogue mou des civilisationsdes leçons de savoir-vivre au monde arabo-musulman. De ce point de vue, lafigure de « l’orientaliste » dénoncée en son temps par Edward Saïd,demeure d’actualité. Cependant, n’y a t –il pas un risque de tomber dansle « tout colonial » comme machine à tout expliquer et, par là, àtout absoudre. N’est-on pas dans la névrose coloniale décrite par Franz Fanon,mais à l’envers ? J’ai été souvent frappé par le fait, quelque soit lepays où je me trouvais, le régime qui le dirigeait et la nature de mesinterlocuteurs, que l’on me serve si souvent le mythe du complot de l’étranger,le mal venu d’ailleurs (ex : « le Mossad a fait le 11septembre », antienne très à la mode dans les opinions publiquesactuellement). Ce principe a ceci de pratique qu’il élimine touteresponsabilité individuelle ou collective, politique ou sociale. A bien deségards, j’ai le sentiment que les « terroristes islamiques » font lejeu de l’Amérique que vous dénoncez et jouent fondamentalement contre leurcamp. Est-ce qu’il ne faut aussi réinventer la conscience critique de l’autre côtéde la Méditerranée et du Golfe ?
    F.B. Quelle est la part de responsabilité desPalestiniens écrasés sous la botte israélienne ? Et celle des oppositionsarabes victimes de l’autoritarisme de leurs dirigeants au long cours ? Ou cellede ces « Pinochets » arabes eux-mêmes, dans leur incapacité à limiter lesambitions américaines ? Il ne fait pas de doute qu’elle existe. Pas questiondonc de faire du « tout colonial » ou du tout « faute àl’occident ». Pas de problème pour « partager » lesresponsabilités. Depuis le concept de « colonisabilité », l’idée queles « dominés » ont une part de responsabilité dans leur sort est largementacquise. Mais tout demeure tout de même question proportion, de hiérarchie deces causalités, de priorité dans les axes de l’action. Pour faire cesserl’occupation militaire et les spoliations israéliennes en Palestine, faut-ilattendre – comme le suggère insidieusement la rhétorique dominante dans lesmedias (la robe des épouses des membres du Hamas est trop longue à nos yeux, iln’est donc pas mauvais que les Israéliens apportent un peu de modernité dansles territoires qu’ils occupent…) - que la modernisation politique et socialede la société palestinienne aille plus loin encore que le stade remarquabledémontré par les dernières élections ? L’évidence qui découle de la dissymétriedes forces en présence est que la responsabilité de celles qui sont du bon côtédu rapport de force est plus importanteque celle du camp qui est manifestement dominé. Il y a donc des priorités. Je merefuse, pour le seul plaisir de paraître « équilibré », à renvoyerchacun dos à dos, à traiter l’occupant sur le même pied que l’occupé. C’estRobert Fisk [3] je crois qui rappelle leparadoxe de ce principe du « 50-50 » que la presse anglo saxonne ditvouloir respecter en tous lieues. Tout va bien tant que ce principe n’est pasappliqué à ….une victime et à son bourreau, configuration où il a unimpact terriblement insidieux.
    Lorsque l’un des quatre piedsd’une chaise, ou d’une table, s’autorise à être plus haut que les autres, oubien lorsque l’on interdit à l’un d’entre eux de participer à l’équilibre dutout…c’est la fonctionnalité de tout l’« ensemble » qui estcompromise. Telle la situation de la France notamment, du monde en général.C’est ce déséquilibre là, avec ses terribles conséquences, qui doit être nommési on veut le dépasser.

    J-F D. : Je partage votreanalyse sur la notion du 50-50. Il y avait une phrase célèbre dans le milieujournaliste pour fustiger la fausse équité des faux débats et qui était :« cinq minutes pour les juifs et cinq minutes pour Hitler ». Le fauxéquilibre n’est que déséquilibre. Alors que faire ? Quel est ledépassement dont vous parlez. J’ai tendance à partager le pessimisme de Camus.La violence ne cessera pas avec la fin des injustices : « Nous avonsvu mentir avilir, tuer, déporter torturer, et à chaque fois ils n’était paspossible de persuader ceux qui le faisaient de ne pas le faire, parce qu’ilsétaient sûrs d’eux et parce qu’on ne persuade pas les représentants d’uneidéologie » (« Ni victimes, ni bourreaux », 1946). Mais,peut-être pourra t-on assécher le sol sur lequel se nourrissent les terroristeset interdire les surgeons. Dans votre livre vous proposer une« arme » absolue contre le terrorisme : le Partage. Pouvez-vousaller plus loin en guise de conclusion ?

    F.B. En évoquantl’urgence d’unpartage plus équitable des « ressources », j’entends soulignerque ce sont avant tout les dénis de représentation, sous toutes leurs formes,qui nourrissent en dernier ressort les violences terroristes. C’est une façonde me démarquer (non point tant paridéalisme, naïveté ou angélisme, que par conviction « scientifique »)des limites du traitement sécuritaire du terrorisme. Je dis mon scepticisme devantcet autisme guerrier de l’Occident qui renforce, encore et toujours, la suspicionvis-à-vis de l’autre au lieu de se décider enfin à assumer le cout de sareconnaissance. Je redis le risque qu’il y a ce faisant à accroitre les performancesde ce que j’ai nommé depuis longtemps la « machine à fabriquer desposeurs de bombes ». De Guantanamo à Bagdad, du boycott irrecevable desurnes palestiniennes jusqu’à la complaisance pitoyable à l’égard du militarismeisraélien, le traitement seulement sécuritaire des oppositions et des résistancesauxquelles nous sommes confrontés, qu’elles soient radicales ou légalistes, nousplace en porte à faux par rapport à notre propre système de valeurs au point denous pousser irrésistiblement dans le camp des « hors la loi ». En trichantavec le respect de la légalité internationale, nous privons nos politiques del’assise principale de leur légitimité. Non seulement nous augmentons le nombrede nos ennemis, mais nous hypothéquons notre droit à les qualifier et à lescombattre comme tels.
    Réclamer un meilleur partagedes ressources politiques, c’est aussi redire l’importance de l’alternance danstous les pays du sud de la Méditerranée. Or nous venons tout de même de signifier aux Palestiniens,et, à travers eux, à tout le monde musulman, que nous n’acceptons cettealternance que pour autant que soit garantie le succès du petit nombre de ceuxque nous considérons en quelque sorte comme nos uniques héritiers politiques légitimes.L’incompréhension croissante entre l’Europe et son environnement populaire arabeet musulman se nourrit ici d’une difficulté à partager des ressources qui sont del’ordre du symbolique. Nous nous révélons incapables à faire de la placedans « notre » universel politique aux lexiques et aux référentielsdes autres cultures. Comme la génération précédente a peiné à admettre lalégitimité des premières revendications nationalistes (Hitler, déjà, fut mobilisé pour disqualifier les auteursdes nationalisations !), la nôtre se refuse depuis vingt ans à admettre lalégitimité de la génération dite « islamiste ». Nous nous refusons àcomprendre que l’affirmation identitaire qui restructure les scènes politiquesdu monde musulman n’est pas nécessairement antithétique avec les valeursuniverselles de la libéralisation politique ou de la modernisation sociale. DePhilippe de Villiers à Charlie Hebdo, telle semble être la conviction d’unlarge front de nos intellectuels, toutes sensibilités confondues. Seuls les acteursusant des marqueurs symboliques de la culture occidentale peuvent à leurs yeux faireprogresser les dynamiques de modernisation. Pour le plus grand nombre, « Islam »ne rime qu’avec « théocratie » et « machisme ». Or, si unefrange d’activistes sectaires et radicaux évolue au cours de ce moment de l’histoire du monde musulman, la majorité desacteurs qualifiés d’islamistes n’y est aucunement réductible. L’affirmation« islamique » est avant tout « identitaire ». Le recoursmême ostentatoire au référentiel de la culture musulmane ne permet donc de préjuger ni des modes d’action des acteurs « islamistes » - c’est-à-dire des Talibans mais aussi ..du premier ministre turc Erdogan - ni même, en dernière instance,de la place qu’ils attribuent au religieux dans « leur » sphère politique.L’autonomisation laïque de cette sphère du politique est déjà largement acquise dans la pratique des courants issus de la tradition des Frères Musulmans. Nous ne sommes donc pas confrontés à la restauration d’une quelconque théocratie médiévale comme nous l’assènent sans se lasser nos intellectuels médiatiques : dans la droit fil de la remise à distance initiée par les indépendances politiques de nos anciennes colonies, nous sommes confrontés à un processus plus complexe mais plus banal de réhabilitation d’un lexique ou d’un référentiel « islamiques »qui sont valorisés bien moins pour leur caractère « sacré » que pour leur caractère « endogène ».
    Dès lors, notre opposition indiscriminée à la totalité du spectre des forces se réclamant de « l’islam politique » aboutit à ajouter auxdifférents économiques ou politiques inévitables, une strate d’incompréhension supplémentairedont nous pourrions parfaitement nous passer.Dès que sera tombé l’écran trompeur de régimes autoritaires - qui ne sont plusen prise avec leurs sociétés – nous risquons ainsi de nous retrouver avec unterrible déficit de communication vis-à-visde l’immense majorité de la nouvelle génération de nos voisins musu

    [1](1) Rd Naïm Ateek : Challenging Christian Sionism : Theology,Politics and The Israeli Palestinian Conflict, Cromwell Press Melisente,2006


    [2] MalekBennabi Colonisabilité, Problèmes de la civilisation, présentationAbderrahman Benamara, Dar al Hadhara, Alger, 2003

    [3] Lagrande guerre pour la civilisation L’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005) La Découverte, 2005,960 p

    #Islamisme #Burgat

    • L’idée que l’« islamisme » (qui n’est pas l’islam, ni une pratique de l’islam, mais la revendication du rôle politique de l’islam) ne serait qu’une « affirmation identitaire » intrinsèque à ces sociétés, et qu’il serait dénigré parce que s’opposant fondamentalement au colonialisme (et aux dictatures « laïques » locales), ça ne tient la route que si on occulte totalement le rôle des pétromonarchies du Golfe et de l’Iran.

      L’Arabie séoudite est le principal exportateur de pétrole du monde. Le royaume est l’allié des Occidentaux, il est intégré aux projets impériaux américains dans la région. C’est une théocratie. Son idéologie est réactionnaire. Lui et les autres pays du GCC sont les principaux financiers et exportateurs des partis politiques et groupuscules islamistes dans le monde. Et ils trahissent le mouvement palestinien depuis toujours (largement autant que les fameuses dictatures laïques).

      L’Iran dispose des deuxièmes réserves mondiales conventionnelles de brut. Ses alliés sur la scène mondiale sont la Russie et la Chine. C’est une théocratie. Elle est réactionnaire. Elle finance une autre partie des mouvements islamistes dans le monde.

      Du coup, présenter l’islamisme comme antithétique à l’impérialisme des grandes puissances est une chimère.

      Alors, très logiquement, dès qu’on évoque le rôle de l’Arabie séoudite et du Qatar, Burgat monte sur ses grands chevaux, crie à l’islamophobie, au Qatar-bashing ou au complotisme rouge-brun. Ici, ça donne :

      De l’Arabie saoudite ou de l’Iran à qui l’on réclame de « changer de culture » jusqu’à notre hexagone où la tentation de stigmatiser les marqueurs de la culture musulmane est loin d’avoir disparue, la référence à cette logistique culturelle de la vieille domination impériale reste bien d’actualité.

      Je peine à me souvenir des dernières sanctions occidentales prises contre l’Arabie séoudite au motif de « marqueurs de la culture musulmane » qui seraient, disons, un peu excessifs…

    • Pour le détail rigolo :

      Pour analyser les violences au Proche Orient, on éprouve quasi automatiquement le besoin de faire appel à un « islamologue ».

      Comme Romain Caillet et Thomas Pierret sur la Syrie ?

    • Ses analyses ne peuvent être deconnectees de la réalité car il connait
      et a connu tous les grands de ce monde. De chefs d’états aux conseillers
      de chefs d’états. Impossible de sa part de fournir donc des analyses
      qui seraient fausses. Il a côtoyé beaucoup de gens, . Sur quelle base
      Nidal fonde ses arguments ? Je répète on peut détester le diable mais approuvé quand il dit vrai même si c’est tout le temps.