• Le petit père du stop - Libération
    http://www.liberation.fr/culture/2010/08/13/le-petit-pere-du-stop_671756

    Dans une forêt près de Moscou, les moustiques s’activent en cette soirée d’été. [Ce reportage a été réalisé au début de l’été avant que les incendies ne ravagent les forêts russes, NDLR] Une cinquantaine de personnes assises en rond sur des troncs d’arbre discutent tranquillement. La plupart sont habillées de couleurs vives, certaines en combinaisons jaune fluo, d’autres en sarouel, coiffées d’un pakol afghan ou d’un krama cambodgien. D’un bond, un homme barbu en tee-shirt orange fend le cercle, une batte de base-ball à la main, et se met à hurler. « Attention ! Tout le monde ouvre ses oreilles ! Des humains sont requis pour aller chercher du bois. Il faut en apporter plus pour le feu ! Ceux qui vont en chercher sont de bonnes personnes, ils sont utiles à l’humanité. Mais ceux qui agitent leur langue et fuient les tâches utiles en se cachant dans leur tente, ces humains sont des traîtres à la cause nationale ! Il nous faut travailler ! Seul le travail sauvera l’humanité ! » Dans la foule, des rires fusent, alors qu’Anton Krotov, gourou des auto-stoppeurs russes et célébrité du petit monde des routards de l’ex-Union soviétique, continue à crier à toute allure le programme du week-end. « Avant de déclarer ouvert le quatrième Camp de forêt sobre de l’Académie des voyages libres, l’AVP, j’aimerais que chacun se présente. Pour ceux qui ne me connaîtraient pas encore : Anton Krotov, voyageur, écrivain, auteur de nombreux livres et président de l’AVP. »

    Sous l’égide de ce trentenaire énergique, plus de 200 voyageurs de Russie, de Biélorussie ou d’Ukraine se retrouvent chaque année, pendant quatre jours, dans la forêt, à 100 km au nord de Moscou, entre deux voyages au bout du monde. Tout le monde participe à la construction du camp et à la popote, sans boire une seule goutte d’alcool, une rareté en Russie où les sorties en forêt sont souvent synonymes de barbecues très arrosés. Le soir, des projections de photos ou de films sont organisées, et tous ceux qui le veulent narrent leurs dernières péripéties : l’un raconte son pèlerinage à La Mecque, l’autre comment voyager en auto-stop avec un nourrisson, de Vladivostok jusqu’en Norvège, un troisième dévoile toute la vérité sur les récentes émeutes en Thaïlande.

    Qu’il soit cycliste cinquantenaire ou jeune néohippie assoiffé de « positif », chacun d’entre eux a un jour pris la route avec en poche le « petit livre jaune » d’Anton Krotov, une brochure format A6 intitulée Pratique des voyages libres. De manière détaillée, Krotov y expose la quintessence de sa « science du voyage » : comment se déplacer en stop en voiture, en train, en avion ou en bateau, comment voyager avec peu ou sans argent, quel équipement choisir, comment se comporter avec la population locale… Un guide réédité sept fois et tiré à plus de 100 000 exemplaires. Quant aux plus anciens, ils ont eux-mêmes suivi l’auteur dans ses premières expéditions en Russie, en Asie ou en Afrique, dans les années 90. Une époque où, malgré l’ouverture soudaine des frontières, la jeunesse russe assoiffée de nouveaux horizons ne pouvait guère voyager, faute de moyens.

    Pratique des voyages libres vient d’être édité chez Pontcerq http://pontcerq.toile-libre.org/013%20krotov.htm