Guerre en Libye : les vérités qui dérangent d’un homme de l’ombre

?page_article=3

  • Guerre en Libye : les vérités qui dérangent d’un homme de l’ombre - Page 3 | Mediapart
    http://www.mediapart.fr/journal/france/291014/guerre-en-libye-les-verites-qui-derangent-d-un-homme-de-l-ombre?page_artic

    Est-ce que vous pensez que cette fouille a pu être motivée par la crainte que vous reveniez avec des documents susceptibles d’inquiéter le pouvoir en place à l’époque ?
    Je réponds “oui”, catégoriquement. Je suis systématiquement contrôlé à mon entrée en France, aux aéroports, lors de mes déplacements, mais cela ne va jamais au-delà. Je n’ai jamais eu droit à une fouille comme cela. Cette fois, cela a été une fouille et une saisie.

    Malgré cette fouille, à votre retour en France, vous aviez ce message à faire passer. Qu’est-ce que vous faites ?
    Effectivement, on a transmis le message des Libyens à notre contact, Marc German, qui nous servait de passerelle avec la DCRI et faisait suivre toutes nos informations en haut lieu. Il était, nous disait-il, en relations avec “le Squale” [surnom de Bernard Squarcini, ancien directeur de la DCRI – ndlr] et avec Claude Guéant, puisqu’un jour, il nous a clairement indiqué qu’il avait rendez-vous avec lui pour lui amener un message. C’était patriotique, pour nous, d’informer de la sorte les plus hautes autorités de l’État. Et c’est le jeu quand on travaille dans la sécurité militaire privée. Par ailleurs, on pensait vraiment que ce qui était proposé par les Libyens était la bonne solution : Kadhafi n’était plus le guerrier qu’il avait été et le fait qu’il accepte de se mettre à l’écart pouvait permettre de régler la situation.

    Et votre contact transmet les informations ?
    Oui.

    Que se passe-t-il ensuite ?
    Pierre Marziali repart à Benghazi. Et à son retour, nous rédigeons ensemble en France une note de synthèse destinée à la présidence de la République. Dans cette note, nous indiquons plusieurs choses. On expose que la « route du sel » qui va du centre de l’Afrique jusqu’en Italie en passant par Benghazi va se rouvrir si on “explose” la Libye. Kadhafi a fermé cette route, qui a été celle des cigarettes, des armes, de la drogue puis celle des migrants. On signale aussi la création à 45 kilomètres de Benghazi d’un centre de formation obligatoire pour les migrants dans une ville où la charia est déjà appliquée et où, en réalité, les migrants sont formés à l’islam radical et pour certains, préparés au maniement d’explosifs.

    Dans cette note, nous expliquions la dangerosité de la situation, en soulignant que le Conseil national de transition (CNT) est composé à 40 % d’intégristes proches d’Al-Qaïda, à 40 % d’anciens kadhafistes, pour certains impliqués dans des exactions, et 20 % de démocrates dont on tire les ficelles et qu’on met en avant à la télé. Enfin, nous signalons la disparition de 1 200 ogives de gaz sarin dans une caserne de la ville de Ghat, dans le Fezzan, le lieu où elles ont transité, et le fait qu’elles étaient destinées au Hezbollah, au Liban.

    Vous faites donc savoir à l’Élysée, d’une part, qu’une solution diplomatique est possible et, d’autre part, que le CNT n’est pas un bloc homogène et animé des meilleures intentions…
    Transmettre cette note était peut-être naïf. L’idée était de dire : “Attention, vous vous laissez entraîner sur un terrain dangereux par des gens qui ne connaissaient pas la réalité du terrain.” Il était peut-être encore temps de s’arrêter. La note est tellement importante pour nous que l’on sollicite nos réseaux pour qu’elle soit transmise en mains propres à l’Élysée. Un ami franc-maçon nous met en relation avec un commissaire divisionnaire en poste à l’Élysée. Il assure la permanence du ministère de l’intérieur à la présidence de la République. C’est un service qui est chargé, 24 heures sur 24, d’aviser le secrétaire général ou le président en cas d’événement majeur.

    Donc nous sommes allés à l’Élysée. Ce commissaire a lu la note devant nous, puis il a nous dit : “Je vais transmettre, c’est trop important.” Le soir même, je reçois un mail de ce commissaire me disant que la note a été remise aux deux personnes qui avaient à en connaître, à savoir MM. Sarkozy et Guéant. J’ai gardé le mail.

    Vous avez un retour ?
    Le retour, c’est que notre relation avec le gouvernement ne semble pas mauvaise. Et que notre intermédiaire avec l’État, Marc German, nous recommande d’aller à Benghazi, dans la perspective de l’arrivée du président Sarkozy sur place, pour rendre visible l’antenne de notre société de sécurité sur place. On a fait un geste et il y a un retour positif. Nous croyons que c’est un adoubement. Par ailleurs, nos deux contacts officieux nous assurent qu’ils ont un feu vert pour venir eux aussi, et nous accompagner.

    Vous voulez vous implanter dans une zone que vous décrivez vous-mêmes dans votre note à l’Élysée comme très dangereuse. Vous prenez donc un risque important. Vous pouviez être perçus par l’insurrection comme des espions de Kadhafi, non ?
    Je ne crois pas. L’objectif de Pierre Marziali, qui était un technicien en matière militaire, était de créer une société militaire privée sur le modèle américain de Blackwater, qui avait si bien réussi en Irak. Il souhaitait s’implanter à Benghazi et ouvrir un couloir jusqu’à l’Égypte, pour sécuriser les déplacements de diplomates et d’hommes d’affaires.

    Au sein du CNT, les anciens du régime Kadhafi nous connaissaient. Ils savaient que nous étions des amis de la Libye et que nous étions là pour faire des affaires. Les autorités de Tripoli étaient elles aussi informées de nos projets. Mais il est possible qu’une information différente ait été diffusée pour nous nuire. Je ne l’exclus pas. La veille de la remise de notre note à l’Élysée, des membres du CNT étaient reçus par la présidence. Notre note a peut-être foutu le bordel sans que nous le sachions.

    Pour vous, la version officielle concernant la mort de Pierre Marziali n’est donc pas bonne. Quelle est votre hypothèse ?
    Son assassinat a été, on va dire, orienté…

    Par la France ?
    Je vois mal par qui d’autre.

    Parce que vous en saviez trop ?
    Certainement parce que nous étions des empêcheurs de tourner en rond. On venait mettre de la complexité et indiquer que tout ça n’était pas blanc, mais plutôt gris, presque noir, alors que BHL chantait sur les toits que les gars du CNT étaient des anges, alors qu’il ne les connaissait que depuis deux jours. Et la suite nous a donné raison, je crois.
    Mouammar Kadhafi, le jour de son exécution, le 20 octobre 2011Mouammar Kadhafi, le jour de son exécution, le 20 octobre 2011 © Reuters

    Comment interprétez-vous l’entêtement français à ne pas privilégier la solution pacifique, également défendue par l’Union africaine ?
    D’après moi, Kadhafi était condamné à mort depuis le départ. C’est certain. Nous n’avons pas été les seuls à faire remonter les mêmes informations. Il y avait des diplomates, des agents. Pourquoi ces informations n’ont-elles pas été étudiées sérieusement ? Parce qu’il fallait à tout prix supprimer Kadhafi. La mise à mort était programmée. Le CNT ne pouvait pas mettre en place une opération pareille. Pour intercepter son convoi à Syrte, il fallait d’abord le géolocaliser. Le CNT n’en avait absolument pas les moyens. Kadhafi a ensuite été abattu et rien n’a été fait pour le garder vivant et le juger. Surtout pas. Trois ans après, j’espère que les langues vont se enfin délier dans les services. Je peux vous assurer qu’on leur a fait faire des choses qu’ils ne voulaient pas.

    Vous pensez que nous sommes dans un grand mensonge d’État ?
    J’en suis persuadé, oui. C’est la raison d’État