Pour mes élèves de Seine Saint-Denis

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  • LES TRIBULATIONS D’UN AUTEUR DANS UN LYCÉE DE BANLIEUE AU LENDEMAIN DE LA MANIFESTATION

    Je suis parti tôt de chez moi. Comme tous les auteurs dramatiques je n’ai pas de permis, j’ai donc pris un RER puis deux bus pour rejoindre un lycée professionnel dans le Val de Marne où je dois rencontrer deux classes de terminale pour leur parler de théâtre. Comme à chaque fois je me suis perdu, et bien sûr comme à chaque fois les rues étaient désertes au moment de mon égarement. J’ai fini par trouver l’établissement en question, planté dans une zone pavillonnaire plutôt jolie. J’ai poireauté un moment devant le portail cadenassé en raison du plan Vigipirate avant d’être reçu par le proviseur. Celui-ci est habillé comme tous les proviseurs, il a un costume bleu pétrole et une cravate rouge. C’est à croire que tous les proviseurs se fournissent dans le même magasin. Il m’a introduit dans son bureau qui ressemble à tous les bureaux de tous les proviseurs, une table Conforama en agglo et une cafetière Moulinex. L’ambiance est tendue mais mon hôte est affable :

    https://www.facebook.com/mohamed.kacimi.9/posts/10205650057991726
    #Charlie_Hebdo #éducation #en_parler_en_classe #école

  • Tailspin - Pour mes élèves de Seine Saint-Denis
    http://tailspin.fr/post/107696839163/pour-mes-eleves-de-seine-saint-denis

    Je regrette vraiment qu’aujourd’hui les élèves du 93 soient stigmatisés, au lendemain de l’attentat terroriste, et je ne comprends pas pourquoi les médias choisissent de titrer, dans un geste racoleur qui me fout sérieusement la gerbe, « Les élèves de Seine Saint-Denis ne sont pas tous Charlie ».
    Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.
    Pas d’amalgame, dit-on.
    Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître.
    Oui, il y a des connards en Seine Saint-Denis. Oui, il y en a qui sont bien contents que Charb se soit pris une balle dans la tête.
    Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas pour ces attentats. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas d’accord avec l’intégrisme islamiste. C’est même le contraire. Certains ont écrit spontanément des plaidoyers pour la liberté d’expression. D’autres ont eu des remarques plus intelligentes que certains adultes. D’autres ont lu « Liberté » de Paul Eluard en sanglotant.
    En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne.
    Pendant ce temps-là, des Musulmans et des Musulmanes se font agresser. Des mosquées sont incendiées, taguées, injuriées.

  • Pour mes élèves de Seine Saint-Denis (Tailspin)
    http://tailspin.fr/post/107696839163/pour-mes-eleves-de-seine-saint-denis

    Alors ils m’ont dit ce qu’ils pensaient. Tout le monde a participé à la discussion. Voici ce qu’ils m’ont dit.
    Ces gens-là, madame, c’est pas des musulmans, c’est des tarés.
    C’est péché de tuer.
    Ils sont cons, ils vont aller en enfer, ils ont pas droit de tuer les gens. Allah est le seul qui peut juger, on n’a pas le droit de juger.
    Mais madame, si les dessinateurs étaient menacés de mort depuis longtemps, pourquoi ils ont continué ? Ils auraient dû arrêter, ils auraient été tranquilles. C’était quand même un peu abusé, ils en rajoutaient tout le temps.
    […]
    Toutes et tous ont compris. Aucun ne m’a dit : « C’est bien fait », « Ils l’ont bien cherché », « Je suis bien content-e ». Aucun. Je n’ai pas eu besoin de les mener à dire quoi que ce soit. Ils l’ont dit eux-mêmes. Les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas des idiots.

    Et moi non plus, enseignante, je ne suis pas idiote. Je ne baigne pas dans la démagogie dégueulasse dont on nous pense souvent coupables.
    Je sais qu’une poignée d’élèves a refusé de faire la minute de silence, quand une grande majorité l’a respectée sans aucun problème. Curieusement – ou pas – ce sont les mêmes élèves qui, tout au long de l’année, ne respectent pas l’école ni les enseignant-e-s. Les mêmes qui viennent au collège sans leurs affaires, ne font pas leur travail, n’apprennent pas leurs leçons, perturbent le cours. Les mêmes dont les parents ne viennent pas aux réunions de remise des bulletins, les mêmes dont la famille ne répond pas au téléphone. Les mêmes dont nous peinerons à freiner la déscolarisation.
    Ce n’est pas une coïncidence.
    […]
    Lorsque je vois qu’un quotidien national, quelques jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, part investiguer dans le 93 pour savoir comment ont réagi les élèves, je m’interroge, parce que l’odeur qui émane d’une telle démarche n’est pas très agréable à sentir.
    Pourquoi le 93 ? Aucun de ces terroristes ne venait de Seine Saint-Denis. Aucun. Pourquoi le 93 ?
    […]
    Je regrette vraiment qu’aujourd’hui les élèves du 93 soient stigmatisés, au lendemain de l’attentat terroriste, et je ne comprends pas pourquoi les médias choisissent de titrer, dans un geste racoleur qui me fout sérieusement la gerbe, « Les élèves de Seine Saint-Denis ne sont pas tous Charlie ».
    Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.
    Pas d’amalgame, dit-on.
    Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître.
    Oui, il y a des connards en Seine Saint-Denis. Oui, il y en a qui sont bien contents que Charb se soit pris une balle dans la tête.
    Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas pour ces attentats. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas d’accord avec l’intégrisme islamiste. C’est même le contraire. Certains ont écrit spontanément des plaidoyers pour la liberté d’expression. D’autres ont eu des remarques plus intelligentes que certains adultes. D’autres ont lu « Liberté » de Paul Eluard en sanglotant.
    En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne.
    Pendant ce temps-là, des Musulmans et des Musulmanes se font agresser. Des mosquées sont incendiées, taguées, injuriées.

    #éducation #médias #stigmatisation #collège #Seine-Saint-Denis

    • 1 autre témoignage :http://www.chouyosworld.com/2015/01/14/mes-eleves-un-drame-et-des-mots

      Et encore plus intéressant encore, une collecte de témoignages par un collectif de profs d’histoire-géo, où l’on découvre (alors qu’on devrait partir de là à mon sens) que certains élèves sont terrorisés : « Bonjour Madame,

      Je suppose que vous avez appris pour le Charlie Hebdo mercredi.. hier à Montrouge et ce matin prise d’otages.. a dammartin plusieurs coup de feu depuis 9h15.. en Seine et Marne... A coté.. de chez nous .. ça fait peur.. moi même Je commence à avoir peur Madame... Ai-je raison d’avoir peur ? ... »

      "Et ils ont « débattu » quasiment sans moi ensuite. Pareil, ni plus ni moins intéressant qu’avant. 
Mais avec beaucoup plus de scepticisme sur les pistes possibles pour sortir de cette merde.
"Il faut attendre qu’ils nous mettent dans des trains pour qu’il y ait un sursaut" dit l’une, citant Zemmour et Houellebecq. 
"C’est pas nous qui pouvons faire quoi que ce soit"
Un moment sur la violence qui a débouché sur une petite touche conspirationniste que j’ai désamorcée en me levant pour feindre de chercher les micros des RG et en faisant le clown pour les convaincre que j’étais une espionne, d’ailleurs, ai-je dit, « ne suis je pas un peu différente de d’habitude »

      « Bonsoir madame
J’avais un rdv médical aujourd’hui c’est pour ça que je n’ai pas pu assister à vos cours. Je voudrais vous posez des questions sur ce qu’il se passe en ce moment désolé de vous déranger alors que vous êtes en week end. Pensez vous que ça pourrait s’aggraver encore plus ? Que ça va être comment l’attentat du 11 septembre ? Vous pensez qu’il peut y avoir une guerre ? Je suis terrorisé j’ai même plus envie de sortir de chez moi c’est horrible d’instaurer un climat de terreur aussi fort. Je ne sais pas à qui poser mes questions et je pense que vous êtes la mieux placer. »

      « Je suis sortie vidée et assommée surtout par leur sentiment d’impuissance. Ils sont convaincus d’un fatalisme qui fonctionne sur une tautologie assez inextricable : l’Etat (ils ne savent pas ce qu’est l’Etat, il faudra y réfléchir) ment mais l’Etat fait. Donc eux n’ont rien d’autre à faire qu’à attendre que l’Etat fasse mais l’Etat ne fera rien d’autre que mentir. CQFD. Inertie. »

      http://aggiornamento.hypotheses.org/2538

  • Tailspin - Pour mes élèves de Seine Saint-Denis
    http://tailspin.fr/post/107696839163/pour-mes-eleves-de-seine-saint-denis

    Lorsque j’ai appris l’attaque de Charlie Hebdo, je rentrais de l’école. Un message, puis deux, sur mon téléphone. Puis je suis restée bloquée sur les chaînes d’information pendant un long moment sans pouvoir rien faire d’autre. Je me suis mise au travail, car c’était un mercredi après-midi et que j’avais des copies à corriger. Des copies de brevet blanc, un sujet d’argumentation : « Pensez-vous que tous les élèves de France ont les mêmes chances de réussir à l’école ? ». J’ai lu, j’ai corrigé, sans être jamais loin de mon écran d’ordinateur. J’ai bu beaucoup de café. L’atmosphère était pesante. J’ai pleuré comme on pleure lorsque toutes les vannes sont ouvertes d’un coup, avec de gros sanglots, des hoquets, le visage rougi. Très vite, j’ai pensé à mes élèves, collégiens et collégiennes, de toutes les couleurs, de toutes les origines. Musulmanes et musulmans, pour beaucoup. Voici ce qui s’est passé le lendemain matin, jeudi 8 janvier, lorsque je suis arrivée au collège de Seine Saint-Denis où je travaille.

    #école #enseignement #Seine_Saint_denis #Charlie_hebdo #terrorisme

  • http://seenthis.net/messages/328910

    CollectifLieuxCommuns
    A Saint-Denis, collégiens et lycéens ne sont pas tous « Charlie »
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/10/a-saint-denis-collegiens-et-lyceens-ne-sont-pas-tous-charlie_4553048_3224.ht

    #JenesuispasCharlie, c’est aussi le hashtag qui a commencé à apparaître sur Twitter, ces dernières heures, comme un contre-pied – presque une provocation – face la mobilisation suscitée par l’attentat contre Charlie Hebdo, mercredi 7 janvier.

    #JenesuispasCharlie
    #je_ne_suis_pas_Charlie

    • @geneghys on le trouve aussi sous cet URL http://mobile.lemonde.fr/societe/article/2015/01/10/a-saint-denis-collegiens-et-lyceens-ne-sont-pas-tous-charlie_4553048_

      A Saint-Denis, collégiens et lycéens ne sont pas tous « Charlie »

      Le Monde.fr | 10.01.2015 à 00h11 • Mis à jour le 10.01.2015 à 01h07

      « Je ne suis pas Charlie » : la phrase était inscrite sur le colis suspect trouvé, ce vendredi 9 janvier, dans la salle des professeurs du lycée Paul-Eluard de Saint-Denis. « Il n’y avait pas de bombe, mais des câbles et un détonateur », soufflent Maryam et Marie-Hélène, deux élèves de 1re, à la sortie des cours, encore chamboulées par « cette semaine de fous ».

      #JenesuispasCharlie, c’est aussi le hashtag qui a commencé à apparaître sur Twitter, ces dernières heures, comme un contre-pied – presque une provocation – face la mobilisation suscitée par l’attentat contre Charlie Hebdo, mercredi 7 janvier.

      « ILS ONT INSULTÉ L’ISLAM ET LES AUTRES RELIGIONS »

      La plupart des élèves croisés, vendredi après-midi, à Saint-Denis s’y reconnaissent. Ils condamnent l’assassinat des caricaturistes... Mais presque autant que leurs caricatures. Pour tous, la vie est sacrée, mais la religion aussi. « Moi, la minute de silence, je ne voulais pas trop la faire, lâche Marie-Hélène, 17 ans, je ne trouvais pas juste de leur rendre un hommage car ils ont insulté l’islam, et les autres religions aussi. »
      ...
      Par Mattea Battaglia et Benoit Floc’h

    • http://tailspin.fr/post/107696839163/pour-mes-eleves-de-seine-saint-denis

      Lorsque je vois qu’un quotidien national, quelques jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, part investiguer dans le 93 pour savoir comment ont réagi les élèves, je m’interroge, parce que l’odeur qui émane d’une telle démarche n’est pas très agréable à sentir.
      Pourquoi le 93 ? Aucun de ces terroristes ne venait de Seine Saint-Denis. Aucun. Pourquoi le 93 ?
      Pourquoi, tiens, n’allons-nous pas enquêter pour savoir les horreurs qu’ont dû proférer les collégiennes et les collégiens dont les parents votent Front National ? Pourquoi les journalistes ne sont-ils pas allés se poster devant les écoles de Béziers ? De Fréjus ? D’Hayange ? D’Hénin-Beaumont ? Pourquoi ne nous donne-t-on pas le droit de nous indigner des propos qu’ont très certainement tenus ces enfants qui, malheureusement pour eux, sont tout aussi imprégnés des idées de leurs parents et de leur milieu que la poignée d’élèves séquano-dionysiens ?
      Je regrette vraiment qu’aujourd’hui les élèves du 93 soient stigmatisés, au lendemain de l’attentat terroriste, et je ne comprends pas pourquoi les médias choisissent de titrer, dans un geste racoleur qui me fout sérieusement la gerbe, « Les élèves de Seine Saint-Denis ne sont pas tous Charlie ».
      Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.

  • Le désarroi d’une prof qui parle de « Charlie » à ses élèves

    « Madame, me dit-elle, on ne va pas se laisser insulter par un dessin du prophète, c’est normal qu’on se venge. C’est plus qu’une moquerie, c’est une insulte ! » Contrairement au précédent, cette petite pesait ses mots, elle n’était pas du tout dans la provoc. À côté d’elle, l’une de ses amies, de confession musulmane également, soutenait ses propos. J’étais choquée, j’ai tenté de rebondir sur le principe de liberté et de liberté d’expression. Puis c’est un petit groupe de quatre élèves musulmans qui s’est agité : « Pourquoi ils continuent, madame, alors qu’on les avait déjà menacés ? »

    http://www.lepoint.fr/societe/le-desarroi-d-une-prof-qui-parle-de-charlie-a-ses-eleves-09-01-2015-1895173_

    • Ce qui me désole, c’est la fracture que cet événement tragique a créée dans des classes d’habitude soudées. Tout cela a divisé les élèves. Il régnait aujourd’hui une ambiance glauque, particulière. Cette classe de 4e sympa, dynamique, était soudain séparée en deux clans. Les communautarismes ont resurgi d’un coup. Et ça me fait peur pour la suite.

      mais c’est quand-même sacrément cynique pour Le Point de publier un papier comme ça sachant la quantité de unes à sous-entendus islamophobes qu’ils ont publiées et qui ont bien contribué aux crispations ambiantes.

    • sur le même sujet, sur le blog d’un prof
      https://monsieursamovar.wordpress.com/2015/01/09/leur-minute-de-silence

      Une minute de silence.

      Le chef sait, le chef nous le dit, ça peut être dur à tenir. Le chef, à demi-mot, nous dispense. Fierté idiote, je ne saute pas sur l’occasion. Je devrais. Parce que cette minute, je ne peux pas encore la vivre en tant que prof. Ça remue trop de choses, l’humain déborde. Pourtant, après avoir annoncé le programme du cours, je me lance :

      « J’imagine que vous savez ce qui s’est passé hier. »

      Bruissement léger. Du vent dans les feuilles. Ils savent ce que je m’apprête à dire.

      « Comme c’est souvent le cas lors d’événements aussi graves, il nous a été demandé, à midi, d’observer une minute de silence. »

      Rumeur commune, quelques secondes… qui éclate en dix réactions adolescentes, prisme. Lola, la première, panique : « Monsieur ! Ça va nous faire perdre du temps pendant le contrôle ! » Latifa soupire, agacée. Memet profite du relâchement pour se balancer sur sa chaise. Rien d’autre ?

      « Et si on est contre ? »

      Ken me regarde derrière ses lunettes double-foyer. Il l’a dit doucement, dans un souffle. Lorsque je tourne le regard vers lui, il le baisse.

      « Ouais. Ouais je suis contre ! »

      Ibrahim qui n’avait pas prononcé un mot jusque là hoche la tête. Soulagé. Quelqu’un a formulé ce qu’il ne voulait, ce qu’il ne pouvait pas dire. Je sens vingt paires de regards se braquer sur moi. En quelque sorte, tout le monde joue son rôle. Le tableau attendu ici est le professeur indigné partant dans la tirade républicaine incompréhensible. J’inspire rapidement.

      « Contre quoi ? »

      Et, chose rarissime, je m’assois. Ken me regarde en penchant la tête.

      « Pardon ?
      – Vous êtes contre. Contre quoi ?
      – Contre la minute de silence.
      – Pourquoi ?
      – Parce qu’ils insultaient le prophète !
      – Qui ?
      – Eux !
      – Qui ?
      – Les morts ! »

      C’est toujours le même malaise. Violent. Celui ressenti lorsque les mômes, qui qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, s’arc-boutent sur des fétus de paille.

      « Donc ce n’est pas triste qu’ils soient morts.
      – Ils insultaient le prophète. Ils étaient anti-musulmans.
      – Comment ?
      – Ben en dessinant.
      – En dessinant quoi ?
      – C’est bon, je suis contre, c’est tout ! »

      Nous y voilà. Le « c’est bon ». Les deux mots dont j’ai appris à me méfier comme de la peste depuis mes débuts de prof. Le « c’est bon », c’est la fin du débat. Là où la peau s’arrête, la chair est à vif. On s’arrête au « c’est bon », c’est la dernière frontière. Parce qu’après, après ça, il n’y a plus rien. Ken est allé au bout de ses arguments, si j’insiste, je toucherai à sa personne, à sa vie privée peut-être, et il ne me le pardonnera jamais. Je change de tactique. Je projette une couverture de Charlie. Les mômes zyeutent, incrédules. Un « mais c’est chrétien, ça ! » fuse. Ils déchiffrent péniblement les bulles. Avant de se mettre à rire. Pour la première fois de ma vie, je bénis Nabilla. Ibrahim se tourne vers moi, suspicieux.

      « Vous êtes pas offensé monsieur ? Ils se moquent des chrétiens, là. »

      Ce n’est pas le moment. Pas le moment de parler de laïcité, de l’amalgame blanc = chrétien. Pas encore. J’explique juste doucement que l’humour, c’est d’abord savoir se moquer de soi. Et que c’est pour ça qu’il y a si peu de gens drôles. Loubia conteste, Antoine argumente. Ken se détend. Me demande pourquoi, alors, ils se moquaient de tout le monde à Charlie, pas seulement d’eux. J’explique. La satire. La liberté d’expression. L’humour, les débordement, les condamnations par la justice, d’un côté comme de l’autre. Le visage d’Ibrahim s’ouvre un peu. Juste un peu. Parce que pendant tout mon laïus il psalmodie un « c’est vous qui le dites, c’est vous qui le dites. » Il a peur. Et je le comprends. Je les comprends. Depuis vingt minutes nous parlons. Les paroles avancent, lentement, dépassent la frontière du « c’est bon », et s’enroulent en hélice d’ADN pour coloniser le vide qui règne au-delà. Liberté d’expression, attentats, différence entre islamique et islamiste (« ils font pas attention aux suffixes, les journalistes, c’est grave, c’est très grave ! »).

      Et peut-être, juste peut-être, est-ce l’un des enjeux, non seulement des profs mais du règne humain. Coloniser le « c’est bon ». Remplacer la violence du vide par des mots, des interrogations, étendre les mondes intérieurs. Ouvrir des fenêtres qui permettront de lever le nez quand les pires extrêmes ne proposeront que des tunnels aveugles.

    • C’est là qu’on s’aperçoit que le fait culturel, l’éducation sont difficilement déboulonnables. On ne change pas un système de pensée comme on change une ampoule grillée. D’aucuns prétendent que la parole est souvent bénéfique et libératrice de tension mais elle peut être aussi génératrice d’angoisse en essayant de combler la « violence du vide ».
      Je ne dis pas qu’il est préférable de se contenter d’un « c’est bon » mais il conviendrait plutôt d’accepter le fait que la tâche est ardue et qu’il faut sans cesse en tant qu’éducateur remettre sur le métier sans relâche et fréquemment. En tant qu’enseignant, notre rôle est certes important mais limité. Nos élèves ne nous appartiennent pas et nous ne sommes pas des directeurs de conscience.
      Je trouve l’exemple de ce prof remarquable par sa finesse d’analyse de la situation.

    • moi aussi Hermano, un type pareil est précieux, j’ai posté sur son blog l’expression de mon admiration pour son travail. Je ne sais s’il est un exemple rare mais il est certainement à faire connaître

    • @koldobika

      j’ai un vrai problème avec l’emploi de « coloniser » et avec la hiérarchie prof/élève.
      mais lire un témoignage qui aborde un petit peu la complexité du sujet, même de façon incomplète et discutable, fait du bien.

      Le visage d’Ibrahim s’ouvre un peu. Juste un peu. Parce que pendant tout mon laïus il psalmodie un « c’est vous qui le dites, c’est vous qui le dites. » Il a peur. Et je le comprends. Je les comprends.

    • http://tailspin.fr/post/107696839163/pour-mes-eleves-de-seine-saint-denis

      Je veux vous parler de ce qui s’est passé hier. Je vais vous dire ce que je ressens, et après vous me direz ce que vous, vous ressentez. Je vais vous raconter deux ou trois choses personnelles, parce qu’il est vraiment important que vous compreniez que ce que je vous dis est personnel. Je vais vous dire pourquoi je suis extrêmement triste, choquée, et inquiète après ce qui s’est passé hier.
      Premièrement, je suis triste parce que des innocents sont morts assassinés, et je ressens un sentiment de compassion qui est lié au fait que je suis humaine et que je ne comprends pas qu’on puisse tuer. Parmi ces personnes qui sont mortes, il y en a certaines que je ne connaissais pas personnellement, mais dont je connaissais le travail. Je ne vais pas vous raconter ma vie, mais ces morts me touchent beaucoup parce que j’ai grandi dans une maison remplie de livres et de bandes dessinées, que mon papa collectionnait quand j’étais petite. Alors vous voyez, certains de ces dessinateurs, je les ai connus dans l’enfance. Ils dessinaient dans d’autres journaux, avant que Charlie Hebdo existe, avant que je sois née, et ils étaient vraiment marrants. Ils se moquaient un peu de tout et de tout le monde. Vous savez tous que j’aime bien les blagues, alors quand des gens marrants meurent, moi ça m’embête beaucoup.
      Deuxièmement, je suis triste parce que j’ai eu peur. Ma petite sœur est journaliste, et j’ai eu très peur pour elle. Elle n’est pas journaliste à Charlie Hebdo, elle travaille pour la rubrique culture d’un journal, et quand il y a eu l’attentat, ils ont fermé toutes les grilles, ils ont posté beaucoup de policiers. Quand les journaux doivent se protéger, quand on doit avoir peur pour un membre de sa famille qui est journaliste, c’est très effrayant. Vous savez tous ce qu’est la dystopie, c’est le sujet du chapitre que nous sommes en train de terminer, je trouve vraiment que ça y ressemble.
      Enfin, je suis triste parce que je sais que vous allez en prendre plein la gueule. Je vous le dis parce que je trouve déjà qu’il y a beaucoup de gens qui vous montrent du doigt sans raison. Je vous le dis aussi parce que j’ai choisi d’enseigner en Seine Saint-Denis, je l’ai demandé. Je vous le dis parce que je vous vois tous les jours, je vous connais, je sais comment vous êtes, je vous aime bien. Je voudrais que tout le monde vous voie comme je vous vois, mais je sais que ce n’est pas le cas. Je suis triste et inquiète pour vous, parce que j’ai peur qu’on vous attaque parce que vous venez d’ici et parce que certains et certaines d’entre vous sont musulmans et musulmanes.