• ARRESTATION DU CYBERACTIVISTE YASSINE AYARI : DES PRATIQUES SECURITAIRES D’UN AUTRE TEMPS
    LA TUNISIE DE CAID ESSEBSI N’EST PAS L’ÉGYPTE DE SISSI MAIS POUR COMBIEN DE TEMPS ENCORE ?
    Alors que quatre années après la Révolution, les responsables et les exécutants sécuritaires de la dictature impliqués dans des affaires de tortures, de viols, de disparitions et de corruption n’ont toujours pas été jugés, le cyberactiviste Yassine Ayari a été interpellé dans la nuit du 24 au 25 décembre à l’aéroport de Tunis-Carthage, transféré à la caserne de Bouchoucha (lieu de sinistre mémoire) avant d’être déféré devant le Tribunal militaire de Tunis. Le procès de Yassine Ayari a été fixé au 6 janvier 2015, le juge ayant requis trois ans de prison ferme pour "atteinte au moral de l’armée et d’outrage à des fonctionnaires de l’institution militaire".
    Plus grave, cette arrestation a suscité une vraie campagne de lynchage sur Internet et dans certains médias populistes. Quelques-uns réclamaient même que le « traitre Yassine Ayari » paye lourdement pour ses propos et ses écrits. Le journal en ligne « Business News » allait jusqu’à suggérer l’application possible de la peine capitale à l’encontre de Yassine Ayari : « S’il s’avère, et c’est plus que probable, qu’il a été rémunéré pour agir ainsi, il peut risquer la peine capitale » (extrait de Business News ).
    Quoi qu’on pense des écrits sur Internet de Yassine Ayari (on n’est pas obligé forcément d’adhérer au contenu), son déferrement devant la Justice militaire pose un vrai problème de droit pour la jeune démocratie tunisienne : en quoi des magistrats militaires sont-ils habilités à juger un civil pour des propos tenus sur Facebook ? En effet, Yassine Ayari n’appartient pas aux forces armées et ne travaille pas pour le ministère de la Défense. Et même si c’était le cas, on peut s’interroger sur la légalité d’une telle procédure qui relève dans les démocraties de la justice civile.
    De plus, le climat de haine accompagnant l’arrestation de Yassine Ayari constitue un symptôme supplémentaire d’une inquiétante dérive autoritaire du processus de transition.
    Après l’affaire Boussoumah (militant français pro-palestinien refoulé du territoire tunisien le 21 décembre), l’affaire Ayari devrait sérieusement nous faire réfléchir sur cette « résilience autoritaire » qui gagne l’Etat et la société tunisiens.
    Certes, la Tunisie de Caid Essebsi n’est pas l’Egypte de Sissi, mais pour combien de temps encore ?
    Vincent Geisser