Monde - Journal quotidien - Actualité économique et financière

/lec1_monde

  • Les quatre semaines où Paris a failli tout perdre, Monde
    http://www.lesechos.fr/journal20141201/lec1_monde/0203976600104-les-quatre-semaines-ou-paris-a-failli-tout-perdre-1069866.php

    Renaud Honoré / Correspondant à Bruxelles | Le 01/12 à 06:00, mis à jour à 11:27

    Le vice-président #Letton chargé de l’euro, Valdis #Dombrovskis et Le président #Commission-européenne, Jean-Claude #Juncker.
    Photo Eric Feferberg/AFP

    Ils pensaient avoir fait le plus dur. Quand fin octobre la Commission européenne finit par donner son feu vert provisoire au budget #2015 hexagonal, l’#Elysée comme #Bercy poussent un soupir de soulagement. Il a certes fallu trouver en catastrophe 3,6 milliards d’euros de nouvelles économies, mais le col a été franchi et l’arrivée paraît proche. Faux espoir. Dans les quatre semaines qui ont suivi, la France a frôlé le précipice , tout proche de devenir le premier membre de la zone euro sanctionné pour ses déficits. « En interne, il y avait plusieurs voix pour réclamer de la fermeté face à Paris », souligne un fonctionnaire européen.

    Début novembre, les choses ne se présentaient pourtant pas trop mal. Jean-Claude Juncker arrive à la tête de la Commission européenne , et il n’a guère envie de commencer son mandat par un conflit ouvert avec Paris. Pierre #Moscovici prend la place du Finlandais Jyrki Katainen – « un type pas commode » aux yeux de Paris –aux Affaires économiques. Et le vice-président en charge de l’euro, le Letton Valdis Dombrovskis, n’est pas forcément l’ayatollah de la rigueur annoncé. « Il n’est pas de mauvaise composition », juge-t-on à Paris. « Certes il a pris des mesures très dures quand il était Premier #ministre de la #Lettonie. Mais il n’aurait pas duré quatre ans à ce poste s’il n’avait pas été capable de compromis », assure son entourage.

    Pourtant, quand il embarque le jeudi 13 novembre avec Jean-Claude Juncker vers l’Australie et le G20 de Brisbane, le Letton a sa tête des mauvais jours. Des chiffres alarmants viennent de remonter des services de la Commission. Et c’est encore la France ! Ce n’est pas tant le budget 2015 qui pose problème que celui de 2014. Dès cette année, le pays est censé avoir pris des « actions suivies d’effets » (« effective actions ») pour réduire le déficit. Mais Bruxelles constate que le compte n’y est pas au vu de l’exécution du budget. Dans l’avion qui l’amène en Australie, Jean-Claude Juncker doit se rendre à l’évidence : il aura du mal à ne pas infliger une amende à la #France si le pays ne fait rien. D’autant que les 3,6 milliards d’économies additionnelles promis pour 2015 ne convainquent que partiellement les experts bruxellois. Arrivé à Brisbane, c’est ce qu’il dit en tête à tête à François #Hollande.

    Le président français tombe des nues. Les services de Bercy n’ont pas du tout identifié un tel écart dans l’exécution du budget 2014. Revenu à Paris, c’est le branle-bas de combat. La France n’a plus que quelques jours pour éviter l’humiliation des sanctions. Entre l’Elysée et le cabinet de Jean-Claude Juncker, les coups de fil se multiplient. Pierre Moscovici se démène lui aussi et organise une réunion à la hâte à Bruxelles entre les experts de la Commission et ceux de Bercy pour comprendre les écarts. Paris plaide sa bonne foi, jure que de meilleurs chiffres vont arriver fin 2014. « Ce problème technique n’aurait pas créé toute cette turbulence si la France n’avait pas suscité tant de méfiance », juge un diplomate européen. Une solution émerge alors : on donnera à la France trois mois de plus pour prouver sa bonne foi. Toujours le souci de Jean-Claude Juncker de s’éviter une crise politique majeure. Mais dans le même temps, Paris va s’engager sur un calendrier de réformes pour en finir avec les faux-fuyants. Le 21 novembre, Manuel #Valls prend alors sa plume pour écrire une lettre de 6 pages où il liste les efforts à venir du gouvernement.

    >> La lettre de Manuel Valls adressée à Bruxelles
    http://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/0203974513597-la-lettre-de-manuel-valls-adressee-a-bruxelles-1069319.php?yJ

    Quiproquo

    Les tensions auraient pu retomber, mais c’était sans compter avec Günther Oettinger. En privé, le commissaire allemand au Numérique ne se gêne pas pour critiquer la France, aussi bien pour l’état des finances publiques que pour la qualité des voitures qui y sont produites. On imagine que la perspective de voir Paris bénéficier d’un nouveau sursis doit le faire bouillir. Alors il décide il y a dix jours de rédiger un article pour la presse européenne, bien qu’il ne soit pas du tout en charge du dossier. « Après tout, ma signature se retrouvera en bas de la décision qui sera prise, en tant que membre de la Commission », fulmine-t-il. Mais l’Allemand s’emmêle les pinceaux. Un quiproquo fait qu’une version non expurgée et non retravaillée de sa tribune – où il fustige le « récidiviste » des déficits qu’est la France – paraît sur le site des « Echos » avec 24 heures d’avance sur ce qu’il avait prévu. Catastrophe ! Les équipes de Günther Oettinger n’ont du coup pas eu le temps de prévenir de leur initiative au sein de la Commission ou à Paris. Quand il apprend la sortie de son collègue, Pierre Moscovici est furieux. « Ça a beaucoup fait jaser dans la maison, c’est clairement une méthode contraire à l’esprit d’équipe », constate un proche d’un commissaire influent.

    L’Allemand a raté son effet. Cinq jours plus tard, devant tous les autres commissaires, Jean-Claude Juncker doit poliment mais fermement le rappeler à l’ordre. Et avalise dans la foulée le nouveau délai accordé à Paris. Ce n’est qu’un répit. Déjà, les équipes de la Commission se préparent à un début d’année 2015 compliqué. Pierre Moscovici a prévenu vendredi pendant la conférence de presse : « Toutes les procédures sont à notre disposition. » Et, bis repetita, Günther Oettinger, même réprimandé, ne peut s’empêcher de renchérir : « Ce n’est que partie remise en ce qui concerne les sanctions » contre la France, déclare-t-il hier au « Spiegel », réclamant une « réforme solide du marché du travail ». Le plus dur est encore devant la France.